Cet ouvrage est l’aboutissement d’une recherche menée par l’auteur pendant quatre décennies, ponctuée par la publication d’une vingtaine d’études sur le complot du 20 juillet 1944. Il s’agit donc du prolongement d’un travail de longue haleine qui entend intégrer les apports successifs de la littérature scientifique, à l’image des biographies des généraux Beck et Fromm, ou plus récemment de l’analyse relationnelle des membres de la conjuration1.

Que ce coup d’État soit une césure dans l’histoire militaire de la Seconde Guerre mondiale est un postulat très discutable. On rejoint plus volontiers l’auteur lorsqu’il estime que cet attentat fait pleinement partie de l’histoire militaire allemande (p. 2). Cette approche permet de s’extraire de l’événementiel pour replacer les différents projets de complot dans leur contexte militaire, sans oublier les legs culturels qui habitaient et animaient les acteurs. Il s’agit de déterminer où la résistance militaire est née dans les structures de commandement, mais aussi quelles tensions et blocages l’ont favorisée.

L’ouvrage se décompose en dix parties d’ampleur très variable. Dans une présentation à la forme inhabituelle, les deux premières composent l’introduction de l’ouvrage en traitant de l’historiographie et de la définition du sujet. La troisième partie revient sur les différentes conceptions relatives aux relations entre l’État et l’armée sous la République de Weimar et sous le régime nazi – des divergences qui se retrouveront par la suite entre les principaux protagonistes, tels les généraux Ludwig Beck, Friedrich Fromm et Wilhelm Keitel, mais aussi entre les cercles militaires et civils de la résistance.

Les deux parties suivantes abordent la place de l’institution militaire au sein du »IIIe Reich« pendant la guerre, notamment la concurrence que se livraient les branches armées entre elles, favorisée par le régime, le plus souvent au détriment de l’armée de terre. Au sein de cette dernière, l’approche d’état-major traditionnelle heurtait l’optimisme forcené du dictateur, puis plus tard sa volonté d’insuffler la foi en une victoire de plus en plus chimérique.

La sixième partie revient sur la genèse des mouvements de résistance militaires pendant le conflit, souvent en réaction au dilettantisme relevé dans la conduite des opérations, les crimes perpétrés (avec souvent une mauvaise conscience sélective en fonction des catégories de victimes), et finalement devant la certitude que le dictateur conduisait l’Allemagne à sa perte.

L’organisation du complot et ses conséquences font l’objet des deux parties suivantes.

La dernière partie analyse la réception de la résistance militaire après 1945 dans les deux Allemagnes (puis l’Allemagne réunifiée) ainsi qu’en Autriche, avec la difficulté d’assumer ce legs encombrant. Au final, deux tendances se sont heurtées au fil des décennies: pendant que la Bundeswehr prenait ses distances avec l’héritage de la Wehrmacht et intégrait celui de la résistance à Hitler, la recherche historique mettait elle-même en cause l’aile militaire conservatrice du complot qui avait participé aux crimes de la Wehrmacht, notamment sur le front de l’Est.

Cinquante ans après l’ouvrage phare de Peter Hoffmann publié en 1969, trente-cinq ans après l’édition par le Militärgeschichtliches Forschungsamt (MGFA)2 d’une compilation de textes destinée à accompagner l’exposition sur la résistance militaire3, cette étude intègre donc une analyse historiographique avec, au fil du développement, une prise de position de l’auteur vis-à-vis des hypothèses et débats sur un sujet saturé de publications.

L’un des atouts de cette étude est d’interroger les courants profonds de la révolte faite de nombreuses velléités et d’impasses et dont la genèse remonte relativement loin dans le temps. L’auteur explore ainsi le chemin qui a mené ses acteurs sur la voie de la révolte par une »multitude de petits pas« (p. 64) menés dès les années 1930, sans nier que la frange conservatrice qui a finalement basculé dans le complot a eu un parcours fait d’oppositions et de coopérations partielles avec le régime. En somme, c’est une histoire tout en nuances de gris plutôt qu’un récit en noir et blanc qui, comme trop souvent, s’attacherait aux seuls événements de l’été 1944. Loin d’avoir été une »révolte de la conscience«, le complot a d’abord été une »révolte du militaire« qui s’est insurgé devant les empiètements incessants sur ses prérogatives et l’absurdité d’un conflit poursuivi contre toute logique. Pour mieux s’assurer du succès, les conjurés ont fait preuve de pragmatisme, intégrant dans leurs rangs des acteurs de la politique répressive et génocidaire du régime, à l’image de policiers tels Hans Bernd Givesius, Wolf-Heinrich von Helldorff ou Detlef Nebbe, chef de l’Einsatzgruppe B en 1941.

Les chances de réussite du complot étaient certes faibles, mais pas nulles, dépassant le simple symbole, avec des plans solides et une bonne préparation – du moins au regard des conditions offertes aux conjurés au sein d’une dictature en guerre: non seulement il leur fallait agir en toute discrétion, mais les changements d’affectation compliquaient les relations tandis que les mouvements de troupes bouleversaient les plans établis.

Au demeurant, l’auteur souligne à juste titre que le complot du 20 juillet marque surtout l’impéritie des organes de sécurité de Himmler. Non seulement ceux-ci n’ont pas détecté la conjuration, mais l’écrasement du complot fut assuré presque exclusivement par l’armée de terre elle-même, notamment par des collègues de von Stauffenberg à l’état-major de l’armée de réserve.

En dépit de ses apports, l’ouvrage n’est pas exempt de défauts. Tel qu’il est présenté, le projet politique de la SS apparaît ainsi trop »intentionnaliste«, tendant à donner rétrospectivement une politique cohérente à des ambitions souvent contrariées et à une démarche très opportuniste de la direction SS. L’auteur a par ailleurs tendance à présenter une vision binaire des relations entre Heer et Waffen-SS, manquant sur ce sujet de la nuance qui le caractérise sur le positionnement des acteurs du complot. Et si l’ouvrage évoque à raison la liberté d’opinion qui a encore cours pendant la guerre, mettant en avant les discussions sur la tournure défavorable des événements, il ignore cependant la répression qui s’abat à partir de 1943 sur les imprudents dont les propos peuvent être dénoncés.

Par ailleurs, l’ouvrage effleure à peine les réactions des forces combattantes sur le front à l’annonce du complot – alors même que ces réactions entrent pleinement dans le cadre de l’histoire militaire du 20 juillet, comme le suggère le sous-titre du livre.

La principale critique que l’on peut adresser à cet ouvrage demeure néanmoins sa construction. L’usage de textes précédemment écrits par l’auteur conduit à un sentiment de collages, entraînant répétitions et redondances, encore accrues par un traitement thématique trop systématique. La lecture en perd en fluidité. Cette construction mal maîtrisée dessert malheureusement ce travail érudit.

1 Bernhard R. Kroener, »Der starke Mann im Heimatskriegsgebiet«. Generaloberst Friedrich Fromm. Eine Biographie, Paderborn 2005; Klaus-Jürgen Müller, General Ludwig Beck. Eine Biographie, Paderborn 2008; Linda von Keyserlingk-Rehbein, Nur eine »ganz kleine Clique«? Die NS-Ermittlungen über das Netzwerk vom 20. Juli 1944, Berlin 2018.
2 Aujourd’hui: Zentrum für Militärgeschichte und Sozialwissenschaften der Bundeswehr.
3 Peter Hoffmann, Widerstand – Staatsreich – Attentat. Der Kampf der Opposition gegen Hitler, München 1969; Militärgeschichtliches Forschungsamt (Hg.), Aufstand des Gewissens. Der Militärische Widerstand gegen Hitler und das NS-Regime 1933 bis 1945, Herford, Bonn 1984.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jean-Luc Leleu, Rezension von/compte rendu de: Winfried Heinemann, Unternehmen »Walküre«. Eine Militärgeschichte des 20. Juli 1944, Berlin, Boston (De Gruyter Oldenbourg) 2019, X–406 S. (Zeitalter der Weltkriege, 21), ISBN 978-3-11-063275-0, EUR 49,95., in: Francia-Recensio 2021/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.4.85125