Cet ouvrage collectif rassemble les actes du colloque international de clôture du programme »France-Angleterre, 700–1200: manuscrits médiévaux de la Bibliothèque nationale de France et de la British Library«, organisé par la Bibliothèque nationale de France du 21 au 23 novembre 2018.
Grâce au soutien de la Fondation Polonsky, le programme a uni la Bibliothèque nationale de France (BnF) et la British Library (BL) de 2016 à 2018, dans un effort inédit de numérisation et de valorisation de 800 manuscrits médiévaux conservés dans les deux institutions. L’objectif, pleinement atteint, était de mettre en lumière les échanges culturels et artistiques entre les deux pays dans la fourchette temporelle prévue, à travers l’étude des vecteurs de ces échanges: les livres manuscrits au prisme de leur matérialité, de leur contenu, de leur histoire et donc des hommes qui les ont maniés (et parfois transportés).
Pour ce faire, il était essentiel de rendre accessible un corpus ample, choisi pour son importance dans l’histoire des relations franco-anglaises. Les deux institutions se sont alors chacune dotées d’un portail: le premier, »France-Angleterre, 700–1200: manuscrits médiévaux«, géré par la BnF, donne accès aux 800 manuscrits numérisés, à leurs nouvelles descriptions scientifiques et aux métadonnées associées, permettant un niveau de visualisation et d’interopérabilité de très bonne qualité (protocole IIIF) et garantissant aussi la comparaison de plusieurs livres, à travers le visualiseur Mirador; le deuxième, »Medieval England and France, 700–1200«, développé par la BL, permet un accès aux données ayant une vocation plus pédagogique.
Le colloque de 2018 a été l’occasion non seulement de lancer les deux portails susmentionnés, mais aussi de les tester. Comme le soulignent les éditeurs scientifiques du volume Charlotte Denoël et Francesco Siri dans leur introduction (p. 15–20), les études issues de l’exploration de la bibliothèque virtuelle offrent un exemple concret de ce que l’on peut faire grâce à une perspective comparatiste.
Les contributions sont présentées selon trois grandes axes, qui correspondent à autant d’approches de recherche: l’histoire de l’art, au prisme des traditions visuelles qui se développent dans les deux pays, s’influençant mutuellement (p. 23–106); les acteurs qui ont permis les échanges matériaux des livres, dans une perspective d’histoire politique, religieuse ou, en général, intellectuelle (p. 109–251); l’histoire des textes, et donc celle de la transmission des savoirs (p. 254–412).
Comme il n’est pas possible d’analyser chaque contribution dans le détail pour des raisons d’espace, je me contenterai d’en donner un résumé très rapide, qui ne pourra malheureusement pas rendre compte de leur haute qualité scientifique; je souligne déjà que la démarche comparatiste annoncée dans l’introduction est appliquée avec efficacité et apporte des résultats transversaux, quel que soit l’axe pris en compte.
Dans la section d’histoire de l’art, l’observation des manuscrits numérisés dans le cadre du programme confirme des liens connus (Elizabeth Morrison, p. 49–74 sur les bestiaires médiévaux à partir du XIIe siècle), en réfute d’autres (Anne-Orange Poilpré, p. 23–37 sur les Évangiles tardo-antiques illustrés arrivés en Angleterre avec saint Augustin, et Fabrizio Crivello, p. 39–47, sur l’enluminure des Sacramentaires de Sens), ou permet d’en repérer de nouveaux (Hanna Vorholt, p. 75–106, pour le rapport entre réglure et composition de cartes et diagrammes dans des manuscrits franco-anglais du XIIe siècle).
La section suivante est ouverte par Stéphane Lecouteux (p. 109–152), qui illustre, notamment à l’aide de nombreuses cartes, les mouvements d’hommes et livres entre les deux côtés de la Manche, formant un réseau spirituel. Richard Gameson (p. 191–211) aborde la même perspective de réseau au prisme de l’histoire des bibliothèques, à partir d’une image d’Augustin de Cantorbéry du manuscrit Paris, BnF, latin 2288 (Flandres, deuxième moitié du XIIe siècle).
On passe aux véritables acteurs des échanges avec la contribution de Benjamin Pohl (p. 153–189), qui identifie l’anonymus Beccensis, auteur/copiste du recueil de textes de Paris, BnF, latin 2342 (mi-XIIe siècle), comme étant le moine du Bec Maurice, élève d’Anselme de Cantorbéry; les modalités de représentation et de transfert du pouvoir politique sont au cœur des articles de Laura Cleaver (p. 213–231) et Emily A. Winkler (p. 233–251), qui s’attachent à l’œuvre historiographique de Ralph de Diceto et à l’»Historia rerum Anglorum« de William of Newburgh.
La troisième section est consacrée à l’histoire des textes. Laura Light (p. 255–280) présente le cas de la bible du XIIe siècle de Foigny (Paris, BnF, latin 15177–15180), en la comparant aux bibles des abbayes de Floreffe et du Parc; Laura Albiero (p. 281–289) s’occupe de calendriers liturgiques et Lucile Trân-Duc (p. 291-303) du légendier Paris, BnF, latin 5362 (Fécamp, XIe–XIIe siècle), les deux contributions montrant des interférences liturgiques et cultuelles inédites entre le Nord de la France et l’Angleterre. C’est le signe que les liens historiques établis entre des centres monastiques géographiquement distants passent bien par les textes qu’ils échangeaient.
Cela vaut aussi pour les livres utilisés dans l’apprentissage de la langue latine. Ainsi, Frédéric Duplessis (p. 305–332) montre comment les scholies aux »Satires« de Juvénal, élaborées à l’école d’Auxerre au IXe siècle, se diffusent précocement dans des manuscrits anglais, circulant déjà vers la première moitié du Xe siècle; Franck Cinato (p. 331–361) étudie le cas spécifique des signes de construction syntaxique: malgré la fluidité de transmissions d’annotations pareilles, on peut relever des systèmes concourants entre Angleterre et France, qui finissent pour se conformer dans le temps. La science fait l’objet des dernières contributions, à travers la plume de Monica H. Green (p. 363–388), qui explore la médecine entre France et Angleterre au XIIe siècle, et de Laure Miolo (p. 389–412), qui s’occupe de la »Scientia stellarum«.
Il faut ici faire une remarque qui vaut pour l’ensemble du volume: les nombreuses illustrations associées aux articles, majoritairement en couleurs et issues de la campagne de numérisation du programme, sont d’une qualité impressionnante, ce qui rend la lecture encore plus agréable. Une liste de ces illustrations est fournie aux pages 8–12, où l’on repère les signatures des sources manuscrites. Les manuscrits font aussi l’objet d’un index dédié, aux pages 415–423, auxquels s’ajoutent des index des noms de personnes (p. 424–432), des noms d’auteurs (p. 433–442) et des noms des lieux (p. 443–447).
Pour conclure, toutes les contributions du volume montrent très clairement la façon dont les auteurs ont pu bénéficier des résultats du programme. Les numérisations en très haute définition et la possibilité de comparaison avec d’autres livres ont permis non seulement des avancées sensibles dans l’étude de problématiques déjà connues, mais ont aussi attiré l’attention sur des manuscrits jusqu’à présent négligés. On peut s’attendre à beaucoup d’autres découvertes dans le futur. Le volume confirme la vocation du programme »France-Angleterre, 700–1200« d’être une sorte de pont idéal entre deux bibliothèques et deux pays, qui sont ainsi scientifiquement encore plus proches.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Angela Cossu, Rezension von/compte rendu de: Charlotte Denoël, Francesco Siri (dir.), France et Angleterre: manuscrits médiévaux entre 700 et 1200, Turnhout (Brepols) 2020, 448 p., 10 ill. en n/b, 101 ill. en coul., 22 tabl. (Bibliologia 57), ISBN 978-2-503-58772-1, EUR 90,00., in: Francia-Recensio 2021/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83603