On compte un certain nombre de recueils de sources allemandes concernant la Réformation. Citons notamment le tome 3 de la »Deutsche Geschichte in Quellen und Darstellung, Reformationszeit 1495–1555« (Stuttgart 2001) et le tome 3 de la série »Kirchen- und Theologiegeschichte in Quellen«, Reformation (Neukirchen-Vluyn 2005). Le présent volume emprunte d’ailleurs un certain nombre de textes au second de ces manuels. Tout comme ce manuel, révisé par Volker Leppin, l’ouvrage édité par Judith Dieter, doctorante à l’université de Gießen, et Markus Wriedt, professeur à l’université de Francfort-sur-le-Main, consiste en la refonte d’un recueil de sources plus ancien: le »Livre de la Réformation« (»Buch der Reformation«) fut édité pour la première fois en 1917 par le bibliothécaire Karl Kaulfuß-Diesch (1880–1957). En 1967, Helmar Junghans (1931–2010), éminent connaisseur de la Réformation, avait remis sur le métier l’ouvrage de Kaulfuß-Diesch sous le titre »Die Reformation in Augenzeugenberichten«, qui fut réédité à plusieurs reprises jusque dans les années 1980; la présente édition du »Buch der Reformation« le cite à maintes reprises. De leur côté, en 1989, Detlef Plöse et Günter Vogler s’étaient fondés explicitement sur le »Buch der Reformation« (ils en avaient même repris le titre), mais en lui donnant une orientation marxiste qui mettait l’accent sur la Réformation comme révolution.
La présente anthologie, agencée en cinq sections, possède donc non seulement un certain nombre de concurrentes, mais encore plusieurs devancières. Elle n’en présente pas moins une grande utilité, ne serait-ce qu’en raison du grand nombre de textes (191) qu’elle renferme, ce que lui permet son assez grand format et son nombre de pages conséquent. Elle ne se limite d’ailleurs pas à la Réformation stricto sensu: la première section (»Voraussetzungen«, p. 21–101, no 1–36) renferme maintes sources qui ont trait à l’humanisme, mais également une relation de la chute de Constantinople (1453, no 2) ou encore la mention, par Jacques Wimpfeling, de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg (il la situe à Strasbourg, no 1).
Les 50 documents de la section 2, »Die Anfänge der Reformation«, se rapportent aux années 1517 à 1521 – soit depuis l’instruction sommaire d’Albert de Brandebourg (no 38) jusqu’aux suites immédiates de la diète de Worms et la mise à l’abri de Luther à la Wartburg (no 82). On y trouve les principaux documents qui balisent la rupture de Luther avec Rome, depuis ses 95 thèses sur le pouvoir des indulgences (no 43) jusqu’aux récits de sa comparution à Worms rédigés par ses partisans (Lazare Spengler, no 77) ou ses adversaires (Jean Cochläus, no 78). Ne figure pas parmi les sources présentées sa »Dispute contre la théologie scolastique« de 1517; on trouve en revanche les 151 thèses que son collègue Andreas Karlstadt avait consacrées peu avant au même sujet (no 42). Toutefois, ce document est présenté de manière tellement lacunaire (les seules thèses no 1–7, 24, 60 et 84) qu’il est presque inintelligible.
Sous le titre »Die Wittenberger Bewegung », la section 3 (no 87–137) regroupe des documents en lien étroit avec les débuts de la Réformation à Wittenberg, à commencer par les troubles contemporains de l’exil de Luther à la Wartburg: les traités des réformateurs au nombre desquels ceux de Karlstadt, qui souvent avait été marginalisé par l’historiographie, sont fort bien représentés; des écrits provenant des autorités civiles ou adressés à elles, qu’il s’agisse de la cour de Saxe ou du conseil de la ville de Wittenberg. Toutefois, cette section renferme également, dans la sous-section »Spiritualismus und Täufertum«, des écrits qui relèvent à proprement parler des »non-conformistes de la Réformation« (S. Franck, H. Denck, M. Hoffmann, B. Hubmaier, H. Hut, K. Schwenckfeld) et non pas du »mouvement de Wittenberg«, même compris au sens le plus large. Les spécialistes de Zwingli et de Calvin seront, sans doute, désagréablement surpris de constater que ces deux grands réformateurs, dont la dette envers Luther est de plus en plus contestée, sont eux aussi inclus dans la « Wittenberger Bewegung » – il est vrai dans la sous-section »Abendmahlsstreit und Marburger Religionsgespräch« (no 129–137). On regrettera d’ailleurs que soit absent de cette sous-section Martin Bucer, principal artisan du dialogue entre les »luthériens« et les »zwingliens«.
On ne trouve pas davantage Bucer à la section suivante (no 138–187), puisqu’elle s’arrête en 1530: »Die Entwicklung im Reich zwischen 1521 et 1530«. Pourtant, la signature en 1536 de la concorde de Wittenberg entre Saxons et Allemands du Sud a constitué un événement majeur et fut en quelque sorte l’ancêtre des accords œcuméniques du XXe siècle. En revanche, on saluera dans cette section la présence de maints écrits de femmes publicistes de la Réformation, à commencer par ceux de la Strasbourgeoise Catherine (elle est faussement appelée Élisabeth, p. 334!) Zell, née Schütz: son apologie pour son époux Matthieu (et pour le mariage des clercs, no 148); sa lettre de réconfort aux femmes de Kentzingen (no 149). Les anciennes moniales Ursula von Münsterberg (no 150) et Florentina von Oberweimar (no 151) justifient par leurs libelles leur passage à la Réformation, tandis que l’abbesse Caritas Pirckheimer (no 152–153) plaide pour le maintien de son couvent de Clarisses à Nuremberg et fustige le fait qu’en 1525, de jeunes sœurs ont été arrachées par la foule à la vie conventuelle. Cette quatrième section se clôt sur des documents en lien avec la diète d’Augsbourg (1530), lors de laquelle la »Confutatio« des partisans de la foi traditionnelle (voir no 184 et 186) fut opposée à la »Confessio Augustana« des luthériens (no 182–183).
Les quatre documents de la dernière et brève section ont trait à la mort de Luther (1546; no 188–190) et à la paix d’Augsbourg (1555, no 191).
Au total, il s’agit d’un volume assez complet, agencé de manière extrêmement claire (chaque document est précédé par un encadré renfermant une courte notice et il est suivi par l’indication de sa source et par une bibliographie plus ou moins développée) et qui s’efforce de faire droit à la diversité de la Réformation: si Wittenberg se taille la part du lion, les réformateurs de Zurich, de Bâle et de nombre de cités d’Allemagne du Sud, ainsi que les »dissidents« religieux, ne sont pas absents. Cet ouvrage témoigne également de la grande variété des genres littéraires dont se sont servis les partisans de la Réformation et leurs adversaires: correspondances épistolaires; écrits théologiques, à commencer par les thèses destinées à des disputationes; littérature pamphlétaire (Flugschriften), qui elle-même peut revêtir les formes les plus diverses; prédications; documents de type liturgique, etc.
Aussi, les critiques qu’on adressera à cet ouvrage sont mineures, et elles concernent principalement l’appareil critique. Çà et là, la manière de citer les sources ne manque pas de surprendre. C’est ainsi que la fameuse lettre par laquelle, le 1er mai 1518 (sauf erreur de notre part, les éditeurs n’en donnent pas la date), Martin Bucer a rapporté de manière enthousiaste sa rencontre avec Luther lors de la dispute de Heidelberg est citée d’après l’édition des œuvres de Luther (WA 9, 162, 1–13; cité p. 128) alors qu’il aurait fallu indiquer l’édition de référence de sa propre correspondance1.
Par ailleurs, à lire les bibliographies des différents documents, les lecteurs du présent ouvrage sont censés connaître, outre l’allemand, la langue de Shakespeare, mais en aucune manière celle de Molière. C’est ainsi que n’ont pas droit de cité les travaux de Marc Lienhard sur Thomas Murner ou de Francis Rapp sur Geiler de Kaysersberg, sans même parler des recherches publiées récemment en français sur les 95 thèses2. Même la bibliographie relative à la lettre par laquelle, le 25 novembre 1544 (il est à noter que l’édition de référence de la correspondance de Bullinger la date du 15 novembre3), Calvin s’exprime au sujet de Luther (no 137) ne comporte pas le moindre titre en français!
On n’en saluera pas moins la parution de cet important recueil, dont un index des noms (p. 415–423) et un index des lieux (p. 425–429) facilitent la consultation.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Matthieu Arnold, Rezension von/compte rendu de: Judith Dieter, Markus Wriedt (Hg.), Buch der Reformation. Quellen und Zeugnisse zum frühen Reformationsgeschehen im deutschen Sprachraum. Auf der Basis des gleichnamigen Werkes von Karl H. Kaulfuß-Diesch, Göttingen (Vandenhoeck & Ruprecht) 2021, 429 S., ISBN 978-3-525-56727-2, EUR 60,00., in: Francia-Recensio 2021/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.4.84980