Cette biographie minutieuse de Georg Bernhard Depping (1784–1853) s’inscrit dans le double champ des études des Belles Lettres et des études franco-allemandes. Elle examine en trente chapitres chronologiques la vie et l’œuvre foisonnante de cet homme de lettres, à la fois traducteur, écrivain et journaliste.
Spécialisé en littérature, l’auteur Bernd Kortländer a soutenu sa thèse en 1977 sur la poétesse allemande Annette von Droste-Hülshoff et a par ailleurs travaillé sur les archives et les textes de Heinrich Heine. Directeur-adjoint de l’Institut Heinrich-Heine à Düsseldorf, il s’intéresse depuis longtemps aux échanges, croisements et transferts culturels qui se nouent dans la première moitié du XIXe siècle entre la France et l’Allemagne.
La vie de Georg Bernhard Depping commence comme dans un roman: à l’âge de dix-neuf ans, après avoir reçu une solide éducation et avoir interrompu des études de droit, il quitte sa ville natale de Münster pour vivre le reste de sa vie à Paris à partir de 1803. À la différence des exilés allemands, nombreux à trouver refuge à Paris à cette époque-là, le jeune Depping émigre de son plein gré en France. Il s’y retrouve rapidement enseignant, en français, le latin, le grec, la géographie et les mathématiques dans une école privée parisienne. Naturalisé français un quart de siècle plus tard en 1827, il ne retourne dans sa ville natale qu’en 1830.
Les quatre parties de cette biographie, peut-être un peu artificiellement découpées en tranches de dix ans (»De la naissance à 1820«, »Les années 1820«, »Les années 1830«, »Les années 1840 et 1850«) permettent d’exposer les différentes publications et coopérations professionnelles de G. B. Depping au cours de cette première moitié du XIXe siècle riche en évolutions et transformations politiques, économiques et sociales. Érudit, savant, homme de lettres, journaliste, correspondant politique et culturel auprès de plusieurs revues allemandes comme le très lu « Morgenblatt » (maison d’édition Brockhaus) de 1821 à 1850 ou encore la »Kölnische Zeitung« de 1840 à 1843, il contribue en outre à plusieurs revues comme la »Bibliographie universelle« de 1811 à 1828, »La Revue encyclopédique« de 1819 à 1833, au journal »Le Temps« de 1831 à 1836. Par ailleurs, pour Brockhaus, il contribue au grand projet du »Conversations-Lexikon« (1816 à 1834). Il publie également des ouvrages relevant de l’histoire et de la géographie, comme le bestseller »Merveilles et beautés de la nature en France« ou encore un »Manuel de géographie à l’usage des maîtres et des élèves« (tome 1, tome 2). Il publie sous un statut de savant et d’érudit privé, non appointé par une université ou un organisme de recherche.
Jetons un coup de projecteur sur le chapitre 17 relatif à l’année 1830, considérée comme une charnière importante dans la biographie et les écrits de G. B. Depping. Témoin de la révolution de Juillet à Paris et de l’avènement de Louis-Philippe Ier, il est enthousiasmé par les transformations que ces événements induisent dans la capitale. Cette césure politique et sociale qu’il vit à Paris et qu’il relate trouve un écho dans sa vie personnelle; le travail réflexif qu’il mène au mitan de sa vie se traduit en 1832 par la publication en allemand de ses souvenirs1. Il y aborde la question compliquée de sa germanité et de sa bi-culturalité, entre sa vraie patrie correspondant aux »états de la Confédération germanique« et sa seconde patrie »la France«. Dans le domaine politique, G. B. Depping, défendant ses idées libérales, fait connaître très tôt au public allemand les différentes théories socialistes qui naissent en France: le Saint-simonisme, le fouriérisme, les idées de Robert Owen.
Les très nombreux écrits de G. B. Depping occultent l’homme, particulièrement discret. Si les textes ont été relativement facilement accessibles pour mener cette enquête biographique, il n’en a pas été de même pour les données personnelles: aucune photographie, aucune gravure, aucune sculpture. Des chapitres, intitulés de la même manière, donnent à la fin des trois dernières parties un éclairage sur sa vie privée: ses trois mariages, son ascension sociale, son intégration inaboutie, son réseau de sociabilités via la fréquentation des salons (notamment celui de la princesse Salm-Dyck), ses amitiés (comme par exemple avec le géographe Malte-Brun), l’état de ses finances, ses relations avec les éditeurs de ses publications.
Si le titre de la biographie laisse subodorer des allers et retours entre Münster et Paris, il s’agit ici surtout de questions existentielles sur la transculturalité de G. B. Depping et non d’itinéraires de voyage sur le terrain. Il n’entreprend que trois voyages de Paris à Münster, d’ailleurs très peu documentés: en 1830, 1837 et 1842.
En revanche, à partir des années 1820, son train de vie ayant augmenté, il voyage pratiquement chaque année en France: vers la Normandie, en Île-de-France, en Champagne, etc., ce qui donne lieu à des articles dans les journaux, à une époque où les récits de voyages sont très prisés. À ce propos, une carte simple des itinéraires connus et probables de G. B. Depping aurait permis de rendre plus visibles ses déplacements.
Homme de lettres, arrivé à Paris avec pour tout bagage son intelligence et son courage, G. B. Depping possède à sa mort un appartement bourgeois avec une bibliothèque de 3000 ouvrages. Allemand naturalisé Français, il incarne la figure du savant érudit héritier de l’Aufklärung, évoluant dans le monde des belles-lettres, ayant réussi à gravir une partie de l’échelle sociale et profondément habité par l’interculturalité franco-allemande.
L’ouvrage se termine par une bibliographie exhaustive des publications de Georg Bernhard Depping de 1806 à 1855, classée par ordre chronologique (p 543–580), par une bibliographie de recherches (p. 563–574) et par un index fourni des noms de personnes (p. 575–600). Ils complètent fort utilement cette biographie méticuleuse qui comble un vide sur un acteur de la vie intellectuelle franco-allemande de la première moitié du XIXe siècle.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Gaëlle Hallair, Rezension von/compte rendu de: Bernd Kortländer, Zwischen Münster und Paris. Georg Bernhard Depping 1784–1853. Gelehrter, Schriftsteller, Journalist, Bielefeld (Aisthesis Verlag) 2020, 600 S. (Veröffentlichungen der Literaturkomission für Westfalen, 84), ISBN 978-3-8498-1539-4, EUR 34,00., in: Francia-Recensio 2021/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83472