Si l’histoire des femmes pendant la Révolution française est un sujet qui a attiré une importante attention historiographique ces dernières années – que l’auteure du présent ouvrage cite d’ailleurs abondamment – il manquait un ouvrage complet, spécifiquement consacré aux femmes ayant combattu comme soldates dans les guerres de la Révolution et de l’Empire.

C’est à combler ce manque que s’attache Maria Goupil-Travert, actuellement doctorante à l’université Rennes 2 et ancienne élève de l’ENS de Lyon, dans cet ouvrage issu de son mémoire de master soutenu sous la direction de Sylvie Steinberg à l’EHESS et dont la publication est permise par l’obtention, en 2019, du prix Mnémosyne de l’Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre.

L’ouvrage étudie le parcours de 55 femmes ayant combattu dans les armées républicaines et impériales, mais aussi dans l’armée catholique et royale pendant la guerre de Vendée. Le critère de sélection de ces femmes est l’engagement, ce qui amène l’auteure à exclure vivandières et blanchisseuses dont la présence dans l’armée est présentée comme relevant de la nécessité économique. Les sources incluent des dossiers de demande de pension, des mémoires individuels de combattantes (principalement pour les vendéennes), mais aussi des documents de presse, des chansons ou des documents iconographiques qui permettent de mesurer la perception sociale de ces femmes.

L’étude se concentre sur le parcours individuel des femmes dans une moyenne durée (de leur engagement à la construction collective de leur mémoire), prenant soin de les intégrer dans leur contexte social. Les thèmes centraux de l’ouvrage sont la question de l’engagement féminin ainsi que celle de la construction des normes de genre en contexte militaire, questions qui sont mises en œuvre au moyen d’une historiographie très bien résumée en introduction. La richesse des annexes doit aussi être notée.

L’ouvrage, écrit dans un style efficace, se divise en quatre chapitres qui suivent le parcours de ces femmes combattantes, consacrés respectivement aux causes de l’engagement (»Révolutionnaires et vendéennes pourquoi s’engager«), à la carrière militaire de ces femmes soldats (»Des femmes aux armées«), au retour à la vie civile (»D’un monde à l’autre réintégration à la vie civile«) et à la construction de la mémoire collective de ces femmes tant de leur vivant qu’après leur mort (»Reconnaissance, représentations et mémoire des femmes engagées dans l’armée«).

Le premier chapitre commence par rappeler le lien entre citoyenneté et possibilité du port des armes dans les revendications politiques des femmes au début de la Révolution (1789–1793). L’auteure s’attache ensuite à montrer que l’interdiction de la présence des femmes à l’armée en 1793 – autre que vivandières et blanchisseuses – est liée à leur exclusion de la sphère politique, même si en pratique des femmes combattantes restent présentes après cette date. Côté vendéen, même contraste entre une autorisation limitée de la présence de femmes aristocrates pour les protéger des républicains et cas attestés de femmes combattantes en Vendée. L’auteure étudie le profil sociologique des femmes engagées, proche de celui des soldats de la Révolution plus largement. Elle souligne que l’engagement de ces femmes a des causalités complexes: à l’affirmation de motivations politiques, s’ajoute celle de la volonté de suivre des proches à l’armée. Dans certains cas, l’engagement politique se fait au niveau du couple. Enfin, l’auteure montre que si les républicaines du corpus sont largement des combattantes de première ligne, les vendéennes sont plus souvent à plus grande distance du champ de bataille, ce qui est lié à une différence de statut social (il s’agit souvent de femmes de généraux). Sur ce point, une réflexion plus poussée sur un éventuel effet de source sur la composition sociologique du corpus – puisque les sources pour les vendéennes sont principalement des mémoires tandis que pour les républicaines ce sont principalement des dossiers de demande de pension – aurait été appréciée.

Le deuxième chapitre porte sur la carrière militaire de ces femmes. La proximité de leur expérience par rapport à celle de leurs homologues masculins est la première caractéristique marquante, tant dans la pénibilité du service que dans le maniement des armes. Maria Goupil-Travert souligne par ailleurs l’incorporation des valeurs militaires viriles par ces combattantes, avec une adhésion forte aux valeurs militaires d’honneur et de discipline, même si des qualités vues comme féminines (modestie, vertu) sont aussi revendiquées dans les dossiers de demande de pension de ces femmes. Une des parties les plus intéressantes de cet ouvrage explore la dimension d’entre-deux du genre que représente la carrière de ces femmes. L’auteure décrit les modalités complexes du travestissement, souligne l’affirmation d’une prééminence de la fonction de soldat sur le sexe féminin, mais aborde aussi les spécificités de leur expérience de guerre, avec notamment une réflexion très fine sur la place inégale des violences sexuelles dans les récits.

Le troisième chapitre aborde les retours à la vie civile. L’auteure présente les différentes circonstances de ces départs – de l’application de la loi de 1793 à des blessures invalidantes – et montre les diverses stratégies des femmes souhaitant rester dans l’armée pour contourner les interdictions. Le retour à la vie civile est souvent difficile économiquement, et représente une rupture des liens sociaux – en cela l’expérience des femmes paraît proche de celle de leurs homologues masculins. La spécificité est celle de la réassignation aux rôles de genre féminin à la sortie de l’armée qui ne fait pas l’objet de contestations. La rupture n’est pas complète: les femmes maintiennent des liens personnels avec leurs anciens camarades et supérieurs hiérarchiques, visibles dans les lettres de recommandation dans les demandes de pension.

Le quatrième et dernier chapitre, enfin, examine les étapes de la construction de la mémoire collective du parcours de ces femmes. Héroïsées par leurs camps respectifs de manière contemporaine, ces femmes reçoivent cependant peu de décorations, en raison de leur genre. L’auteure examine ensuite les stratégies de publication des femmes mémorialistes, entre mobilisation d’une mémoire politique sous la Restauration pour les vendéennes à la mobilisation de l’extraordinaire de leur parcours voire du scandale pour les rares républicaines qui publient dans un contexte politique peu favorable. Dans la suite du siècle, et en particulier sous le Second Empire, les femmes soldats de la Révolution et de l’Empire retrouvent une célébrité souvent post-mortem. À la fin du XIXe siècle, leurs histoires sont mobilisées à des fins politiques extrêmement variées, d’affirmations nationalistes à des revendications féministes.

Une prise en compte plus complète des années de guerre de l’Empire qui sont peu présentes ici, une réflexion plus poussée sur les effets de source ou encore une explicitation de la réflexion sur l’androgynie du parcours de ces femmes, mentionnée à plusieurs reprises dans le texte mais jamais entièrement définie, aurait encore amélioré cet ouvrage. Celui-ci est cependant une contribution stimulante et originale à l’histoire des femmes et du genre, à l’histoire de la Révolution française, et à la l’histoire militaire, particulièrement remarquable puisqu’il s’agit d’un premier travail de recherche.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Nebiha Guiga, Rezension von/compte rendu de: Maria Goupil-Travert, Braves combattantes, humbles héroïnes. Trajectoires et mémoires des engagées volontaires de la Révolution et de l’Empire, Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2021, 211 p. (Mnémosyne), ISBN 978-2-7535-8173-9, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2022/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87433