Ce livre rassemble les contributions présentées au colloque du même titre, tenu à Toulouse en 2018. Dans leur introduction »Littérature et idée sous le règne de Charles VII« (p. 7–22), Florence Bouchet et Philippe Maupeu n’acceptent pas le verdict de Philippe Contamine de »souci marginal« de Charles VII pour les lettres et les arts. Mais ils soulignent qu’il aimait la lecture et les beaux livres, et selon Georges Chastelain (qui ne reculait devant aucune louange hyperbolique) estoit historien grant, beau raconteur, bon latiniste et bien sage en conseil. Le règne naît avec le »Quadrilogue invectif« d’Alain Chartier et est enterré (bien après la mort du roi) avec les »Vigiles« de Martial d’Auvergne. Pour les auteurs, une révolution dans le langage qui devait aller au-delà de la lyrique et du discours courtois était nécessaire afin d’avoir des mots »pour dire le temps de l’Histoire, mais aussi le temps du souvenir« (p. 17).
L’ouvrage est organisé thématiquement, en quatre parties: »Autour d’Alain Chartier« (cinq contributions), »Miroirs du règne de Charles VII« (cinq contributions), »Théâtre et spectacles« (trois contributions) et »Dispositifs fictionnels« (quatre contributions).
Laëtitia Tabard (p. 25–42) invite à une lecture croisée des œuvres composées par Alain Chartier sous Charles VI (»La Belle dame sans merci«) et sous Charles VII (»Le Livre des quatre dames«). Passer de la complainte au débat permet un discours efficace, la pitié se trouvant à la jointure du discours amoureux et du discours politique. Joan E. McRae (p. 57–69) poursuit dans cette voie, en dévoilant les visées politiques de quelques ballades d’Alain Chartier, qui ne peuvent ainsi être entièrement séparées de ses œuvres purement politiques.
De son côté, Florence Bouchet (p. 71–88) dégage les précurseurs et la postérité du »Peuple plaintif et langoureux« du »Quadrilogue invectif«: avant chez Honoré Bovet, Jean Gerson, Christine de Pizan, après chez Jean Juvénal des Ursins en 1433, dans une »Moralité« de 1435 de Michault Taillevent, dans la »Moralité nouvelle de la Croix Faubin« du milieu du siècle; l’influence se fait sentir même après le règne de Charles VII. Estelle Doudet (p. 43–56) s’intéresse à l’affirmation de la figure de l’orateur sous le règne de Charles VII, incarnée, selon l’Instructif de la seconde rhétorique (années 1460), par Alain Chartier, Georges Chastelain et Arnoul Gréban.
Le modèle est fourni par Quintilien, mais l’orateur devient l’»intellectuel«, le philosophus, orator, legatus, qu’est Aeneas Silvius Piccolimini selon Martin Le Franc, et les orateurs forment un groupe et débattent entre eux. L’étude d’un manuscrit du milieu du XVe siècle des œuvres d’Alain Chartier mis en vente en 2016 permet à Hanno Wijsman (p. 89–107 et fig. 2–11) d’en attribuer la commande à Antoinette de Maignelais, maîtresse de Charles VII, puis, après sa mort en 1461, du duc François II de Bretagne, et de le dater des années 1455–1458.
Le grand écrivain politique du règne de Charles VII est Jean Juvénal des Ursins (1388–1473); pour Sébastien Cazalas (p. 111–126), son roi idéal peut être résumé dans cette formule des Psaumes: Viriliter age, »Agissez avec courage« selon la traduction de Lemaître de Sacy, ce qui pourrait laisser sous-entendre que Charles VII était un roi fainéant. Un des historiens de son règne et de celui de son fils Louis XI est Thomas Basin (1412–1489): Joël Blanchard (p. 127–136) invite à redécouvrir son œuvre dissidente aux multiples décentrements. Sophie Brouquet (p. 137–150) et Élisabeth Pinto-Mathieu (p. 151–164) mettent en avant la figure du roi combattant dans les »Vigiles« (entre 1477 et 1483) de Martial d’Auvergne (1430/35–1508) pour la première et la figure royale, objet d’un panégyrique, dans le »Jouvencel« (1461–1468) de Jean de Bueil (1404/06–1477) pour la seconde.
Enfin, Marta Farfany (p. 165-177) étudie les traductions dédiées au roi, dont trois ont été conservées: les »Stratagemata« de Frontin par Jean de Rouvroy (1425), les »Commentarii de bello punico primo« de Leonardo Bruni par Jean Lebègue (1445), l’»Historia destructionis Troiae« de Guido delle Colonne par Jacques Milet (1450), qui restent malheureusement inédites; si elles n’ont pas été commandées par le roi, elles montrent les intérêts de son entourage.
En ce qui concerne le théâtre et les spectacles, Jelle Koopmans (p. 181–194) se penche sur la professionnalisation des spectacles sous le règne de Charles VII: celle des joueurs de farce (précoces), puis des joueurs des »jeux«, devenus de grands spectacles théâtraux avec machineries. Jean-Marie Fritz (p. 195–209) se focalise sur Arnoul Gréban (v. 1430–v. 1495), qui dirige la maîtrise de la cathédrale Notre-Dame de Paris (enseignant la musique et la grammaire), et il dévoile les liens entre le mystère de la Passion et le jeu d’orgue, le mystère pouvant être considéré comme un speculum sonore. Véronique Dominguez (p. 211–227) recherche à qui attribuer le »Mystère de la Résurrection d’Angers«, connu par trois témoins (1456, 1491, 1493): plutôt qu’une attribution à Jean du Prier ou Le Prieur, elle y voit une composition collective, »curiale«.
Dans le domaine de la fiction, Daisy Delogu (p. 231–244) s’intéresse au »Pastoralet« (entre 1422 et 1425), mélange de pastourelle et d’histoire et allégorie à valeur didactique. Michelle Szkilnik (p. 245–257) se demande comment écrire l’Histoire au moyen de la fiction avec l’exemple du »Jouvencel«. Sylvie Lefévre (p. 259–273) relit l’»Abuzé« en court (entre 1450 et 1470) et en montre le programme iconographique, mais l’image devant restée cachée. Enfin, Helen Swift (p. 275–290) se livre à une réflexion sur l’auteur sous le règne de Charles VII, au moyen du thème de la mort dans le »remembrement« des œuvres dans les anthologies tardives comme »Le Jardin de plaisance et fleur de rhétorique«, avec une théâtralisation de la représentation des morts. Un utile index des noms de personnes, d’auteurs et titres d’œuvres clôt l’ouvrage.
Avec ce volume, Florence Bouchet, Sébastien Cazalas et Philippe Maupeu nous offrent un éclairage bienvenu sur la vie des lettres sous le règne de Charles VII.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Florence Bouchet, Philippe Maupeu, Sébastien Cazalas (dir.), Le Pouvoir des lettres sous le règne de Charles VII (1422–1461), Paris (Honoré Champion) 2020, 299 p. (Bibliothèque du XVe siècle, 87), ISBN 978-2-7453-5475-4, EUR 45,00., in: Francia-Recensio 2021/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83594