C’est un travail d’importance que monsieur Julian März fait paraître aux prestigieuses maisons d’éditions Duncker & Humblot de Berlin en 2021. L’ouvrage de 324 pages, issu d’une recherche universitaire conduite et soutenue à la Faculté de droit de l’Université de Passau en juillet 2020, se présente comme une contribution importante à la compréhension comparée de la régulation publique du religieux en Allemagne et en France. Si l’étude se concentre sur les régimes de droit des cultes issus de la Constitution de Weimar et de la loi du 9 décembre 1905, l’auteur consacre des développements précieux aux facteurs historiques et philosophiques qui ont conduit à l’adoption de ces régimes. Dans la dernière partie, l’auteur montre pleinement l’actualité du sujet et les enjeux liés à un rapprochement de ces régimes dans le cadre de la construction européenne.
Il faut bien le reconnaître le titre de l’ouvrage nous a un peu surpris au départ: »Zwischen Laizismus und Religionsfreiheit: Das Religionsverfassungsrecht der Dritten Französischen Republik im Vergleich mit der Weimarer Republik«. L’auteur évoque la notion de Laizismus et non celle de Laizitat. Or, cette notion de »laïcisme« n’a pas véritablement de portée juridique en droit français. Ce dernier connaît de la »laïcité«, principe que dispose d’une valeur constitutionnelle depuis 1946 et qui signifie la neutralité confessionnelle de l’État. Sans doute, aurait-il été nécessaire de mobiliser à ce sujet davantage les travaux très importants du professeur Jean Rivero (1910–2001). Il est un véritable »maître« pour les juristes qui s’intéressent au droit français de la laïcité et des cultes.
En outre, le titre de l’ouvrage laisse songer à une opposition entre la laïcité et la liberté de religion. Or, l’analyse du droit positif témoigne des liens étroits entre le principe de laïcité et la liberté de religion.
De la même manière, il convient de s’interroger sur la consistance d’un droit constitutionnel des religions sous la IIIe République. Cette formule nous paraît devoir être questionnée, dans la mesure où, sous la IIIe République, les libertés de conscience et de culte ne disposaient probablement pas d’une valeur constitutionnelle. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, qui consacre en son article 10 les libertés de pensée, de conscience et de religion, a fait l’objet de discussions juridiques passionnées sur le fait de savoir si elle possédait une valeur juridique sous la IIIe République. Léon Duguit et Maurice Hauriou, pour des raisons trop longues à rappeler ici, répondaient positivement à cette question. Telle n’était pas en revanche l’opinion d’Adhémar Esmein et de Raymond Carré de Malberg.
Sous ces petites réserves, l’ouvrage comporte une très grande quantité d’analyses et d’informations. Il se structure en trois chapitres:
Un premier chapitre intitulé »Methodologische Grundlagen des rechtshistorischen Vergleichs der deutschen und der französischen religionsverfassungsrechtlichen Ordnung« pose des repères fondamentaux quant au contexte constitutionnel qu’ont constitué la IIIe République, d’une part, et la République de Weimar d’autre part. Ce premier chapitre est court (12 pages).
Un deuxième chapitre, qui a plus particulièrement retenu notre attention, porte sur »Die Debatte über den Laizismus in der dritten französischen Republik und der Weimarer Republik als Ausgangspunkt der gegenwärtigen religionsverfassungsrechtlichen Ordnungen« (p. 38–222). L’auteur rappelle les grandes étapes des relations entre les religions et l’État depuis la Réforme en Allemagne et la Révolution française. Si les deux Etats ont consacré un régime de séparation des cultes et de l’État, ce dernier ne revêt pas la même portée dans les deux régimes. En effet, en Allemagne, la reconnaissance d’un régime de séparation dans la Constitution de Weimar n’exclut pas la possibilité pour les collectivités religieuses de recourir à un statut de corporation de droit public auquel sont attachés plusieurs avantages fiscaux et financiers. A contrario, la loi du 9 décembre 1905 en France cantonne les religions dans un statut de droit privé, celui prévu par les articles 18 et 19 de la loi de 1905: le régime des »associations cultuelles«. La rupture paraît plus décisive dans le modèle français, bien que le souci constant d’assurer la protection des libertés publiques fait de la loi de 1905 un texte fondamentalement libéral et non anticlérical.
Dans un troisième chapitre »Perspektiven einer Annäherung des deutschen und des französisichen Religionsverfassungsrechts im Kontext der europäischen Einigung«, l’auteur mobilise les enseignements de l’histoire juridique pour aborder le régime actuel des cultes en Allemagne et en France et la problématique de l’unité européenne. En effet, après avoir abordé le sujet de la spécificité du droit local alsacien-mosellan (p. 271–278), l’auteur évoque le rapprochement des régimes allemand et français de régulation du religieux sous l’emprise de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’Homme. On sait toutefois la prudence de la Cour européenne de Strasbourg lorsqu’il est question des relations institutionnelles entre les cultes et l’État. L’auteur a parfaitement raison de s’interroger sur les principes communs qui pourraient rapprocher les modèles allemand et français de gestion publique du religieux. On le sait, dans une Union européenne fragilisée par le Brexit et la contestation de la primauté du droit de l’Union européenne sur la loi nationale, comme en atteste la décision récente rendue le 7 octobre 2021 par le Tribunal constitutionnel polonais, la coopération franco-allemande est plus que jamais une nécessité pour agir en faveur des valeurs fondamentales européennes que sont la défense de la démocratie, de l’État de droit et de la protection des libertés fondamentales. Dans ce cadre, il est absolument nécessaire de mener une réflexion commune en Allemagne et en France sur la protection des libertés dans le domaine religieux et la gestion du pluralisme en société. Les deux pays sont en effet confrontés à des défis très similaires. A cet égard, il sera très intéressant d’examiner comment la littérature juridique allemande analyse la loi du 24 août 2021 »confortant le respect des principes de la République« qui entend lutter contre les séparatismes, notamment religieux, sur le territoire français.
En conclusion, on félicitera donc monsieur Julian März d’avoir posé les jalons d’une réflexion importante.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Thierry Alain Rambaud, Rezension von/compte rendu de: Julian März, Zwischen Laizismus und Religionsfreiheit. Das Religionsverfassungsrecht der Dritten Französischen Republik im Vergleich mit der Weimarer Republik, Berlin (Duncker & Humblot) 2021, 324 S. (Schriften zur Rechtsgeschichte, 197), ISBN 978-3-428-18243-5, EUR 89,90., in: Francia-Recensio 2021/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.4.85132