Christina Antenhofer et Mark Mersiowsky avaient organisé à l’International Medieval Congress de Leeds, en 2012, un ensemble de communications relatives aux chancelleries médiévales, qui sont aujourd’hui publiées, avec un retard qui devient malheureusement de plus en plus fréquent. L’idée était de participer à un mouvement qui, au sein de la diplomatique, vise depuis quelque temps à ajouter au regard sur les actes un regard sur les hommes et les institutions qui les ont produits, en axant la réflexion sur la question des règles et des réglementations.

Les règles concernant les documents d’abord: dans cette première section, Sébastien Barret montre tout l’intérêt que représente pour l’étude des clauses comminatoires l’usage des bases de données et en particulier des outils d’analyse lexicale comme PhiloLogic; celui-ci lui permet de retrouver facilement les clauses comminatoires des actes clunisiens aux Xe et XIe siècles, dont il démontre, illustrations à l’appui, la grande diversité. Arnold Otto étudie les mêmes clauses, mais dans les actes de l’empereur Charles IV: elles sont devenues beaucoup plus strictement pénales et financières, avec une tarification des infractions assez cohérente et élevée: jusqu’à 1000 marcs d’or en cas d’atteinte aux droits féodaux de l’empereur.

La deuxième section porte sur les règles de fonctionnement des chancelleries. Ellen Widder étudie trois ordonnances réglementant le fonctionnement d’une chancellerie princière (laïque ou ecclésiastique) dans l’Allemagne du XVe siècle. Ces ordonnances jettent une lumière très précieuse sur ces institutions, dont elles détaillent l’organisation, y compris en matière de registres, de sceaux …, mais Ellen Widder rappelle à juste titre qu’elles ont toutes été promulguées dans une période sinon de crise, à tout le moins de tension; et qu’en général elles n’étaient valides que pour une période brève (même si l’ordonnance relative à la chancellerie de Ruprecht, archevêque de Cologne, en 1469 prévoit en fait une période d’essai d’un an, au terme de laquelle l’ordonnance, stabilisée, deviendrait définitive). Julia Hörmann-Thurn und Taxis analyse les notations de chancelleries dans les registres de Louis »de Brandebourg«, fils aîné de l’empereur Louis de Bavière, qui régna progressivement sur le Tyrol, le Brandebourg et la Bavière. Il mit en place des représentants, comme le duc de Teck en Tyrol et Haute-Bavière, et des chancelleries distinctes pour des différentes principautés. C’est cette complexité qui amena les clercs, en particulier sous le gouvernement de Conrad de Teck, à multiplier dans les registres (mais sans doute par copie des minutes) des notes sur les documents. Klaus Brandstätter tente de retracer l’émergence des chancelleries urbaines dans l’Allemagne du Moyen Âge tardif en guettant les clercs urbains et les livres urbains. Les premiers apparaissent dès le XIIIe siècle dans les grandes villes (Cologne, Lubeck, Strasbourg, mais aussi Brunswick ou Berne), mais il faut souvent attendre le XVe siècle pour que les petites villes appointent un clerc à temps plein au lieu de confier sa tâche au maître d‘école. Les livres urbains suivent une chronologie très grossièrement semblable, mais il faut surtout relever leur diversité, et dans les grandes villes, notamment Nuremberg, leur spécialisation. Klaus Brandstätter pense d’ailleurs que ce sont les scribes urbains eux-mêmes qui ont voulu le développement des livres, souvent dans le contexte d’une influence culturelle italienne.

La troisième partie porte sur les chancelleries comme instrument de communication politique. Isabella Lazzarini consacre son étude aux chancelleries italiennes du Moyen Âge tardif, et en particulier à celle des premiers Sforza à Milan, et de leur secrétaire Cicco Simonetta. Elle défend surtout l’idée qu’il n’y avait pas de conflit entre ordre et désordre, mais au contraire une combinaison des deux. À lire son étude, on est cependant surtout tenté de considérer que les efforts de certains hommes d’ordre, comme Jacopo Probo d’Atri à Mantoue, aboutissaient à chasser un désordre naturel qui, cela va de soi, revenait au galop. À partir d’un cas particulier, le mariage, en 1476–1478, de Léonard, comte de Görz (Gorizia/Gorica) et de Paule Gonzague, Christina Antenhofer montre la différence entre une chancellerie princière d’Italie septentrionale, bien organisée, sûre de sa compétence, et une chancellerie princière d’une petite principauté germanique elle-même assez informe, en concurrence permanente avec les conseillers du comte, et n’ayant jamais mis au point de procédure claire. Michaela Marini présente une autre ordonnance réglementant une chancellerie, celle des comtes de Tyrol en 1487. Mais cette ordonnance aussi a été émise en un temps de crise, puisqu’elle date de la diète de Merano qui devait déposséder Sigismond »Riche en monnaies« de son comté de Tyrol et remettre ce dernier à l’empereur Frédéric III et à son fils Maximilien Ier. Cela donne l’occasion à Michaela Marini de raconter comment s’est déroulée cette diète, que l’on imagine à haute tension face aux revendications bavaroises. Et bien entendu la chancellerie joua un rôle important dans ce processus.

On apprend beaucoup, à la lecture de cet ouvrage. Mais le recenseur s’interroge quand même sur la nécessité de publier, à un prix relativement élevé, près d’une dizaine d’années après leur rédaction, quelques communications qui n’eussent pas déparé des revues internationales, voire dans certains cas locales.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Christina Antenhofer, Mark Mersiowsky (ed.), The Roles of Medieval Chanceries. Negotiating Rules of Political Communication, Turnhout (Brepols) 2021, VIII–198 p., 22 ill. (Utrecht Studies in Medieval Literacy, 51), ISBN 978-2-503-58964-0, EUR 70,00., in: Francia-Recensio 2021/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.4.85037