Thomas Wozniak livre une véritable somme sur les événements naturels au haut Moyen Âge. Dans un champ d’études historiques qui remonte à plus de deux siècles, l’analyse embrasse les événements naturels proprement dits et leur résultante sous la forme de pénuries, de fléaux et de maladies. Le livre est solidement bâti sur les savoirs scientifiques que les sciences de la terre et de l’environnement fournissent à profusion depuis trois décennies, avec le souci de les croiser avec le matériau historique qui est au cœur de la réflexion. Dégager la norme de l’exception est toujours extrêmement difficile.

Ce sont donc les événements extrêmes qui occupent l’essentiel du propos, autour de trois axes: leur reconstruction à partir des données et des modèles fournis par les paléosciences, leur impact historique dans la société et dans l’environnement, et l’histoire de leur perception et de leur interprétation. Wozniak s’appuie sur deux classes d’événements, qui occupent près de la moitié du livre: astronomiques et géologiques (p. 73–350); et météorologiques (p. 351– 549). Le climat, dont les fluctuations répondent à des temporalités plus longues, est délibérément laissé de côté au profit de l’événement, ce qui détermine évidemment les références aux proxys climatiques et à leur modélisation à celles dont le degré de précision approche la temporalité de l’événement historique. Pour chaque phénomène, l’auteur fournit des définitions scientifiques et un état de l’art extrêmement précieux, avant d’entreprendre le croisement avec les sources écrites.

Dans l’espace géographique principal, qui correspond grosso modo à l’empire de Charlemagne à son apogée, et aux îles Britanniques, couvrant l’Europe centrale et du Nord, et la Méditerranée, Wozniak a conduit une enquête heuristique qui ne laisse aucun témoin historique de côté, en fournissant une traduction et un commentaire, ainsi que la citation originale. Pour chaque classe d’événements, le déroulé va systématiquement de la description scientifique à la documentation historique, en passant par les systèmes anciens de savoir, qui guident leur perception et leur interprétation par les témoins lettrés: la Bible et les savoirs scientifiques de l’Antiquité transmis par les compendiums de l’Antiquité tardive, par les Pères de l’Église et par les traités d’Isidore de Séville et de Bède le Vénérable.

Nous avons donc ici un instrument de travail extrêmement précieux et un point de départ incontournable à toute enquête systématique sur le système climatique et l’environnement. Le plan choisi a la force incontestable et l’efficacité de l’inventaire, mais il en a également les inconvénients. Il isole les unes des autres les différentes classes d’événements, et fait perdre le contexte politique et social dans lequel ils sont insérés, dans les mentions des sources écrites, et dans la manière globale dont les contemporains pouvaient les appréhender. Une vue synoptique est certes reconstituée par une table chronologique par classes (tabl. 87, p. 845–872), mais il conviendra, pour poursuivre, de se référer à chacun des sous-chapitres correspondants.

Le quatrième chapitre (p. 549–710) regroupe les effets et les conséquences des événements extrêmes, physiques et météorologiques selon une classification calquée sur la perception médiévale de la nature: invasion de sauterelles et de criquets, moyens de subsistance et famines, épidémies et maladies humaines et animales, avec des excursus sur l’ergotisme, les marques en forme de croix sur les vêtements, et les vendanges. Le dernier chapitre (p. 711–766), avant la conclusion (p. 767–803) analyse les manières dont les sociétés occidentales de 600 à 1100 se sont adaptées, ont instrumentalisé et représenté les événements naturels.

Wozniak étudie en particulier les topos qui structurent et conditionnent les manières dont les témoins les perçoivent, les décrivent et les interprètent, selon des schèmes eschatologiques et cosmologiques, en référence à la Bible, ou comme des signes et des prodiges. Contre un déterminisme climatique qui décrit les sociétés médiévales comme incapables d’interagir et de répondre aux chocs naturels, l’auteur rappelle les principales manières, idéologiques ou politiques, dont elles se sont organisées. Le diable se dissimule comme toujours dans les détails. Embrassant au total plus de 1170 événements (et par conséquent, près d’une dizaine de milliers de mentions), il était impossible de tout lire.

La Vie de Benoît d'Aniane rédigée vers 825 par un témoin oculaire, Ardo Smaragde, moine et compagnon de Benoît, décrit une »faim gravissime« durant laquelle les moines furent réduits à distribuer aux affamés qui avaient afflué à la porte du monastère de la viande de bœuf et de mouton, et du lait de brebis, faute de pain«. Comme l’a suggéré Walter Kettemann1, cet événement non daté doit être rapproché de la famine de 792–794, mentionnée dans la chronique d’Aniane/Moissac (»en Italie et en Bourgogne et dans quelques lieux en Francia et aussi en Gothie et en Provence«), durant laquelle un épisode analogue intervient en Italie centrale durant le Carême 793, et non avec la famine mentionnée par un petit groupe de sources rhénanes en 779. Mais il s’agit, bien évidemment, d’un point de détail, qui n’enlève rien à une œuvre historique aussi ample, qui est appelée à rendre des services inestimables à des générations d’historiens.

1 Walter Kettemann, Subsidia Anianensia. Überlieferungs- und textgeschichtliche Untersuchungen zur Geschichte Witiza-Benedikts, seines Klosters Aniane und zur sogenannten »anianischen Reform«; mit kommentierten Editionen der »Vita Benedicti Anianensis«, »Notitia e servitio monasteriorum«, des »Chronicon Moissiacense, Anianense« sowie zweier Lokaltraditionen aus Aniane, thèse de doctorat, Duisbourg 2008, p. 153 (https://bibliographie.ub.uni-due.de/servlets/DozBibEntryServlet?id=ubo_mods_00030769 [14/09/2021]).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jean-Pierre Devroey, Rezension von/compte rendu de: Thomas Wozniak, Naturereignisse im frühen Mittelalter. Das Zeugnis der Geschichtsschreibung vom 6. bis 11. Jahrhundert, Berlin, Boston (De Gruyter Oldenbourg) 2020, XXIII–970 S., 10 s/w, 5 farb. Abb., 72 Tab. (Europa im Mittelalter, 31), ISBN 978-3-11-057231-5, EUR 149,95., in: Francia-Recensio 2021/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83711