Ce volume édité par Thomas Willard rassemble treize contributions présentées en 2018 à la conférence annuelle de l’Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies. La publication trouve son fil conducteur dans la volonté des différents intervenants de situer leurs recherches dans une perspective »écocritique«, en plaçant au centre de leurs analyses les relations entre humains et non-humains, et entre êtres vivants et environnement physique. Au-delà de cette intention commune, on ne trouvera guère d’unité dans cet ensemble assez disparate. Plusieurs textes présentent en outre une forme de »surcharge« théorique qui doit beaucoup au linguistic turn, mais se fait au détriment de la matière proprement historique.

Après une introduction de Thomas Willard, Michael Bintley (»Reading Early Medieval Landscape and Environment: Materially Engaged Approaches to Documentary Sources«, p. 3–20) ouvre le volume avec une analyse de la délimitation d’un territoire disputé dans une charte de Beornwulf de Mercie au concile de Clofesho en 824. À des fins d’analyse, il emprunte au neuropsychologue américain Karl Spencer Lashley (1890–1958) le concept d’»exogramme«, pour désigner une trace mémorielle dans sa forme écrite. Il suggère ensuite de qualifier d’»exogrammaire« la pratique discursive qui aboutit à la construction de ce type d’objet mémoriel.

On aurait aimé, si c’était réalisable, disposer d’une interprétation cartographique du document, voire d’une analyse transversale des clauses de délimitation dans les chartes anglo-saxonnes (esquissée p. 10–11). Bintley applique la notion d’exogramme à un autre texte littéraire du VIIIe siècle en ancien anglais, la »Mildrith Legend« qui décrit les paysages de Gloucester et de Folkestone, ainsi que la circulation des reliques d’Oswald. En somme, ces nouveaux concepts apportent peu à une bibliographie déjà riche consacrée à la délimitation de l’espace au Moyen Âge, tout en laissant de côté les progrès récents des neurosciences cognitives dans le domaine de la perception et de la représentation cérébrale de l’espace.

Albrecht Classen place l’écocritique au centre de ses réflexions sur la rivière dans l’œuvre de Wolfram von Eschenbach (»Rivers as Critical Boundaries in Wolfram von Eschenbach’s ›Parzival‹ and ›Titurel‹: Ecocritical Perspectives in Medieval German Literature«, p. 21–34). Si la recherche apporte de nouveaux éléments sur la dimension narratologique de l’œuvre d’Eschenbach, l’étude met en lumière des thèmes finalement assez banals. La rivière y symbolise simultanément l’obstacle et le franchissement. Elle sert de limite au locus amoenus assigné à Parsifal par sa mère pour le protéger de la tentation des exploits chevaleresques. Franchir la rivière apparaît également comme un rite de passage, et comme la démarcation entre la vie et la mort.

Todd Preston (»Feathers and Figuration: Ravens in Old English Literature«, p. 37–51) fait de judicieux emprunts à l’éthologie des corvidés. Le corbeau, qui apparaît dans plusieurs textes en Ancien anglais, n’est pas un simple lieu commun forgé sur des archétypes littéraires autour du corbeau nécrophage. Derrière les histoires de corbeaux voleurs de la Vie de saint Guthlac ou des Homélies catholiques d’Aelfric à propos de saint Cuthbert, on retrouve l’attirance des corvidés pour des objets inorganiques inconnus, voire des habitudes de don-échange entre l’oiseau et l’homme en contexte de nourrissement. La description de l’attitude corporelle du corbeau confronté à une nourriture inconnue ou inhabituelle, dans un épisode de la Vie de saint Benoît, rapportée dans les »Dialogues« de Grégoire le Grand, correspond également à des comportements observés dans la vie sauvage: Benoît avait l’habitude de partager chaque midi une tranche de pain avec un corbeau familier. Alors que l’un de ses rivaux tentait de l’empoisonner, »le corbeau, bouche ouverte et ailes déployées, se met à courir en sautillant et en croassant autour de la même miche«. On peut donc parler d’une forme de réalisme qui est destiné à renforcer la vraisemblance dans ces fictions hagiographiques, en évoquant des postures ou des scènes familières.

Les autres essais sont consacrés à la description de la nature comme éloge de l’œuvre du Créateur dans les poèmes en Ancien anglais »Daniel et Azarias« (Emma Knowles, p. 53–69), à la description du paysage du huitième cercle de l’»Enfer« de Dante (Lori J. Ultsch, p. 89–100), aux notions de corruption et de rédemption dans l’»Álla Flekks Saga« (Tiffany Nicole White, p. 101–118), à la représentation du parc à gibier dans une copie du XVe siècle (BNF, ms. franç. 616) du »Livre de chasse« de Gaston Phébus (Rebekah L. Pratt-Sturges, p. 119–138), aux illustrations (Madrid, Real Biblioteca, II/3042) de la »Chronique de Nicaragua« de Gonzalo Fernández de Oviedo (Sarah H. Beckjord, p. 141–157), aux paysages chez Pierre Bruegel l’Ancien (Catherine Schultz McFarland, p. 159–175), à la métaphore équestre dans l’»Astrophil and Stella« de Philip Sidney (Jennifer Bess, p. 177–196) au thème des arbres sauvages chez William Shakespeare (Grace Tiffany, p. 197–208) et enfin, à la politique de la nature dans »Macbeth« (Seth Swanner, p. 209–227).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jean-Pierre Devroey, Rezension von/compte rendu de: Thomas Willard (ed.), Reading the Natural World in the Middle Ages and the Renaissance. Perceptions of the Environment and Ecology, Turnhout (Brepols) 2020, XXII–232 p., 16 fig. (Arizona Studies in the Middle Ages and the Renaissance, 46), ISBN 978-2-503-59044-8, EUR 75,00., in: Francia-Recensio 2021/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.3.83713