Dédié à la mémoire de Michel Parisse, ce volume a fait l’objet d’une double introduction, en français et en allemand, par Tristan Martine et Jessika Nowak, qui présentent l’historiographie récente de la Lotharingie. La première partie de l’ouvrage est consacrée à ses rois fondateurs, à commencer par Lothaire II, dont Eva Maria Butz étudie la memoria liturgique, en présentant ses entrées dans les libri memoriales, pour souligner en particulier ses liens avec Louis le Germanique. Linda Dohmen présente une étude sur les diplômes de Lothaire Ier, édités en 1966 dans les MGH par Theodor Schieffer, en montrant que la question du divorce avec Theutberge a occupé une place importante de la production de la chancellerie royale.

Hérold Pettiau étudie les déplacements royaux, pour constater que si Lothaire Ier s’est situé dans la tradition carolingienne, alternant ses séjours entre Aix-la-Chapelle et les palais lorrains, les déplacements de Lothaire II furent plus erratiques et éloignés, ce qui témoigne sans doute de ses difficultés, liées non seulement aux affaires de son divorce mais aussi au besoin d’être plus présent dans le sud de son royaume.

La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à l’aristocratie laïque et aux relations féodales. Thomas Wittkamp y met en évidence la césure de 885, qui vit d’un côté l’enfermement d’Hugues, fils de Lothaire II, qui scella définitivement la fin du Teilreich lotharingien, et de l’autre l’élimination du chef viking Gottsfried, qui mit un terme au processus de constitution en Frise d’une principauté normande, en tout point comparable à celle que Rollo devait construire en Francie occidentale. Daniel Schumacher étudie les stratégies du duc Giselbert, qui s’attacha, dans les années 920 et 930, à construire, entre fidélité et rébellion, une principauté lotharingienne en jouant sur l’opposition entre les deux Francies, sans toutefois parvenir à stabiliser son pouvoir ducal.

Dans une contribution rédigée en allemand, Tristan Martine présente à partir de sa thèse une étude de l’ancrage spatial de l’aristocratie lotharingienne, en montrant à travers le cas des Folmar qu’elle s’organisait au Xe siècle autour de pôles dessinant une aire de domination, avant que les dynasties comtales ne mettent en place un premier processus de territorialisation au début du XIe siècle, si l’on en juge du moins par l’introduction dans les titulatures de référents toponymiques.

Michel Margue présente une mise en perspective très dense de ses recherches sur l’avouerie lotharingienne, en insistant sur l’évolution de l’institution à la fin du XIe siècle, lorsque les familles comtales parvinrent à s’emparer, souvent en collaboration avec les abbayes, des droits de haute-avouerie, qui firent partie du processus de constitution des principautés territoriales. Enfin, Thomas Brunner présente une étude du vocabulaire féodo-vassalique des chartes lorraines, à partir de la base de données de l’ARTEM, dans laquelle il souligne la disparition, dès le début du Xe siècle, du terme de vassalus ou encore l’apparition à partir de 1080 de celui de feodum, sans toutefois pouvoir déterminer le sens historique de cette évolution du vocabulaire de la domination sociale.

La troisième partie de l’ouvrage, consacrée aux pouvoirs ecclésiastiques qui occupaient une place particulièrement importante en Lotharingie, s’ouvre par une étude de Pieter Bytteker, qui s’attache à mettre en perspective l’histoire mouvementée du siège de Verdun avec ses échos dans la rédaction des Gesta épiscopales. Anne Wagner présente une étude des translations de reliques effectuées par les évêques lotharingiens, dans laquelle elle montre en particulier comment les évêques de Metz se sont attachés à sanctifier leur ville, en la dotant de nombreuses reliques.

Metz est aussi au cœur de la contribution de Felix Schaeffer, qui étudie la réactivation du souvenir d’Arnulf, après qu’en 869 Charles le Chauve put rattacher l’ouest de la Lotharingie à son royaume. Les questions mémorielles sont à nouveau abordées par l’article de Gordon Blennemann, qui étudie la gestion des paroisses des abbayes féminines de Metz, en montrant qu’elles s’attachèrent à enraciner les droits paroissiaux qu’elles exerçaient dans les derniers siècles du Moyen Âge dans la mémoire de leurs origines, en travaillant sur leurs chartriers.

La quatrième partie de l’ouvrage est consacrée aux questions identitaires. Jens Schneider présente une contribution sur les langues parlées en Lotharingie avant 1100, en soulignant la complexité d’une question, qui a trop souvent été perçue à travers la question réductrice de la »frontière linguistique«, avant de présenter le corpus des 18 textes lotharingiens en langue vernaculaire des IXe, Xe et XIe siècles. Thomas Bauer revient dans sa contribution sur la thèse de Jens Schneider, qui s’était attaché à remettre en cause l’identité du regnum Lotharii qu’il considère pour sa part comme une réalité.

Dans une étude consacrée aux relations entre les chanoines réguliers lorrains et la papauté au temps de la querelle des investitures, Hannes Engl souligne que le pape ne constituait guère alors qu’une »instance réagissante«, dans la mesure où il n’intervenait qu’à la demande des acteurs locaux et non de sa propre initiative. Jean-Pol Evrard consacre une contribution érudite à un étonnant acte de l’évêque Thierry de Verdun pour la collégiale Marie-Madeleine, qui comporte beaucoup d’éléments troublants, dont le moindre n’est pas l’intégration dans l’empreinte du sceau épiscopal de la marque d’une dent attribuée à Madeleine, sans toutefois parvenir à conclure sur l’authenticité et la nature de cet acte atypique. Enfin, Klaus Krönert présente un bilan des travaux récents et des programmes de recherche en cours sur l’hagiographie de l’espace lotharingien, en en montrant le dynamisme et en soulignant l’apport des travaux philologiques et la mise en évidence des identités historiques locales.

Dans leurs conclusions, rédigées de nouveau en français et en allemand, Tristan Martine et Jessika Nowak soulignent l’intérêt historiographique du Zwischenreich lotharingien, dans la mesure où il offre un terrain concret permettant un dialogue entre les historiographies allemande et française. Ils soulignent la complexité de la communication entre ces deux écoles, fondées sur des traditions historiographiques et des approches problématiques bien différenciées. Ils montrent toutefois que l’approche croisée, qui a été permise ces dernières années par toute une série de colloques et la multiplication des échanges en particuliers doctoraux, fait évoluer les choses en soulignant que plusieurs historiens arrivent désormais à s’emparer des problématiques impulsées par leurs collègues venus de l’autre côté de la frontière historiographique, pour les réinsérer dans leurs propres traditions érudites. Tel est en effet l’intérêt principal de l’étude de ces espaces de l’entre-deux, dont le développement est essentiel à la constitution d’une véritable historiographie européenne, qui pour l’heure reste encore à construire.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laurent Ripart, Rezension von/compte rendu de: Tristan Martine, Jessika Nowak (dir.), D’un regnum à l’autre. La Lotharingie, un espace de l’entre-deux?, Nancy (Presses universitaires de Nancy – Éditions universitaires de Lorraine) 2020, 394 p. (Archéologie, Espaces, Patrimoines), ISBN 978-2-8143-0570-0, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2021/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83632