Ce volume vient s’ajouter comme un complément aux ouvrages publiés précédemment par Michael J. K. Walsh sur Famagouste1, ce qui fait que Famagouste est particulièrement bien étudiée ces dernières années. Ici l’amplitude temporelle est plus large, du Moyen Âge au XXe siècle, avec cependant une insistance sur les XIVe et XVe siècles. Le livre est issu des travaux présentés à un atelier tenu à Padoue en 2017. Ainsi qu’il est maintenant de coutume, la bibliographie n’est pas rassemblée à la fin du volume, mais est spécifique à chacune des treize contributions, vues ici dans un ordre plus ou moins chronologique.

Dans son introduction, »Old Ships [Sail] Like Swans Asleep […] for Famagusta and the Hidden Sun« (p. 1–42), Michael K. J. Walsh trace une utile esquisse de l’histoire du port de Famagouste, de sa fondation vers 964 à nos jours. La piété des marins est le thème de la contribution de Michele Bacci, »A Holy Site for Sailors: Our Lady of the Cave in Famagusta« (p. 43–71). À la suite de la prise d’Acre en 1291, la ville était devenue le centre où les rois de Chypre étaient sacrés rois de Jérusalem et on conservait un certain nombre de reliques dans les églises de la ville. Parmi celles-ci, les marins considéraient que Notre-Dame de la Grotte les protégeait pour la traversée du golfe de Satalie (Antalya) dans lequel ils ne pouvaient faire escale nulle part – car en territoire turc.

Les horizons de Tomasz Borowski sont plus lointains. Au moyen de comparaisons architecturales principalement ecclésiastiques, il reconstitue, dans »Placed in the Midst of Enemies?« (p. 72–112), le réseau d’influences entre Famagouste et l’Europe latine, Byzance, les États croisés d’Orient, les chrétiens syriens, la Cilicie et l’Arménie, le Sinaï, l’Égypte, la Nubie et l’Éthiopie. La lectrice et le lecteur regrettent que les illustrations soient si petites.

Ahmet Usa, dans »Maritime Slave Trading in Fourteenth-Century Famagusta« (p. 170–183), étudie le commerce des esclaves, turcs, sarrasins, mongols, grecs, au début du XIVe siècle à travers principalement les actes notariés génois. De son côté, Mike Carr s’intéresse au commerce et aux relations maritimes de Famagouste avec l’État mamelouk par le biais des licences papales délivrées entre 1340 et 1375, dans »Between the Papal Court and the Islamic World: Famagusta and Cypriot Merchants in the Fourteenth Century« (p. 113–129). Les rois de Chypre, bien introduits à la Curie, étaient les premiers bénéficiaires, puis des proches et des membres de grandes familles; relevons Benoît de Sassolis, prêtre de Nicosie, afin de faire le pèlerinage de Jérusalem (un des tout premiers lors de la reprise du pèlerinage aux Lieux saints); la licence accordée en 1344 au duc Pierre de Bourbon et à sa sœur Marie, veuve du prince héritier Guy de Lusignan, n’était pas pour faire du commerce, mais pour rapatrier Marie de Bourbon en France. Nicholas Coureas se focalise sur deux produits, le savon et l’huile d’olive, objets d’exportation à partir du port de Famagouste, dans »The Export of Soap and Olive Oil from the Port of Famagusta in the Fourteenth and Fifteenth Centuries« (p. 159–169). Le savon était exporté à Acre au XIIIe siècle, à Tarse, en Cilicie au XIVe siècle, à Rhodes au XVe siècle, l’huile d’olive à L’Ayas, en Cilicie.

À la suite de la guerre de 1373–1374 entre Chypre et Gênes, qui vit celle-ci s’emparer de Famagouste, les vainqueurs dressèrent une liste de leurs prisonniers. On en connaissait deux copies, Pierre-Vincent Claverie, dans »Starting Point of the Genoese Thalassocracy in Cyprus: An Unpublished Roll of Knights and Squires Imprisoned in Famagusta« (p. 145–158), en présente savamment une troisième inédite, recopiée par l’historiographe savoyard Samuel Guichenon au XVIIe siècle: l’édition »comparative« aurait été plus instructive en mettant face à face les mêmes noms, montrant mieux ainsi les différences entre les listes, même si elles sont indiquées dans le texte.

Par la prise de Famagouste, les Génois avaient une nouvelle base pour leur puissance et leur commerce, ce que présente Antonio Musarra dans »The Role of Famagusta in Genoese Maritime Routes between the Fourteenth and Fifteenth Centuries« (p. 130–143). À partir d’un dépouillement des archives génoises, l’auteur a recensé environ 250 voyages de Gênes vers le Levant entre 1380 et 1421: seulement 15% sont en rapport avec Chypre, l’essentiel des voyages étant en direction de Chio et de la Romanie, donc Famagouste n’était pas aussi importante pour Gênes.

La Famagouste vénitienne est évoquée au moyen de ses défenses comparées à celles d’autres citadelles vénitiennes en Méditerranée, Corfou, La Canée, Kotor, Nauplie et Candie, par Dragos Cosmescu dans »Sea Defenses in the Renaissance: Famagusta in Comparative Venetian Perspective« (p. 184–199). William Spates étudie l’image de Chypre et de Famagouste vers 1600 dans »Power, Peril and Maritime-Trade Wish Fulfillment in Thomas Dekker’s ›The Pleasant Comedy of Old Fortunatus‹« (p. 200–217). Avec cet interlude, Dekker met en scène le mendiant Fortunatus, à qui Fortune a donné une bourse inépuisable et qui va rejoindre ses deux fils en Chypre.

Lucie Bonato montre l’intérêt des voyageurs et agents consulaires français pour Famagouste de la fin du XVIe siècle au XIXe siècle, avec »The Harbor of Famagusta during the Ottoman Period in French Travelogues and Consular Archives« (p. 218–238), tandis qu’Azu Tozan se penche sur l’aménagement du port durant la période anglaise, dans »The Development of Famagusta Harbor during the British Colonial Period (1878–1960)« (p. 239–263).

C’est durant la période britannique que Chypre est devenue une destination touristique (et même plus car Lawrence Durrell a voulu s’y installer en 1953), ce qui a entraîné la construction d’équipements hôteliers à Famagouste, objet de l’étude de Marko Kiessel, »Famagusta on Cyprus and the Sea: Hotel Architecture, Urban Development and Tourism during the British Colonial and Early Postcolonial Period« (p. 264–296).

Bien qu’un peu disparate (et on peut se demander à quoi peut servir un index étique de quatre pages), ce volume est une belle addition à ceux déjà publiés sur Famagouste, qui n’aura bientôt aucun secret pour les chercheuses et les chercheurs.

1 Les ouvrages les plus importants à citer sont: Michael J. K. Walsh, Peter W. Edbury, Nicholas S. H. Coureas (dir.), Medieval and Renaissance Famagusta. Studies in Architecture, Art and History, London 2017; Michael J. K. Walsh, Tamás Kiss, Nicholas S. H. Coureas (dir.), The Harbour of All This Sea and Realm. Crusader to Venetian Famagusta, Budapest 2014 (CEU Medievalia, 17); Michael J. K. Walsh (dir.), City of Empires. Ottoman and British Famagusta, 1571–1960, Newcastle upon Tyne 2016 (Cyprus Historical and Contemporary Studies). Rappelons d’autre part le volume dirigé par Annemarie Weyl Carr (dir.), Famagusta, vol. 1: Art and Architecture, Turnhout 2014 (Mediterranean Nexus 1100–1700, 2).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Michael J. K. Walsh (ed.), Famagusta Maritima. Mariners, Merchants, Pilgrims and Mercenaries, Leiden (Brill Academic Publishers) 2019, XX–300 p. (Brill’s Studies in Maritime History, 7), ISBN 978-90-04-36431-8, EUR 116,00., in: Francia-Recensio 2021/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83645