En publiant, avec le soutien de la Fondation d’Arenberg et sous le patronage de Michel Zink, cet »Allemagne et France au cœur du Moyen Âge«, Dominique Barthélemy et Rolf Große offrent un magnifique cadeau aux médiévistes. Très richement illustré, le volume rassemble une vingtaine d’historiens, d’historiens de l’art et de philologues français, allemands et belges autour d’un objet d’étude commun: les relations franco-allemandes entre 843, date du célébrissime traité de Verdun, et 1214, année de la non moins illustre bataille de Bouvines. L’ouvrage s’articule autour d’études de cas organisées selon l’ordre chronologique. Ces dossiers, pris en charge par un ou plusieurs spécialistes du sujet, se rapportent tantôt à une source d’un intérêt remarquable (la »Séquence de sainte Eulalie« et le »Ludwigslied« abordés par Jens Schneider, une lettre d’Yves de Chartres datée de 1097 mise en contexte par Christof Rolker, etc.), tantôt à une figure historique marquante (par exemple, le comte/duc Henri le Grand, tué en 886 par les Normands et ancêtre d’Henri Ier l’Oiseleur, présenté par Stéphane Lebecq, ou la reine Gerberge, épouse de Louis IV d’Outremer et mère du roi Lothaire, évoquée par Anne-Marie Hélvétius), tantôt, enfin, à des événements ponctuels ou des transformations intervenues sur le temps long (l’essor du tournoi chevaleresque et l’invention des armoiries décrits par Jean-François Nieus, la bataille de Bouvines chère à Dominique Barthélemy, etc.).
Le prétexte initial à cette publication fut la redécouverte, au sein de la collection du duc d’Arenberg, de deux diplômes ottoniens pour le chapitre canonial de Crespin, en Hainaut. Ceux-ci n’étaient jusqu’à présent connus que par des copies. Ils sont traduits et analysés par Laurent Morelle, qui en donne aussi des reproductions photographiques. Sa courte étude d’une dizaine de pages constitue sans nul doute la pièce maîtresse du livre – on devine qu’elle en préfigure une autre, plus pointue et spécifiquement adressée aux diplomatistes. Le premier diplôme est authentique. Il date du 12 février 973 et a été rendu par l’empereur Otton Ier quelques mois seulement avant sa disparition. Le second acte, rédigé au nom d’Henri Ier l’Oiseleur et datable de 931, est une version falsifiée d’un diplôme considéré comme authentique, lequel n’est plus connu qu’à travers des copies. La rédaction de ce faux est intervenue au XIIe siècle, vraisemblablement entre 1185 et 1201. Les deux documents ont la particularité de nous renseigner sur une réalité complexe, celle de l’avouerie monastique. Le diplôme »vrai« de 973 laisse aux chanoines le choix de l’avoué, »pour qu’il soit en mesure d’acquérir intégralement le ban sur les villages de Crespin, Quiévrechain, Hensies, Quiévrain et [Vilar]soniaco« (p. 77) – l’authenticité de cette clause avait jadis été mise en question, mais la redécouverte de l’original dissipe les doutes. L’acte falsifié du XIIe siècle, pour sa part, projette dans un passé ancien une réglementation des droits et des devoirs de l’avoué de Crespin. Les deux diplômes éclairent donc d’une lumière particulièrement intéressante l’institution fondamentale que constituait l’avouerie.
L’intérêt de l’ouvrage dépasse cependant la publication des deux diplômes de Crespin. Chaque article permet en effet de faire le point, de manière synthétique, sur un dossier spécifique et, souvent, de tirer des enseignements qui vont bien au-delà du cas étudié. Ainsi, dans sa déconstruction de l’»implacable portrait« que l’historien Richer de Reims dresse de Gislebert de Lotharingie († 939), Jean-Louis Kupper donne une passionnante leçon de critique historique, en arguant que, même s’il s’est inspiré de modèles antiques, le chroniqueur livre à propos du duc rebelle des informations d’une incontestable valeur. De même, en commentant »la métamorphose allemande de Perceval«, Jean-René Valette fournit au lecteur – à la suite de Simone Weil et de Michel Zink – des clés de compréhension essentielles à propos du »Conte du Graal« français et de son adaptation courtoise allemande, le »Parzival« de Wolfram von Eschenbach. Les exemples du genre pourraient être multipliés, à partir de chacun des articles composant le volume.
Plus fondamentalement, plusieurs de ces articles pourraient sans nul doute être utiles aux enseignants du secondaire ou de l’université. On imagine en effet sans peine que les traductions de sources proposées dans plusieurs contributions pourraient être utilisées à des fins pédagogiques. On songe, par exemple, à celle des serments de Strasbourg (842) par Irmgard Fees, à celles du »Ludwigslied« et de la »Séquence de sainte Eulalie« par Jens Schneider, ou encore à celle de la »paix« de Cologne (1083) par Dominique Barthélemy. Il en va de même pour les programmes iconographiques décrits par Charlotte Denoël et Anne-Orange Poilpré à propos de l’enluminure messine du haut Moyen Âge et des Évangiles d’Otton III (voir aussi la description de la broderie de la reine Gerberge par Anne-Marie Helvétius).
On l’aura donc compris, le bel objet richement illustré que constitue cet ouvrage ravira ceux qui éprouvent un intérêt pour les siècles constituant le cœur de la période médiévale, qu’ils soient historiens de formation ou en devenir. Son prix modeste le rendra d’ailleurs aisément accessible.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Nicolas Ruffini-Ronzani, Rezension von/compte rendu de: Dominique Barthélemy, Rolf Große (dir.), Allemagne et France au cœur du Moyen Âge. 843–1214. Préface de Michel Zink, avant-propos de S. A. S. Mgr le duc d’Arenberg, Paris (Passés composés/Humensis) 2020, 240 p., ISBN 978-2-3793-3231-9, EUR 29,00., in: Francia-Recensio 2021/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83592