Selon une anthropologie chrétienne dominante, ce que nous appelons la sexualité était conçu au Moyen Âge comme l'expression par excellence de la »chair«, opposée à l’esprit. Depuis les écrits des Pères, la sexualité était considérée comme mauvaise, comme perpétuation du péché originel, comme une pollution susceptible de déclencher la colère du Ciel et de compromettre le salut collectif. Tout l’intérêt du travail de Michèle Fournié, Daniel Le Blévec et Julien Théry est ici de mettre en lumière les rapports entre la chair et l’Église. Ce nouvel ouvrage paru dans la collection »Cahiers de Fanjeau«, particulièrement intéressant et bien documenté, offre un nouveau regard sur la perception de la chair par l’Église. Les autrices et auteurs de ce travail collectif démontrent qu’à partir du XIIe siècle, lequel est marqué par la puissance nouvelle du laïcat, le plaisir charnel fit l’objet d'une certaine valorisation de la part de la théologie morale.

Le colloque, dont est issu ce volume, a réuni 16 historiennes et historiens chargés d’aborder ce champ d’études, trop longtemps délaissé par l’historiographie française. La question de la chair et de l’Église est ici abordée au prisme des pratiques et des discours. Les normes et les images de la sexualité comme sur son gouvernement effectif dans les sphères laïque et cléricale y sont particulièrement étudiés. Une scission géographique apparait très nettement: au sud de la Loire, la hantise de la luxure et notamment de l'adultère ordonnaient la vie sociale avec une efficacité relative, à l’inverse du nord de la Loire. La spécificité a pour cause sans doute les résistances que rencontra la grande réforme ecclésiastique lancée au XIe siècle, résistances parfois réprimées comme hérésies à la nouvelle discipline pastorale et au cléricalisme romain.

L’ouvrage commence par les propos de Jacques Ronciaux qui nous livre une brève rétrospective historique. L’auteur démontre combien l’histoire de la sexualité est encore jeune en France. S’ouvre ensuite la première partie de l’ouvrage consacré à l’hérésie; Robert Ian Moore détaille le problème que posent le célibat et le mariage dans le Midi de la France dans le cadre de la réforme, tandis que Mark Pegg s’intéresse à l’amour hérétique avant la croisade albigeoise. Enfin, Jacques Paul porte son regard sur les hérétiques; il y a chez les dissidents et hérétiques un refus de la matière de la chair.

La deuxième partie est consacrée aux images et aux discours. Christiana Weiseng les aborde sous l’angle des sculptures des églises méridionales, Alessia Trivellone dans les gloses des coutumes de Toulouse et Jacques Berlioz et Alain Guerreau à travers les recueils des exempla méridionaux.

La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à la discipline de la chair en milieu ecclésiastique. Corinne Leveleux-Teixeira se charge d’étudier le droit canon appliqué aux mariages des enfants, tandis que John Arnold consacre son analyse à l’opinion collective sur le péché de chair. Julien Théry s’intéresse à la répression par la justice épiscopale d’Albi au XIIIe siècle, et Franck Collard à l’inceste de Jean V. Romain Chevalier, enfin, regarde de près la légitimation des bâtards de Jeanne d’Espagne et de Raymond Roger de Comminges au XVe siècle.

La quatrième et dernière partie est consacrée à l’incontinence de la chair en milieu ecclésiastique. Michèle Partida interroge la Catalogne du XIVe siècle pour approcher le mariage clérical, tandis que Sylvie Caucanas nous livre une étude sur viols et homicides dont étaient accusés les moines de Fontfroide au XIVe siècle. Dans cette même logique, Julien Théry aborde la luxure et la dilapidation au couvent de la Rive dont l’enquête avait été lancée par Jean XXII en 1327. Sophie Brouquet, enfin, s’intéresse à l’inconduite des religieuses de Toulouse au XVe siècle.

L’ouvrage est de très bonne facture; il mêle les approches des historiens et des historiens du droit pour nous livrer un panorama global et novateur des liens entretenus par la chair et l’Église.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laura Viaut, Rezension von/compte rendu de: Michèle Fournié, Daniel Le Blévec, Julien Théry (dir.), L’Église et la chair (XIIe–XVe siècle), Toulouse (Éditions Privat) 2019, 600 p. (Cahiers de Fanjeaux, 52), ISBN 978-2-7089-3457-3, EUR 35,50., in: Francia-Recensio 2021/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83607