Ce volumineux ouvrage en deux tomes est la version remaniée d’une dissertation doctorale présentée lors du semestre d’été 2018 dans le cadre de l’Arye Maimon-Institut für die Geschichte der Juden de l’université de Trèves, sous la direction du professeur Lukas Clemens et du regretté professeur émérite Alfred Haverkamp, décédé en mai 2021.
Le second tome consiste en un catalogue de 182 fiches répertoriant, sous le concept »Judensiegel«, les sceaux possédés et utilisés, au sein du regnum teutonicum, par des individus juifs ou des communautés juives, du dernier quart du XIIIe siècle à 1510, le XIVe siècle étant le mieux représenté. S’y ajoutent les »sceaux aux dettes« émis par deux autorités chrétiennes (les villes d’Aschaffenbourg et Tauberbischofsheim) mais auxquels les juifs recourraient pour la reconnaissance de leurs contrats de prêts. La plupart de ces sceaux (et quelques rares matrices) ont été matériellement conservés et font l’objet d’une représentation photographique en noir et blanc. Une cinquantaine sont cependant perdus, connus par des mentions textuelles ou par des études ou esquisses d’érudits. Ont été traitées à part 29 indications de sceaux juifs, entretemps disparus, renseignés par les formules de corroborations de 42 actes supplémentaires, datés de 1257 à 1457.
Compte non tenu de cette dernière catégorie, le corpus – qui concerne une quarantaine de localités – couvre toute la partie méridionale et centrale du monde germanique médiéval, de Trèves (les juifs de cette ville nous ont laissés 25 sceaux) et de l’Alsace à l’Autriche (Vienne et Graz) et d’une ligne septentrionale Cologne-Münster-Brunswick (cette dernière ville fournit 19 sceaux) à la Souabe, la Suisse (Zurich et Berne) et même la Slovénie (Cilly/Celje). La plus grande concentration des sceaux repérés s’opère à l’ouest, dans la zone mosello-rhénane (avec 56 mentions pour 17 localités); le reste des fiches se distribue de façon plus éparse avec cependant le point fort danubien de Ratisbonne (22 sceaux) et quelques concentrations secondaires, telles Augsbourg (6) et Erfurt (5).
Le corpus met en avant une centaine d’individus juifs – dont deux femmes, présentes à sept reprises – et trois communautés juives (Augsbourg, Rothenburg ob der Tauber et, par deux fois, Ratisbonne), dont le mode iconographique souligne le parallélisme de conception de ces représentations avec celles des différents types d’universitates chrétiennes.
Chaque fiche renseigne sur la datation attribuable et sur le type du sceau; suivent une description de la représentation sigillaire, la résolution de l’inscription (en latin, en hébreu, parfois mixte), des renseignements sur la matérialité de l’objet (forme, taille, état de conservation) et les références à d’éventuelles éditions antérieures. Puis la fiche s’attache au document qui, le plus souvent, porte encore le sceau (type, analyse diplomatique, repérage des éditions ou regestes, bibliographie). Vient enfin une discussion sur la pièce considérée, d’une longueur moyenne d’une à deux pages mais qui peut parfois prendre plus d’ampleur, jusqu’à neuf pages pour l’un des sceaux augsbourgeois. Il convient d’ajouter qu’une cinquantaine de clichés photographiques accompagne une part de ces fiches pour appuyer des comparaisons thématiques ou stylistiques avec des pièces d’archives, des enluminures de manuscrits ou des pièces muséales.
Le catalogue sert de base à l’étude de ces sceaux, objet du volume 1: après une longue introduction justificative et une étude générale consacrée aux origines, puis aux développements, jusqu’au début de la période moderne, de la capacité sigillaire des juifs d’Ashkenaz et de leur pratique du scellement, l’auteur consacre un chapitre à une étude de synthèse des sceaux, puis aux documents auxquels ils sont appendus, insistant sur le rapport au document scellé, à son formulaire mais aussi à son contexte, tandis que sont mis en comparaison sceaux juifs et sceaux chrétiens, y compris quant à leurs caractéristiques matérielles externes (matériau, forme, taille, couleur) et internes (inscriptions et iconographie): chap. III et IV.
Suivent des analyses plus appuyées concernant deux des principaux centres de cette pratique: la principauté archiépiscopale tréviroise et la ville libre de Ratisbonne (chap. V et VI). Le dernier chapitre est consacré à la gestion du droit au sceau. Viennent enfin la conclusion générale, un court résumé en anglais, la liste des sources et la bibliographie. Ce premier volume se clôt par un index dont on regrettera qu’il ne comporte pas d’identification géographique des toponymes, pas plus que leur cartographie, lacunes gênantes dans le cas des localités de second rang, assez abondamment représentées pourtant dans le corpus. Il manque également une analyse géographique de la pratique sigillaire qui aurait contribué, d’une autre façon, à dessiner les contours du »pays ashkénaze« médiéval.
L’auteur souligne que c’est à la fin du XIIIe siècle, au moment où la croissance de l’usage du sceau dans les actes et les contrats entre chrétiens entre dans sa phase la plus intensive, qu’apparaissent les premières utilisations d’initiative juive, de la part des personnes comme des communautés. À cette concomitance s’ajoute le fait que la quasi-totalité des écrits auxquels s’attachent ces sceaux sont des contrats entre juifs et chrétiens (les juifs recourant, pour leurs affaires et contrats internes à la communauté, à d’autres moyens de légitimation).
Ce trait explique le caractère bilingue de beaucoup des légendes sigillographiques, au sein desquels cependant la part latine ou vernaculaire du texte signale toujours, après le nom, le statut juif de la personne (»Jude«) et parfois son origine, tandis que la partie rédigée en hébreu suit strictement l’usage juif de la séquence nom, patronyme, formule de bénédiction; quant à l’iconographie du sceau juif, elle se distingue de son homologue chrétienne par la fréquence d’emploi du motif du »Judenhut« et de celui associant croissant de lune et étoile. En revanche, les caractéristiques matérielles et les canons stylistiques, mais aussi la fin d’authentification et le souci d’autoreprésentation apparaissent communs aux sceaux juifs comme chrétiens. Il demeure qu’un thème iconographique commun aux deux communautés peut relever d’intentions divergentes.
En définitive, l’auteur propose une étude combinant histoire et histoire de l’art, diplomatique et sigillographie, histoire de la pratique sigillaire et histoire des représentations sociales. Les sceaux juifs du Moyen Âge en ressortent comme un type de sources de premier ordre, fait de témoignages documentaires personnalisés (»Egodokumente«) dont l’étude éclaire de façon nouvelle la culture matérielle des juifs médiévaux et la pesée de la place du peuple juif au sein de la société chrétienne, entre affirmation des particularités et parallélisme de certains us et comportements. Enfin, de même que l’intensité de l’usage du sceau dans l’Europe chrétienne septentrionale contraste avec la puissante pratique notariale propre aux régions plus méridionales, l’adhésion des juifs d’Ashkenaz à la pratique sigillaire souligne la différence d’avec la culture séfarade.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jean-Luc Fray, Rezension von/compte rendu de: Andreas Lehnertz, Judensiegel im spätmittelalterlichen Reichsgebiet. Beglaubigungstätigkeit und Selbstrepräsentation von Jüdinnen und Juden. 2 Bände, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2020, XX–934 S., 197 Abb. (Forschungen zur Geschichte der Juden. Abteilung A: Abhandlugen, 30), ISBN 978-3-447-11507-0, EUR 168,00., in: Francia-Recensio 2021/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83622