En 1999 paraissait »Der Dienstkalender Heinrich Himmlers 1941/42«1. Dans les milieux académiques, la publication avait fait grand bruit. Il s’agissait en effet d’une source de première importance – l’agenda professionnel du chef de la SS, Heinrich Himmler – disponible pour une période en tout point cruciale – les années 1941–1942 – alors même que tant d’archives nazies avaient été volontairement détruites. Ces 570 pages avaient été découvertes quelques années plus tôt, dans les »archives spéciales« de Moscou dont même l’existence était restée inconnue pendant des décennies. Mais la publication avait également été saluée du fait de l’extraordinaire qualité du travail d’érudition et d’annotation critique réalisé par une équipe de huit historiens, parmi les meilleurs connaisseurs du champ. À cette source principale avaient été adjointes diverses sources annexes – en particulier les notes que Himmler prenait au cours d’une discussion téléphonique ou après une rencontre avec Hitler ou tel autre haut responsable nazi. Mais surtout, en compulsant l’ensemble des archives disponibles, les éditeurs étaient parvenus à faire parler ce qui n’était en somme qu’une simple liste de rendez-vous: ils avaient reconstitué ce qui avait été discuté lors de ces rencontres et de ces réunions, ce qui avait été décidé et comment cela avait été mis en œuvre.
Le lecteur se trouva ainsi dans la position de suivre, jour après jour, et même heure après heure, l’activité de Himmler dont les responsabilités étaient, à l’époque déjà, multiples et comprenaient en particulier la politique antijuive. En 2013, cette première édition s’est trouvée complétée par une autre, portant cette fois sur l’année 1940 et se fondant non sur l’agenda professionnel de Himmler, mis au point par ses services, mais sur son agenda de poche, conservé en Allemagne et sur lequel, du fait de sa petite taille, le chef de la SS ne pouvait noter que des indications sommaires. Dans l’édition critique, ces informations lapidaires se trouvaient elles aussi complétées grâce à une documentation archivistique annexe2. L’année suivante, ce furent, en anglais cette fois et de manière moins érudite, les premiers mois de l’année 1945 de l’agenda professionnel de Himmler qui furent à leur tour publiés: ils étaient conservés en Allemagne au Bundesarchiv3.
Le nouveau volume publié en 2020 s’inscrit donc dans une tradition d’érudition solidement établie et à laquelle elle ne dépare pas. Le volume couvre cette fois les années 1943 à 1945 et repose essentiellement sur le millier de pages du Dienstkalender de Himmler découvertes en 2013 dans les archives russes. À l’origine, cet ensemble archivistique avait été saisi par les armées soviétiques en même temps que la partie relative à 1941/1942 publiée en 1999 et il avait été envoyé en URSS au même moment, à l’automne 1945, en même temps que plus de 2600 caisses de documents. Puis le lot s’était retrouvé, sans qu’on puisse vraiment l’expliquer, non pas dans les »archives spéciales« du ministère soviétique de l’Intérieur, mais dans les archives centrales à Podolsk, avec les archives de la Wehrmacht. C’est dans le cadre d’une campagne de digitalisation de ces fonds par l’Institut historique allemand de Moscou, en accord avec le ministère russe de la Défense, que le dossier mal classé put être identifié et mis à la disposition des chercheurs par cette édition critique de grande qualité. Il convient de citer nommément tous les membres de l’équipe scientifique: Matthias Uhl, Thomas Pruschwitz, Martin Holler, Jean-Luc Leleu et Dieter Pohl, ce dernier étant le seul à avoir participé aux deux publications majeures, celle de 1999 et celle de 2020.
Les méthodes employées sont les mêmes. Le document central – l’agenda professionnel – se trouve enrichi par divers autres fonds contemporains: notes de Himmler sur ses discussions téléphoniques ou ses rencontres, listes de personnes conviées à sa table, etc. Et les éditeurs ont lus toutes les archives contemporaines pour essayer de reconstituer le contenu de ces rencontres. C’est dans la manière dont ces informations sont ordonnées que les éditeurs s’écartent du modèle initial. En 1999 comme en 2013, toutes les informations ainsi recueillies venaient nourrir les notes infrapaginales. Dans l’édition proposée par Matthias Uhl et ses collègues, elles sont réparties entre l’appareil critique proprement dit et de courts textes qui, placés après la liste des rendez-vous du jour, éclairent tel ou tel aspect marquant de la journée ou font au contraire le point sur ce qu’on sait par ailleurs de l’activité de Himmler ce jour-là, sans que cette activité puisse être reliée directement à ses rencontres.
On ajoutera enfin que les éditeurs ont pris la peine de rédiger pour chaque trimestre une introduction sur les principales évolutions perceptibles au cours des trois mois suivants: c’est une manière d’inviter le lecteur à se lancer dans la lecture et lui fournir les grands repères nécessaires à sa compréhension. Ces textes, tout comme l’introduction générale d’une quarantaine de pages, visent à l’évidence à satisfaire la curiosité d’un public plus large que le lectorat captif d’une source aussi austère. On ne peut que s’en féliciter, même s’il semble peu probable que le cercle des lecteurs s’en trouve considérablement élargi. L’agenda professionnel de Himmler, même enrichi par d’autres sources, même explicité par un travail d’érudition sans faille, n’a d’intérêt véritable que pour les spécialistes du champ, pour lesquels il constitue une source indispensable. Nul doute donc que, pour l’historien travaillant sur les dernières années du IIIe Reich, celles de »l’organisation de la terreur«, la consultation de cette publication de source deviendra un nouveau réflexe…
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Florent Brayard, Rezension von/compte rendu de: Matthias Uhl, Thomas Pruschwitz, Martin Holler, Jean-Luc Leleu, Dieter Pohl (Hg.), Die Organisation des Terrors. Der Dienstkalender Heinrich Himmlers 1943–1945. Herausgegeben im Auftrag des Deutschen Historischen Instituts Moskau, München, Zürich (Piper) 2020, 1147 S., ISBN 978-3-492-05896-4, EUR 42,00., in: Francia-Recensio 2021/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.4.85143