Cette monographie de Patrick Neuhaus, historien, historien de l’art et éditeur, qui était une partie de sa Magisterarbeit (mémoire de maîtrise) avec Michael Wildt, porte sur l’exposition d’Arno Breker de 1942 au musée de l’Orangerie à Paris. Cet événement considérable et médiatisé fut la première exposition à l’étranger du sculpteur allemand et sa première rétrospective, et constitua pour les chercheuses et les chercheurs en histoire et en histoire de l’art le symbole de l’Occupation et surtout de la collaboration.
Après une rapide présentation de Breker, en tant que sculpteur et architecte, l’auteur développe le contexte politique de l’exposition. C’est ainsi qu’il présente les différents institutions et services chargés de la politique culturelle et de la propagande allemande à Paris et leurs acteurs, dont l’ambassade d’Allemagne à Paris et son ambassadeur Otto Abetz. La troisième partie, la plus importante en longueur, est consacrée à la reconstruction de l’exposition, la dernière sur sa réception. Ce travail est illustré de nombreux documents et références, ainsi que de citations dans le texte, tant en allemand qu’en français.
Arno Breker, de son séjour à Paris de 1927 au début des années 1930, intègre des traditions françaises dans son œuvre et entretient beaucoup d’amitiés artistiques. Son travail et ses récompenses le firent ensuite remarquer par les autorités nationales-socialistes, qui lui confièrent des postes importants, d’autant plus que, comme Speer, il appartenait aux rangs des nationaux-socialistes plus jeunes et ambitieux, tant sur le plan artistique que politique. Hitler était alors convaincu d’avoir trouvé avec Speer et Breker, qui étaient très proches et avaient des relations confidentielles avec Goebbels, les plus prestigieux artistes. Neuhaus met ainsi en lumière le rapport entre les politiques culturelles et les intérêts de Speer et de Breker, ce dernier devenant même incontournable auprès de Berlin pour toute question inhérente à la politique française, mais aussi dans les relations franco-allemandes de 1940 à 1944.
Cette exposition a été organisée par l’ambassade du Reich à Paris, qui avait, par rapport à d’autres institutions allemandes concurrentes, l’avantage de connaître la France et d’avoir de bons contacts personnels avec des personnalités françaises. Il s’agit cependant de la seule exposition d’art qu’elle organisa, même si l’initiative de l’exposition était française. Cette rétrospective commença le 15 mai 1942 après plus d’an an de préparation et fut suivie d’une exposition pour la Wehrmacht, qui se termina le 31 août 1942. Mais, dès le 14 mai, et jusqu’au 16 mai, des manifestations et des repas furent donnés en l’honneur du sculpteur.
D’autres rencontres, notamment musicales, furent encore organisées après ces dates. D’après l’historien de l’art, les allocutions et les discours en l’honneur de Breker pourraient être des documents clés pour comprendre la collaboration et les ambitions de la politique culturelle de Vichy, d’autant plus que ces discours, hormis un seul, avaient été négligés par les recherches antérieures. De plus, la présence de personnes invitées par l’ambassade allemande a permis la rencontre entre hommes politiques français et allemands.
Ainsi Neuhaus montre le rôle clé de l’exposition dans les relations culturelles franco-allemandes et dans les négociations politiques entre les autorités françaises et allemandes, avec notamment la présence de Fritz Sauckel, plénipotentiaire pour le recrutement de la main-d’œuvre étrangère (Generalbevollmächtiger für den Arbeitseinsatz), mais aussi d’autres représentants du gouvernement et de l’économie français et allemands. À ce titre, les autorités françaises informées par la proximité de Breker avec Hitler, pensant que le bon accueil réservé au sculpteur pouvait influencer la politique allemande en France, ont multiplié les invitations et les événements en son honneur. Dans ce contexte, Pierre Laval reçut le sculpteur à Matignon le 20 mai 1942.
Pour cette exposition, Breker a été invité au nom du gouvernement Laval et les Français avaient formé un Comité d’honneur, constitué après un voyage en novembre 1941 d’artistes français en Allemagne, suivi d’autres séjours de plasticiens et de journalistes, à l’initiative de Arno Breker. Pour l’auteur, ce Comité d’honneur de l’exposition, composé de plus de vingt membres, sculpteurs, écrivains et architectes de l’élite artistique française, présente un intérêt particulier. Il analyse également le choix des œuvres retenues et celle qui furent omises, sans oublier la comparaison des catalogues allemand et français, ainsi que leur réception, à peine ébauchée, après 1945.
En effet, pour cette grande exposition à l’Orangerie, cinquante œuvres furent retenues. Il s’agissait de sculptures et de dessins, dans toutes les phases de création artistique, les plus représentatifs de sa production, allant de ses jeunes années à celles prévues pour le réaménagement de Berlin. Toutefois, à cause de la pénurie de matières premières, seulement la moitié était en bronze. La mise en scène de l’exposition était aussi travaillée.
De même, le choix de l’Orangerie fut idéal pour Breker et les puissances occupantes, ainsi que pour le gouvernement français et la collaboration: d’une part par sa situation géographique, d’autre part pour montrer l’influence française et parisienne de Breker, enfin pour diffuser l’art national-socialiste auprès de l’art contemporain français. Neuhaus insiste à ce propos sur les expositions d’art utilisées par les autorités allemandes comme outil de la politique culturelle nazie, qui présenta Breker comme l’annonciateur du »nouvel art allemand«, mais souligna également la subordination de la sculpture à l’architecture.
Pour les autorités allemandes, comme françaises, l’exposition a été un succès, et les publications et articles, tant en France qu’en Allemagne, et les produits dérivés furent nombreux. Toutefois, selon le public national visé, comme le démontre l’auteur, les textes différaient.
Ainsi, l’auteur nous livre une analyse pertinente et intéressante du contexte politique, du protocole et des listes d’invités, des discours et de la mise en scène, ainsi que des photos, montrant notamment la présence de Fritz Sauckel à l’ouverture de l’exposition. Pour cela, Neuhaus a exploité de nouvelles sources, établi la chronologie des événements et publié l'intégralité des discours et allocutions français, désormais mieux accessibles aux chercheurs et chercheuses intéressés.
Il montre de plus un grand potentiel dans l’étude contextualisé de l’art et de la politique artistique du IIIème Reich, en ouvrant même, avec une brève comparaison de l’exposition Breker à Paris et celle à Zagreb, la perspective de la politique culturelle et artistique dans l'Europe occupée par les nazis. Enfin, hormis les intérêts politico-culturels de l’Allemagne nationale-socialiste, Neuhaus révèle les intérêts politico-artistiques de Vichy par l’élimination d’œuvres politiquement et esthétiquement indésirables.
Cependant, l’étude, avec ses quatre parties de longueur très inégale et de nombreuses répétitions, manque d’équilibre. De plus, les discours publiés auraient pu être présentés dans les deux langues. Pour finir, de nombreuses fautes sont à remarquer dans les extraits français.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Pascal Schneider, Rezension von/compte rendu de: Patrick Neuhaus, Die Arno Breker-Ausstellung in der Orangerie Paris 1942. Auswärtige Kulturpolitik, Kunst und Kollaboration im besetzten Frankreich, Berlin (Neuhaus Verlag) 2018, 160 S., 49 Abb., ISBN 978-3-937294-08-7, EUR 28,00., in: Francia-Recensio 2021/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83584