Le »Journal« de Gilles de Gouberville, seigneur du Mesnil-au-Val, aujourd’hui dans le département de la Manche, et de Russy, aujourd’hui dans le département du Calvados, fait parti des sources essentielles pour qui veut aujourd’hui étudier la vie quotidienne sous tous ses aspects dans les campagnes françaises durant le XVIe siècle. Le document ainsi dénommé, on pourrait aussi bien le nommer »Livre de raison« faute de pouvoir lui trouver une désignation précise, couvre une période allant de mars 1549 à mars 1562. L’invention de deux registres dans un manoir de Saint-Germain de Varreville, par l’abbé Tollemer allant de 1553 à 1563, suivi d’une seconde invention d’un dernier registre au château de Saint-Pierre-Église, en 1886, couvrant la période de 1549 à 1552 conduit à terme à son édition en 1892 et 1895, par Eugène de Robillard de Beaurepaire et Auguste Leviconte de Blangy dans les »Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie«.
Ces éditions présentent cependant des erreurs de transcription et il est logique qu’une nouvelle édition de l’ensemble voit le jour. Le problème réside dans le fait que les registres originaux ont disparu. Pour les registres découverts par l’abbé Tollemer, les éditeurs de la nouvelle édition, Marcel Roupsard et Philippe René-Bazin, membre de l’Institut, ont disposé de la transcription de l’ecclésiastique et d’une copie partielle, 20 pour cent du texte, par son élève Léopold Delisle alors directeur de la Bibliothèque nationale de France, de quelques calques et une photographie d’une page de l’original. Pour le dernier registre, les matériaux de comparaison sont plus nombreux parmi lesquels il faut citer les notes de Paul Lecacheux, archiviste de Seine-Maritime, réalisée à la fin des années 1930, qui pour l’occasion a été assistée de sa fille, Marie-Josèphe Lecacheux, future archiviste du Calvados. Un certain nombre de corrections ont pu alors être réalisées dont les modalités sont présentées par Marcel Roupsard en tête du second volume.
Outre l’immense travail de correction, le document présente les attendus de ce genre de production. La préface d’Yves-Marie Bercé et l’introduction de Marcel Roupsard se trouvent en tête du premier volume: elles se répètent tout en se complétant pour donner l’historique des manuscrits, des travaux qui lui sont liés et de l’intérêt historique de l’ensemble et les règles d’édition déjà évoquées. Avant le texte proprement dit, dans chaque volume, il a été placé un encadré avec les remarques de l’éditeur contenant la signification des abréviations et une présentation rapide des proches de Gilles de Gouberville. Dans le même ordre d’idée, un folio amovible composé de six cartes à différentes échelles permet de se repérer. Il est possible, pour l’une ou l’autre, de les retrouver comme deuxième ou troisième de couverture des volumes I et II ou encore dans la partie finale de chaque volume. Il est à noter que la carte du Nord-Ouest de la France présentant les déplacements de Gilles de Gouberville à Rouen et à Blois ignore l’île de Jersey.
Pour mieux suivre le contenu du texte, un certain nombre d’annexes ont été placées à la fin de chaque volume. Parmi ceux-ci, il convient de signaler à la fin du premier volume, une étude de Stéphane Laîné sur la langue de Gilles de Gouberville qui met en évidence que le français du gentilhomme cotentinais présente une langue en pleine mutation, que ce dernier est plutôt conservateur quant aux formes et au vocabulaire et qu’il utilise un français mêlé de dialectalisme permettant de considérer la morphologie, la syntaxe et le lexique pratiqué. Parmi les annexes du second volume figure la bibliographie des ouvrages utilisés pour la présente édition qui, classiquement, aurait dû se trouver en tête du premier volume, ainsi qu’une bibliographie complète des travaux réalisés à partir du ou en lien avec le manuscrit sous la plume de Jacqueline Vastel. Par contre, la partie concernant le droit normand et les hiérarchies normandes doit être consultée prudemment. Un exemple suffit, pour confirmer cette réserve, la définition du mot ordre: »Classes de personnes exerçant une fonction publique et règles qui leurs sont particulières. Ex : ordre des avocats« (vol. II, p. 456).
Le troisième volume comporte deux annexes de bonne facture: un dictionnaire des personnes citées dont les notices ont été réalisées par les auteurs de l’édition et Julien Deshayes auquel succède un tableau intitulé: »Les lieux goubervilliens« offrant les coordonnées GPS des lieux cités. Cet ensemble a un défaut qui pourrait être majeur, il ne comporte aucune indexation avec le texte. Ce défaut n’en est pas un car la réalisation de la nouvelle édition du »Journal« a donné lieu à une numérisation par le laboratoire »Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française« relevant du CNRS et de l’Université de Lorraine disponible sur www.atilf.fr/dmf/JournalGouberville comprenant une indexation complète de l’ensemble dont le lexique goubervillien définissant les termes absent du Dictionnaire du Moyen Français du laboratoire lorrain (www.atilf.fr/dmf/) placé à la suite de l’article de Stéphane Laîné dans le premier volume.
Au total, le travail réalisé par le Comité Gilles de Gouberville présidé par l’amiral Édouard Guillaud est le fruit de plusieurs années de travail collectif dont rend compte un certain nombre d’annexes ne comportant aucune signature. Si ce n’est le texte de l’édition, le lecteur ou le chercheur qui a besoin d’un complément d’information doit alors prendre des chemins qui le conduisent d’un volume à l’autre en passant par le site de l’ATILF. À l’entrée de la forêt de Brix, Gilles de Gouberville est lieutenant des Eaux-et-Forêts pour la vicomté de Valognes, ou plutôt au début du volume III, Hugues Daussy se penche sur la curiosité du noble cotentinais pour la Réforme dont les prémices et les soubresauts locaux apparaissent dans son »Journal«. Pourtant ce dernier ne semble pas s’être converti au calvinisme faisant preuve de prudence face à des évènements où il pourrait risquer son patrimoine si ce n’est sa vie qu’éclaire cette nouvelle édition.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Éric Barré, Rezension von/compte rendu de: Gilles de Gouberville, Journal (1549–1562). Édition du Comité Gilles de Gouberville, établie par Marcel Roupsard et Philippe René-Bazin, 3 vol., Saint-Lô (Archives départementales de la Manche; Maison de l’histoire de la Manche) 2020, 539; 491; 546 p., ISBN 978-2-86050-040-1; 978-2-86050-041-8; 9978-2-86050-042-5, EUR 17,00/vol., in: Francia-Recensio 2021/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.4.84982