Un beau livre d’images, certes, une vulgarisation intelligente pour un vaste public… Cet ouvrage soigneusement édité n’est-il que cela? Une bibliographie essentiellement anglo-saxonne, où figurent aussi, côté français, Jacques-Olivier Boudon, Thierry Lenz, Natalie Petiteau, Claire Gantet et Jean Tulard, engage le lecteur à compléter ses connaissances à partir d’une série de flashs assez courts regroupés en douze séquences. L’auteure sait mêler habilement les éléments biographiques et les transformations d’un monde à cheval sur deux siècles, les grands événements qui rythment la vie de Napoléon Bonaparte, de ses origines en Corse jusqu’à sa mort à Sainte-Hélène, en parallèle et souvent en corrélation avec la naissance d’un monde nouveau qui surgit après un quart de siècle de bouleversements politiques, sociaux, économiques et culturels, précipités et considérables. L’objet du livre est bien le monde de Napoléon, ou mieux, au temps de Napoléon, puisque certains développements nous entraînent aux confins de l’Europe (les Balkans, le Caucase), mais aussi hors d’Europe (l’Égypte, cela va de soi – mais le terme »invasion« convient-il – et aussi les Indes, les Antilles, les Amériques du centre et du sud). Il y a bien sûr un avant et un après – le fameux »Am Anfang war Napoleon« de Thomas Nipperdey – et il convient de rappeler tout ce qui a rendu possible l’ascension fulgurante de ce petit noble corse, façonné par la Révolution et hissé au premier rang en France et en Europe par la guerre, tant qu’elle a été victorieuse. On saura gré à l’auteure de rappeler, dès l’introduction, que les guerres napoléoniennes ont coûté la vie à 6 millions de soldats, autant que la première guerre mondiale, ce que beaucoup de zélotes de l’empereur veulent consciemment oublier.
Insistons sur ce qui fait de cet ouvrage une œuvre originale, de notre temps, des premières décennies du xxie siècle. En ce qui concerne la représentation politique, il est rappelé avec raison que les femmes, les pauvres, et les esclaves en furent durablement exclus et que le suffrage fut réservé, sauf à Haïti, aux hommes blancs. Que cette mention de la »blanchitude« soit évoquée pour la première fois dans l’ouvrage à propos de la constitution pour la Corse élaborée par Pascal Paoli (p. 10), paraît assez incongru, car il ne devait pas y avoir beaucoup de Noirs dans l’île en 1755; le Maure du drapeau ne doit pas tromper. L’auteure donne toute sa place au fait colonial et à l’esclavage avec quelques pages sur Haïti, Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines, ainsi qu’aux femmes, non seulement Joséphine, instrument de l’ascension de son époux, mais aussi les héroïnes malheureuses de la Révolution, Olympe de Gouges et Théroigne de Méricourt.
L’Allemagne fut particulièrement traversée par les armées et bouleversée dans son organisation territoriale. L’auteure insiste sur la responsabilité de la Prusse qui, pour avoir les mains libres du côté de la Pologne, sortit du conflit pour traiter en 1795 avec le Directoire, donnant ainsi un coup fatal au Saint-Empire romain germanique; elle entraîna derrière elle toute l’Allemagne du nord et livra la Rhénanie en reconnaissant le Rhin depuis Bâle comme frontière naturelle de la France. Avec équanimité, une place mesurée est donnée au mouvement jacobin allemand, à Forster, à la république de Mayence, à cette tentative d’une troisième Allemagne autour du royaume de Westphalie, tout comme est illustrée la résistance au joug napoléonien, dans les écrits, la presse, ses héros connus comme le Tyrolien Andreas Hofer, celui-ci autant anti-bavarois qu’anti-français, ou le Nurembergeois Johann Philipp Palm.
La catastrophe finale se mesure aux chiffres de l’effroyable hécatombe de la retraite de Russie: en juin 1812, le Niémen est passé avec 450 000 hommes, il n’en reste que 5000 en état de combattre lorsque les lambeaux de l’armée arrivent en Pologne. Les deux tiers de la grande armée sont morts, un sixième est prisonnier. Seulement 5% des Wurtembergeois enrôlés et 14% des Bavarois revirent leur patrie. Le prix du sang était-il moindre il y a deux siècles qu’aujourd’hui? Déjà du temps de Sainte-Hélène et après 1821, la légende s’empara de Napoléon, »Tod und Verklärung«. Le »Mémorial de Sainte-Hélène« eut un succès considérable et fut traduit en de nombreuses langues. L’auteur de cette note rappelle que Napoléon tient la première place dans le catalogue des personnages de la Bibliothèque nationale de France, la première aussi, avant Jeanne d’Arc, dans l’inventaire des assiettes parlantes. La fascination devant un destin exceptionnel doit demeurer mesurée. Pour l’heure, la diffusion européenne du Code Napoléon est moins éprouvée positivement, comme la solidification de l’aliénation juridique des femmes; et pour les Noirs et descendants d’esclaves, le Premier Consul fut celui qui rétablit en 1802 l’esclavage aboli par la Convention en 1794.
On conclura en redisant la volonté d’impartialité du texte, et en soulignant la qualité des nombreuses cartes et le choix des illustrations, portraits et tableaux, mais on regrettera cependant que leur emplacement actuel ne soit pas indiqué.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Claude Michaud, Rezension von/compte rendu de: Ute Planert, Napoleons Welt. Ein Zeitalter in Bildern, Darmstadt (wbg Theiss) 2021, 224 S., 140 farb. und s/w Abb., 13 Kt., ISBN 978-3-8062-4304-8, EUR 40,00., in: Francia-Recensio 2022/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87438