Le nouveau volume du dictionnaire des concepts socio-politiques en France de 1680 à 1820 traite des concepts d’»opinion publique« (Christine Vogel), de »Révolution, révolutionnaire« (Rolf Reichardt) et de »Contre-révolution« (Friedemann Pestel). Le concept d’opinion publique est considéré comme une notion autonome, tout en s’inscrivant dans un champ lexico-sémantique où sont attestées les lexies d’»esprit public«, de »conscience publique«, d’»opinion générale« et d’»opinion nationale«. Dans la mesure où il est question d’un concept d’opinion publique cristallisant les nouveaux processus de communication des Lumières, l’apport de l’analyse d’Habermas sur l’espace public acquiert ici une grande importance conceptuelle. Il n’en demeure pas moins que le concept d’opinion publique dispose de sa propre rationalité discursive par le fait d’un espace lexical où se matérialisent divers liens au public, à l’opinion dès le temps de la préfiguration des Lumières, et bien sûr durant le temps des Lumières et de la Révolution française. À ce titre, le concept d’opinion publique renvoie à un espace de controverses lui conférant un statut de »puissance invisible«. Au regard du contemporain, le concept d’opinion publique symbolise le triomphe des »populismes« durant la Révolution française, ne serait-ce qu’à travers la mention de l’existence d’un »bureau d’esprit public«. Christine Vogel conclut alors sur l’historicité constitutive du concept d’opinion publique de l’Ancien Régime à la Révolution française.

Rolf Reichardt présente le trajet du concept de Révolution sur une centaine de pages et en trois temps: il est d’abord question de ses fondements au cours de l’Ancien Régime, puis de son actualisation du temps des Lumières avec »La Révolution d’Angleterre« et »La Révolution de l’Amérique«. Enfin il considère sa forme moderne du temps de la Révolution française pour conclure sur sa réactualisation au début du XIXè siècle. Dans la perspective de l’histoire conceptuelle ouverte par Reinhart Koselleck, les fondements sémantiques du concept de Révolution sous l’Ancien Régime se précisent, au-delà de son usage astronomique, selon une modalité historiographique avec »l’Essai sur les mœurs« de Voltaire. Les implications politiques des révolutions se spécifient, avec les exemples anglais et américain, dans une dynamique spécifique de la radicalité inscrite à l’horizon de la révolution des esprits qualifiée par l’énoncé »La révolution s’est pour ainsi dire opérée« (Jean-Baptiste Target, 1788). Nulle surprise si Rolf Reichardt consacre une cinquantaine de pages à la Révolution française en y abordant les usages de »Révolution (française), révolution(s)« de manière configurationnelle.

Il importe d’abord d’y thématiser la dimension antagoniste entre aristocrates et patriotes dans les termes de l’époque: »Q. Qu’est ce que la Révolution? R. C’est l’insurrection de ceux qui n’ont rien contre ceux qui ont quelque chose« (Catéchisme des Aristocrates, 1791); »D. Qu’est ce qu’une Révolution? R. C’est l’insurrection du Peuple contre les tyrans« (Catéchisme révolutionnaire, 1793/1794). Puis, sur la base de cette double thématisation fortement contrastée, la signification processuelle de révolution(s) se précise dans une suite d’énoncés présents dans un corpus d’imprimés de 1793: »Il faut encore une révolution«, »la révolution est-elle consommée ou ne l’est-elle pas?«, »La révolution opère sur les hommes«. Plus encore la position du »Gouvernement révolutionnaire« au sommet d’institutions où »il faut des hommes révolutionnaires« tels que les »Comités révolutionnaires« confère une légitimité institutionnelle à la Révolution française, soit au concept même de révolution. Cependant le concept de révolution s’inscrit aussi, au-delà des manières d’être révolutionnaire, dans un horizon des possibles qui lui confère une dimension progressive, historiciste fortement marquée par Condorcet dans son »Esquisse d’un Tableau historique des progrès de l’esprit humain« (1793), et annoncée par Lavicomterie au nom de »la révolution de France« qui »ébranlera l’Europe entière«.

Au début du XIXe siècle, le concept de révolution conserve sa position dominante au sein du discours de l’opinion publique tout en se rationalisant, se globalisant à distance de l’événement révolutionnaire proprement dit. Si la »Révolution a parcouru toutes ses périodes« au cours du siècle précédent, il est alors tout aussi possible de développer un discours sur la »fin de la Révolution« en péjorant »la foule des révolutions«, »les préjugés révolutionnaires«, en considérant que »l’esprit révolutionnaire est de nature vacillante dans ses projets«, en particulier à l’initiative des ultra royalistes. En fin de parcours, Rolf Reichardt précise que l’ampleur du processus révolutionnaire permet son inscription centrale dans la tradition hégéliano-marxiste, tout particulièrement avec le concept de »révolution permanente« proposé par Marx lui-même.

Dans la troisième partie de l’ouvrage, Friedemann Pestel considère le concept de Contre-révolution sous ses usages multiples. Problématiser l’apparition et le développement du néologisme de contre-révolution daté de la Révolution française, à la fois dans les discours et les pratiques, nécessite d’en marquer la flexibilité tout au long d’un parcours où se confrontent toutes sortes d’acteurs et de positions. Ainsi la genèse du concept se matérialise dans un espace lexico-sémantique très diversifié sous les formes d’»anti-révolution«, de »contre-révolutionner«, de »contre-révolutionnaire«, d’»anti-révolutionnaire« et de »dérévolutionner«. Ces formes trouvent une issue positive dans la référence à l’»ancienne constitution«. Des adjectivations telles que »contre-révolution politique«, »contre révolution armée«, »contrerévolution partielle«, complètent la genèse du concept. Il s’agit alors de préciser les enjeux du concept de contre-révolution dans la lutte politique, tout particulièrement en 1793/1794, et aussi après Thermidor jusqu’au Directoire, moment qualifié par Babeuf par une thématisation à valeur de préconstruit: »C’est donc la contre-révolution qui est faite«.

Dans un second temps, l’auteur aborde le concept dans l’espace de l’émigration française, en allant de son sens minimaliste sous l’énoncé »réformer des abus« à son sens belliciste »Une révolution contre la révolution«, en passant par une solution constitutionnelle, la »contre-révolution complète«, en particulier sous l’égide d’auteurs connus dressant un scénario concernant »le contraire de la Révolution« tels que François de Montlosier et Joseph de Maistre. Quant à la situation à Saint-Domingue, elle fait peser la menace d’une »contre-révolution« avec l’arrivée possible d’émigrés sur l’île. Reste à tracer l’usage du terme dans la France postrévolutionnaire avec en son centre le souci monarchiste de faire »une contre-révolution complète« à l’encontre de l’opposition libérale proclamant »Que veut la contre-révolution? […] son besoin, son travail aujourd’hui, c’est de détruire«. Le présent volume du Handbuch, démontre une fois de plus la fécondité de l’histoire des concepts en matière d’approche sémantico-lexicale du vocabulaire politique.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Guilhaumou, Rezension von/compte rendu de: Rolf Reichardt, Hans-Jürgen Lüsebrink, Jörn Leonhard (Hg.), Handbuch politisch-sozialer Grundbegriffe in Frankreich 1680–1820. Heft 22: Opinion publique (Christine Vogel); Révolution, révolutionnaire (Rolf Reichardt); Contre-révolution (Friedemann Pestel), Berlin, Boston (De Gruyter Oldenbourg) 2021, 233 S. (Ancien Régime, Aufklärung und Revolution, 10), ISBN 978-3-11-072495-0, EUR 79,95., in: Francia-Recensio 2021/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.4.84987