L’ouvrage de Christian Katschmanowski, issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2017 à l’université de Mayence, s’inscrit dans le champ historiographique né, il y a quelques années déjà, de la rencontre entre l’histoire de la cour, l’histoire de l’espace urbain, et celle de l’urbanisme et de l’architecture. Il s’agit, en l’occurrence, d’une monographie, dont l’ambition est modeste, mais qui apporte une pierre intéressante à l’édifice global. L’auteur souhaite montrer que la ville de Mayence, siège de l’archichancelier d’Empire et prince-électeur, mais aussi ville de commerce, forteresse, et siège archiépiscopal, est devenue, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, un espace de plus en plus contrôlé et approprié par les stratégies de pouvoir du prince-électeur; ou pour le dire autrement, que ce dernier, par une activité de planification urbaine, et la multiplication des projets architecturaux dans un espace urbain de plus en plus vaste, a fait de cette ville, dans laquelle se trouvait sa résidence, une »ville de résidence«. L’enjeu principal, qui sert de fil rouge à ce livre, est de savoir si ce fut là le résultat d’une politique ciblée et planifiée sur le temps long, ou plutôt celui d’une succession de décisions pragmatiques – et l’auteur de répondre par la seconde des deux propositions. On touche ainsi, sans doute, à l’une des spécificités d’une principauté qui, par définition, est élective: la ville ne sera jamais le seul espace d’un prince, mais bien de différents princes, issus de différentes familles, appartenant elles-mêmes, essentiellement, au groupe politique et social de la chevalerie immédiate d’Empire. Du point de vue de l’historiographie mayençaise, l’originalité du livre réside dans un changement d’échelle – ce n’est plus seulement le palais et la cour à proprement parler, mais bien l’ensemble de l’espace urbain qui est considéré comme le lieu d’expression du pouvoir princier – qui entraîne, à son tour, la prise en compte de l’espace urbain comme lieu de concurrence entre différents acteurs politiques locaux. Le dossier photographique et iconographique qui clôt le livre, et qui ne comporte pas moins de 227 représentations, est d’une richesse absolument remarquable.
Les trois parties de l’ouvrage suivent un plan à la fois chronologique et thématique. Dans un premier temps, l’auteur présente la réorganisation urbaine qu’a connue la ville après la guerre de Trente Ans. Christian Katschmanowski y insiste surtout sur un document passionnant et peu étudié par les historiens de la ville de Mayence: une ordonnance portant sur les constructions dans la ville (Bauordnung), datée de 1655, par laquelle Johann Philipp von Schönborn, alors prince-électeur, impose certaines règles pour l’ensemble du bâti – et ce dans le but d’aboutir à une homogénéisation du paysage urbain, et à une rectification de la voierie. En mettant de plus en plus la main sur la construction urbaine, le prince-électeur tente ainsi, et parvient en partie, à affirmer son pouvoir sur la ville face à ses concurrents – les institutions urbaines, la noblesse chapitrable (Stiftadel), etc.
La deuxième partie se concentre sur le bâti princier, considéré cette fois-ci dans le temps plus long du XVIIe et du XVIIIe siècle. La résidence s’agrandit, s’embellit – notamment le palais, qui fait l’objet de nombreux projets, parfois d’une ambition étonnante, et s’ouvre finalement sur l’espace urbain au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle – tandis que les bords du Rhin sont eux aussi, progressivement, investis par le prince – notamment avec la construction du château de plaisance Favorite, qui s’achève en 1722. Surtout, les princes-électeurs successifs étendent progressivement leur présence dans la ville, notamment par l’emprise grandissante sur le Bleichenviertel, quartier qui est finalement rattaché de facto à la cour elle-même.
La dernière partie est consacrée aux réalisations architecturales que les grandes familles de la noblesse chapitrable de Mayence, qui appartenaient à la chevalerie immédiate d’Empire, et au sein desquelles les archevêques étaient souvent choisis, entreprenaient pour mettre en avant le pouvoir de leur Maison. Pour les familles de Schönborn, d’Eltz, ou encore d’Ostein, construire des palais de prestige au sein de la ville était une nécessité politique, et l’auteur consacre des pages intéressantes à la manière dont ces Maisons parvenaient à »phagocyter« et à s’approprier l’espace urbain en y imposant des monuments à la gloire de leur dynastie. L’utilisation répétée du terme de constructions »privées«, par laquelle l’auteur souhaite distinguer les projets qui seraient réalisés par les princes-électeurs en tant que princes, et ceux qui chercheraient à représenter le pouvoir de leur Maison uniquement, est toutefois peu convaincante: elle ne permet précisément pas de rendre compte de la spécificité de ces villes à la fois princières, cathédrales, et siège d’une noblesse chapitrable, ni des stratégies de pouvoir et de représentation de ces familles de la noblesse rhénane, qui se servaient précisément de l’ensemble de leurs positions au sein des chapitres, des principautés, des cercles, pour affirmer leur prestige et obtenir, pour certaines, l’immédiateté impériale. L’opposition stricte entre les logiques princières d’une part, privées de l’autre, laisse par ailleurs de côté le groupe social que représente la chevalerie d’Empire au sein des chapitres cathédraux, et qui suit des stratégies d’ascension analysées par Christophe Duhamelle.
Malgré cette critique, la monographie présentée par Christian Katschmanowski donne sans aucun doute matière à penser au-delà de la seule histoire mayençaise à proprement parler: que ce soit sur le rapport entre la ville et la cour, qui se pose sans doute de manière spécifique dans le cas de la »ville de résidence«, sur la nature même du pouvoir d’un prince épiscopal, sur la planification urbaine comme objet et instrument de pouvoir. Il est d’autant plus dommage de constater que l’auteur s’appuie finalement presque exclusivement sur une historiographie »locale« – celle de Mayence elle-même – et n’ait pas l’ambition d’arrimer sa monographie, et ses conclusions, à des débats historiographiques dynamiques et passionnants, en France comme en Allemagne.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Sébastien Schick, Rezension von/compte rendu de: Christian Katschmanowski, Die Stadt als Raum des Fürsten? Zur Baupolitik der Mainzer Kurfürsten in ihrer Residenzstadt ab der zweiten Hälfte des 17. Jahrhunderts, Ostfildern (Jan Thorbecke Verlag) 2020, 412 S., 227 Abb. (Residenzenforschung. Neue Folge: Stadt und Hof, 7), ISBN 978-3-7995-4539-6, EUR 65,00., in: Francia-Recensio 2022/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87434