Annette Grabowsky livre, avec l’édition des traités d’Auxilius, la version révisée d’une thèse soutenue en 2012 à l’université de Tübingen, sous la direction de Wilfried Hartmann. L’ouvrage paraît dans la collection »Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters«, en un volume de plus de 700 pages qui fait honneur à la tradition monumentiste par un travail d’édition, un apparat critique et une présentation d’une grande qualité. L’auteure y fait la démonstration de sa grande connaissance du contexte politique et ecclésial ainsi que des réalités canoniques de la fin du IXe et du début du Xe siècle. La présentation expose avec un luxe de détails, sur 360 pages, des considérations sur l’auteur, sur le contexte de rédaction avant de présenter les différents traités (contenu, datation, sources, intertextualité) et les manuscrits. L’auteure ne fait l’économie d’aucune des pistes qu’elle a suivies pour comprendre, puis analyser les textes et leurs enjeux.

L’événement qui est à l’origine du corpus édité est célèbre: à la fin de l’année 896 ou au début de l’année 897, plusieurs mois après sa mort, le corps du pape Formose (891–896) fut exhumé sur l’ordre d’un de ses successeurs, Étienne VI, pour être présenté en concile. Le défunt pape fut revêtu des attributs pontificaux, placé sur le siège apostolique pour être jugé. Il fut accusé d’avoir brigué le siège romain par ambition, d’avoir abandonné son siège de Porto et d’avoir rompu le serment prêté au concile de Troyes en 878 de ne plus revendiquer de siège épiscopal. Au terme du concile, son pontificat fut déclaré illégitime, les ordinations qu’il avait prononcées furent invalidées. Son corps fut alors, selon les sources, jeté dans le Tibre ou déposé dans une fosse commune avant que le pape Théodore (898) ne réhabilite sa mémoire et lui redonne sa place dans le sépulcre des papes. L’affaire ne s’arrêta pas là puisqu’en 904, un nouveau concile eut lieu, présidé par le pape Serge III (904–911), qui invalida les ordinations de Formose et imposa aux clercs concernés une réordination.

Le présent ouvrage présente brièvement ces événements, mais le concile cadavérique n’est pas le cœur du propos. Le travail d’Annette Grabowsky est consacré aux répliques provoquées par cette »ultime grande secousse du IXe siècle romain« (Pierre Toubert): ce sont les débats canoniques suscités par l’invalidation de ces ordinations qui ont engendré les écrits de défense d’Auxilius. On dispose avec cette édition de l’ensemble de ses œuvres polémiques, traités, collections canoniques, textes préparatoires composés pour aborder la question des réordinations, que refusèrent Auxilius et son commanditaire, l’évêque de Naples Étienne.

Identifier l’auteur de ces textes n’est pas une mince affaire. L’auteure explore toutes les pistes concernant son identité. La tâche est ardue: le nom même d’Auxilius n’apparaît que dans la dédicace d’une lettre adressée à Léon de Naples, et encore ne s’agit-il peut-être que d’un nom d’emprunt, celui d’un destinataire d’une lettre de saint Augustin consacrée à l’excommunication injuste. Annette Grabowsky exploite les rares indices disponibles pour reconstituer le parcours d’Auxilius: ce prêtre originaire d’Italie méridionale se rendit à Rome pour recevoir l’ordination de la part de Formose. Il semble avoir vécu quelques temps à Rome, ce que montre sa bonne connaissance des péripéties locales, avant de prendre le chemin de l’exil sous le pontificat de Serge III et de trouver refuge auprès de l’évêque Étienne, à Naples, où il est devenu une figure majeure du mouvement de résistance. Car s’il est une chose assurée à propos d’Auxilius, ce sont ses convictions concernant le sort et les aléas canoniques qui touchèrent un certain nombre de prêtres et d’évêques italiens du début du Xe siècle: toute son œuvre est motivée par la volonté de démontrer la validité des ordinations prononcées par le pape Formose et, partant, l’illégitimité des réordinations imposées par Serge III. Ses pamphlets illustrent à quel point la situation créée par le schisme formosien a été douloureuse. On mesure cette affliction dans l’incipit du premier de ces pamphlets, qui reprend la complainte du prophète Jérémie (Jr 9, 1): »Qui changera ma tête en fontaine et mes yeux en source de larmes?«

Il s’employa à démontrer son bon droit dans les divers traités rassemblés ici: deux livres réunis sous le titre »In defensionem sacrae ordinationis papae Formosi« (904 et 908), le »Libellus in defensionem Stephani episcopi« (908), deux œuvres éditées succinctement par Ernst Dümmler en 1866; la collection canonique »De ordinationibus a Formoso papa factis« (911), le dialogue »Infensor et defensor« (avant 911), édités par Jean Morin en 1655, qui ont servi à l’édition de la »Patrologie Latine«. Annette Grabowsky y ajoute une note historique sur l'histoire des papes vers 900, préparatoire au »Libellus in defensionem Stephani episcopi«, une lettre de Rodelgrim et Guiselgard adressée »à Naples«, sans doute en réponse à une consultation de nature juridique, ainsi qu’un fragment canonique, tous trois reliés aux précédents dans la tradition manuscrite. Celle-ci est assez restreinte, puisque seuls dix manuscrits ont été conservés, dont trois sont des copies modernes, et aucun ne contient tous les textes. L’auteur s’attache tout particulièrement à la description du manuscrit du Xe siècle conservé à Bamberg (Staatsbibliothek, Msc. Can. 1), le plus complet. Son analyse codicologique permet d’une part de mieux comprendre ce qui fait l’homogénéité du corpus, d’autre part de dissocier les écrits d’Auxilius de ceux d’un autre défenseur de l’action de Formose, Vulgarius, qui a parfois été confondu avec le premier, mais dont les œuvres étaient à l’origine dissociées dans un second codex, avant d’être rassemblées avec celles d’Auxilius dans le manuscrit de Bamberg.

L’édition des textes, l’exhumation de certains autres et le très riche apparat critique s’accompagnent d’analyses indispensables à la compréhension du contexte troublé du début du »siècle de fer«. L’historienne montre ainsi le prestige de la papauté, qui s’observe par le grand nombre d’ordinations faites à Rome, où les clercs se pressaient auprès du pape. Ce point permet à Annette Grabowsky de mettre en lumière un argument original sur les deux corps du pape et la signification canonique de l’ordination pontificale: on venait à Rome se faire ordonner par saint Pierre, ce qui permet à Auxilius de contourner habilement la question de la condamnation de son vicaire. Sont également abordés les principes de l’élection pontificale et de sa canonicité, la consécration et sa validité lorsque le consécrateur se révèle illégitime.

La méthode de travail d’Auxilius est présentée en détail. L’argumentation canonique s’articule autour de trois thèmes importants: la translation épiscopale d’un siège à un autre, la réordination, la résistance à des décisions illégitimes. Pour ce faire, Auxilius mobilise l’équipement de base du canoniste médiéval: les canons conciliaires (principalement grecs, avec Nicée comme référence principale), Grégoire le Grand, Léon le Grand, Jérôme, Augustin, les fausses décrétales (en particulier le Ps.-Anterius, en raison de la place qu’y occupe la question du transfert épiscopal), la »Concordia canonum« de Cresconius ainsi que le traité »De episcoporum transmigratione« composé à la fin du IXe ou au début du Xe siècle. Il n’est pas un grand canoniste, mais un habile compilateur, dont le travail est dépendant du matériau canonique romain mais que la résidence napolitaine, hors du ressort temporel du pape, place à l’abri de toute mesure coercitive.

Avec cette édition de grande qualité, Annette Grabowsky ne met pas seulement à disposition des chercheurs un ensemble de textes qui remplace les éditions anciennes de Morin et Dümmler. Elle apporte les éléments nécessaires pour appréhender cette période mal connue de l’histoire romaine et italienne, à l’orée du Xe siècle.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laurent Jégou, Rezension von/compte rendu de: Annette Grabowsky (Hg.), Der Streit um Formosus. Traktate des Auxilius und weitere Schriften, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2021, CCCLXII–404 S., 1 Abb., 7 Tab. (Monumenta Germaniae Historica. Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters, 32), ISBN 978-3-447-11377-9, EUR 130,00., in: Francia-Recensio 2021/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.4.85046