Wolfgang Curilla est un juriste et un homme politique allemand, qui a exercé la fonction de sénateur dans le gouvernement de la ville libre et hanséatique de Hambourg de 1978 à 1983, avant d’obtenir un doctorat à l’université de Paderborn en 2006. C’est un spécialiste reconnu de la police d’ordre (Ordnungspolizei – Orpo) allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. L’ouvrage pionnier traduit de Christopher Browning1 a ouvert la voie à la recherche sur l’implication de la police d’ordre dans le génocide des juifs, la Schutzpolizei et la gendarmerie restant à l’arrière-plan dans l’étude de Browning. Les recherches de Curilla ont donc prolongé et élargi la perspective ouverte par Browning.
Deux précédents ouvrages de Curilla ont traité du rôle de la police d’ordre en Union soviétique et en Pologne, en englobant dans cette expression les bataillons de police organisés militairement, la police proprement dite (Schutzpolizei ou Schupo) et la police militaire (Feldgendarmerie). Le présent ouvrage traite donc de l’action de quelque 40 000 policiers allemands dans les huit pays d’Europe occidentale occupés en partie ou en totalité au cours de la Seconde Guerre mondiale, à savoir la Norvège, la Finlande, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la France et l’Italie.
Les bataillons de police se trouvent placés au cœur de l’investigation, la Schupo n’intervenant pour sa part que dans les territoires incorporés au Reich (Eupen et Malmédy, le Luxembourg, l’Alsace et la Lorraine) ainsi qu’à partir du mois de septembre 1943 que dans les zones d’opération des Alpes et des côtes de l’Adriatique prélevées sur le territoire de la république de Salò, et la gendarmerie n’étant présente qu’au Danemark et en Italie occupée. Les sources de l’enquête ont été constituées par les journaux des marches, les rapports, les télex, les enquêtes des procureurs de la République, les décisions de justice, les interrogatoires d’accusés et les dépositions de témoins passés au fil de la critique.
Cet ouvrage se compose de neuf parties, chacune étant subdivisée en plusieurs chapitres. Les huit premières parties se rapportent aux huit pays européens énumérés ci-dessus, qui différaient tous entre eux par la superficie, la population, la topographie, l’espace de repli pour la résistance intérieure, et l’importance de la communauté juive, de 2100 personnes en Norvège à 330 000 en France. Dans chaque partie, une introduction décrit la forme de l’occupation allemande quant à l’organisation des pouvoirs civils et militaires, la date de l’arrivée de la police allemande et, le cas échéant, du front. Les bataillons de la police d’ordre, envoyés dans les différents pays européens au départ de l’Allemagne, se retrouvent donc au centre de l’enquête à la manière d’un véritable annuaire précis et détaillé du point de vue de la chronologie, des déplacements et des types d’intervention des différentes unités, auquel on pourra se reporter de manière tout à fait fructueuse en cas de recherches portant sur les politiques de répression et de persécution dans ces différents pays sous occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.
L’étude du rôle des bataillons de la police d’ordre dans la persécution et dans la destruction des communautés juives est au premier plan de la recherche, avant la description des combats avec les partisans et les forces de la résistance. Quant à la neuvième et dernière partie, elle propose de manière synthétique une évaluation quantitative des exécutions et des déportations par les polices allemandes, s’interroge sur le destin ultérieur de ces policiers et pose quelques questions générales: que savaient exactement les policiers du génocide perpétré dans les camps d’extermination en direction desquels ils assuraient la surveillance des convois de déportés, combien de bataillons de police participèrent au génocide des juifs d’Europe, les policiers se comportèrent-ils différemment à l’Ouest et à l’Est du continent européen, furent-ils un instrument indispensable du génocide ou la police d’ordre ne fut-elle qu’une force auxiliaire de la Sipo et du SD?
Par-delà l’extrême diversité des huit cas nationaux analysés minutieusement par Wolfgang Curilla, les conclusions de l’enquête apparaissent très clairement dégagées. Alors qu’à l’est du continent européen, en Pologne et dans les territoires soviétiques occupés, les structures politiques et administratives s’étaient complètement effondrées, celles-ci avaient au contraire été en grande partie préservées en Europe occidentale.
Alors qu’en Pologne et en URSS l’occupant ne put compter que sur la collaboration de forces organisées seulement au niveau local, les forces d’occupation allemandes à l’ouest du continent purent au contraire prendre appui sur les polices nationales dont l’existence avait été préservée. En France, les mesures antijuives furent d’abord mises en œuvre non par la police allemande, mais par la police française. Dans les pays de l’Europe occidentale, les bataillons de la police d’ordre furent cependant indispensables à la surveillance des convois de déportation à destination des camps d’extermination.
Dans les pays scandinaves, la surveillance des convois de déportation par bateaux et par trains fut confiée à la police allemande, alors qu’en France, jusqu’à la frontière allemande, cette surveillance fut conviée soit à la police française, soit à la police militaire allemande, la police d’ordre ne prenant la relève de ces unités qu’à l’intérieur du territoire du Reich. Là où les polices nationales étaient impliquées dans les rafles de juifs, les institutions d’occupation allemandes n’étaient pas pour autant déchargées de ce travail et, même si ce fut le cas, comme à Copenhague, à Marseille, à Rome, à Amsterdam ou encore à La Haye en 1943, les membres des bataillons de police restaient présents. Sur un total de 195 bataillons de police, Curilla estime qu’au moins la moitié furent mobilisés dans les mesures d’extermination des juifs: la participation des policiers allemands y fut donc la règle.
Les bataillons de police ont également joué en Europe occidentale un rôle très important dans les combats contre les organisations de résistance, alors qu’ils ont au contraire été rarement mobilisés dans les combats sur les fronts, que ce soit en Italie à partir de l’automne 1943 ou aux Pays-Bas à l’automne 1944 lors de la bataille d’Arnheim. La police d’ordre en Europe occidentale est donc demeurée essentiellement un instrument indispensable pour les autorités d’occupation allemandes lors du rassemblement des populations juives, lorsque les polices nationales ne suffisaient pas à cette tâche ou ne voulaient pas s’y impliquer, lors du transport des juifs vers les camps d’extermination et lors des combats contre les forces de la résistance.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Michel Fabréguet, Rezension von/compte rendu de: Wolfgang Curilla, Die deutsche Ordnungspolizei im westlichen Europa 1940–1945, Paderborn, München, Wien, Zürich (Ferdinand Schöningh) 2020, VII–824 S., ISBN 978-3-506-70169-5, EUR 58,00., in: Francia-Recensio 2021/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83471