L’ouvrage que nous offre Marcello Angheben est un beau livre en même temps qu’un livre scientifique, s’attelant à reprendre la question classique des portails romans. Il fournit une étude ambitieuse, qui se propose d’éclairer chaque tympan sculpté par toute la sérialité des œuvres apparentées, et en particulier les portails moins ambitieux sur la base des plus connus et mieux compris. Ce faisant, il s’inscrit aussi dans l’idée de donner du sens à des compositions peu explicites et qui n’affichent pas de programme évident, ou dont la cohérence n’apparaît qu’après une mise en perspective avec d’autres œuvres.
L’auteur procède en trois temps. Un premier chapitre fort utile présente la genèse du tympan sculpté en Bourgogne. Plus généralement, il fournit des jalons synthétiques de l’avènement de la sculpture romane dans toute la sphère d’Europe de l’Ouest dans laquelle elle s’élabore. Dans les chapitres centraux, l’auteur procède ensuite à un examen de plusieurs grands regroupements thématiques: d’abord les théophanies, sous la forme des Ascensions, des Jugements (immédiat ou dernier, dont la distinction est chère à cet auteur) et de la Pentecôte dans le cas de Vézelay, dont l’exceptionnalité justifie un développement monographique; ensuite les Vierges à l’Enfant (autour de l’œuvre-phare de Neuilly-en-Donjon), que l’auteur ne range pas explicitement dès le départ dans la catégorie des théophanies, bien qu’in fine, elles aussi constituent l’écrin d’une théophanie en la personne de l’Enfant – ce qui est souligné en conclusion.
Pour chacun de ces thèmes, l’auteur offre une synthèse de la tradition textuelle et iconographique, ainsi qu’une réflexion sur l’avènement de ces images et leur articulation avec la théologie, l’espace rituel ecclésial et des pratiques comme le pèlerinage ou le drame liturgique, ou encore des phénomènes historiques spécifiques comme la croisade.
Ces mises en perspectives thématiques permettent de produire des éléments de compréhensions nouveaux. Ils concernent au premier chef les tympans les moins étudiés, et les compositions les moins célèbres, comme les associations d’une théophanie et de divers épisodes néo-testamentaires: Cène à Saint-Julien-de-Jonzy, par exemple. Mais elles permettent aussi de renouveler les interprétations d’œuvres plus ambitieuses, telles celles de Neuilly-le-Donjon, croisant une théophanie entourée par un tétramorphe et l’articulation de trois figures féminines (Ève, Marie-Madeleine et la Vierge) dans leur rapport au péché. D’autres thèses récurrentes traversent l’ouvrage, telles l’importance de la référence eucharistique, non seulement en présence d’une Cène, mais aussi dans des compositions de Jugements derniers, la messe servant aussi de régulateur pour le salut des défunts.
Enfin, le dernier chapitre de l’ouvrage offre une reprise très utile des conclusions iconographiques qui peuvent être tirées pour chacune des œuvres examinées. Par ordre alphabétique permettant une consultation aisée, on retrouve là chacune des œuvres mentionnées depuis le premier chapitre. L’auteur fournit une caractérisation synthétique, d’un paragraphe à deux pages, à propos de l’iconographie du tympan concerné. Ce chapitre semble aussi constituer un relevé exhaustif, outil très précieux pour l’analyse quantitative des œuvres romanes.
L’ensemble de l’ouvrage est maintenu dans une permanente tension entre le souci d’analyser finement les solutions iconographiques particulières à chaque tympan: choix syntaxiques, matérialisation unique d’une série de variations sur le thème, des plus simples (Mont-Saint-Vincent) au plus complexe qu’est Vézelay, et d’autre part la nécessité de prendre en compte l’ensemble d’une large série thématique afin de restituer la logique qui l’anime, et qui en retour permet de mieux éclairer chacun des éléments. Certains chapitres, comme ceux qui portent sur l’Ascension ou la Vierge à l’Enfant, relèvent d’une logique intégratrice: description des œuvres, puis réflexion conjointe sur l’ensemble du thème. Étonnamment, le chapitre consacré aux Jugements, que l’on suppose le plus familier à l’auteur, donne lieu à une présentation plus monographique, comme s’il se refusait à se détacher des particularités de chaque œuvre parmi celles qui lui sont les plus chères. Dans tous les cas, cet ouvrage a le mérite de mettre en lumière des œuvres souvent considérées comme secondaires, et peu citées, voire à peine étudiées jusque-là.
Ces préoccupations sont concomitantes à plusieurs équipes s’attachant à étudier la sculpture romane en France. Ainsi, le livre précédent de Marcello Angheben, portant dès 2003 sur chapiteaux de Bourgogne1, dialogue évidemment avec »Le Monde Roman par-delà le bien et le mal« en 20122. Dans chacun de ces ouvrages se déploie la recherche d’une logique iconographique distincte de celle du programme. L’auteur étend ici cette réflexion aux portails, développement plus tardifs et qui, par leur caractère impressionnant, ont de longue date retenu l’attention des amateurs comme du monde académique. Par-delà le strict programme, l’éclairage plus diffus d’ensembles thématiques permet de dégager des hypothèses concernant non seulement des tympans secondaires, usuellement négligés par les spécialistes d’iconographie, mais aussi de grandes compositions comme Neuilly-en-Donjon ou Vézelay.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Élise Haddad, Rezension von/compte rendu de: Marcello Angheben, Les portails romans de Bourgogne. Thèmes et programmes, Turnhout (Brepols) 2019, 479 p., 275 ill. en coul. (Art History [Outside a Series]), ISBN 978-2-503-58435-5, EUR 100,00., in: Francia-Recensio 2021/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.4.85036