S’il ne manque pas actuellement d’actes de colloques mettant en avant les humanités numériques, celui-ci se distingue d’une part grâce à une thématique précise, celle des actes royaux et princiers ; d’autre part parce que s’il permet, comme c’est le cas habituellement, de prendre connaissance de projets et de réalisations en la matière, il donne aussi la parole aux utilisateurs. C’est très important, parce que trop longtemps des bases de données ont été mises en place sans vraie perspective d’utilisation, et donc d’utilité.
Cinq corpus sont présentés, donnant d’emblée une dimension européenne au volume. Lancé au début des années 2000, le projet d’édition des Fine rolls (rouleaux élaborés par la chancellerie royale, au départ pour recenser les amendes imposées par le roi, ensuite plus largement pour les matières financières) du règne d’Henri III (1216–1272) a permis la création d’un site très riche (reproductions, traductions anglaises, index …) et la publication d’une partie des rouleaux sous forme imprimée (David Carpenter, Paul Dryburgh). En Écosse, c’est le projet Models of Authority qui ambitionne de voir comment les actes reflètent l’émergence du gouvernement, et qui pour cela s’est consacré entre autres à un développement inédit de l’analyse paléographique (Peter Stokes).
Du côté germanique, la bientôt bicentenaire entreprise des Regesta Imperii a réussi à offrir des ressources numériques de pointe tout en maintenant ses exigences en matière de qualité de l’érudition. La présentation qu’en fait Gerhard Lubich est axée en particulier sur l’orientation graphe, qui permet notamment de remarquables études des réseaux. Les quantités de documents traitées s’accroissent évidemment au fil des temps, et à l’époque moderne elles donnent le vertige, comme c’est le cas pour les quelque trois millions de lettres des archives médicéennes de 1537 à 1743 à Florence. Pour transcrire, non pas tous ces documents, mais le plus grand nombre possible d’entre eux, de nombreux collaborateurs ont été recrutés, et le projet a mis à leur disposition des outils de formation tout à fait intéressants. Tout cela a abouti à la création d’une »communauté d’érudition«, et en fin de compte à la création d’un portail My Interactive Archive, ouvert à tout document italien (Antonio Assonitis). Enfin, à Pau le projet d’édition électronique des actes des rois de Navarre et de leurs agents (1483–1594) a commencé par l’inévitable phase du recensement des actes, qui a donné lieu déjà à des travaux qui renouvellent les connaissances sur le sujet.
Du côté des utilisateurs, Els De Paermentier évoque plusieurs usages possibles de la base des Diplomata Belgica, entre repérage des actes (donc, sans traitement automatique) et analyse des formules. Olivier Canteaut réfléchit à l’étude de la tradition manuscrite des actes: dans le cas des actes royaux émis entre 1314 et 1328 en France, la question n’est pas tant celle de la différence entre originaux et copies effectuées par le bénéficiaire, mais entre actes enregistrés par l’émetteur, la chancellerie royale, et actes connus par les archives des bénéficiaires. En tout état de cause, selon lui, moins de 10% des actes émis ont été conservés. Georg Vogeler fait le point sur la numérisation (et surtout la publication en ligne) de photographies d’actes, à partir de l’exemple de Monasterium.net: un site richissime, qui non seulement donne accès à des centaines de milliers d’actes, mais permet aussi grâce aux progrès permanents en matière de traitement automatique, de mener des études de fond (sur la forme des signa recognitionis ottoniens, par exemple), et même maintenant de développer des systèmes de transcriptions automatiques.
Deux contributions enfin complètent, de manière très différente, le volume. Vincent Jolivet montre à la fois la richesse de tout ce que permet aujourd’hui, pour la publication et l’utilisation de textes, le numérique; et le risque, évitable bien sûr, de faire passer au second plan le travail d’édition critique, qui ralentit considérablement la mise à disposition des sources et complique la publication et l’interopérabilité. Olivier Guyotjeannin, de son côté, lance un plaidoyer pour l’étude des clauses annexes et des formules en diplomatique: ce qui peut se faire sans ordinateur, mais, comme il le souligne, se fait encore mieux grâce à celui-ci.
Ce petit volume dépasse donc largement le cadre »royal et princier« annoncé par son titre, en ce que tous les enjeux et les développements, toutes les difficultés et les solutions, évoqués concernent bien entendu l’ensemble de la diplomatique médiévale et moderne.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Olivier Canteaut, Olivier Guyotjeannin, Olivier Poncet (dir.), Actes royaux et princiers à l’ère du numérique (Moyen Âge – Temps modernes), Pau (Presses universitaires de Pau et des pays de l’Adour) 2020, 130 p. (Cultures, arts et sociétés, 10), ISBN 2-35311-108-4, EUR 12,00., in: Francia-Recensio 2021/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83597