On ne disposait jusqu’à ce jour d’aucune traduction française de »La vie de saint Didier de Cahors«, dont les dernières éditions remontent à plus d’un siècle, respectivement 1900 (René Poupardin) et 1902 (Bruno Krusch). Si l’existence d’une traduction de qualité accompagnée d’une édition critique, permettant de rendre ce texte accessible au plus grand nombre, suffit à expliquer l’intérêt d’un tel ouvrage, ses qualités vont bien au-delà. Il est en particulier très appréciable que la collection »Hagiologia« fasse suivre sa belle et riche synthèse sur le légendier de Moissac1, dont le texte de la »Vita s. Desiderii« sert de base à la présente édition, d’un volume qui bénéficie tout particulièrement des contributions scientifiques qu’elle proposait.

L’ouvrage propose un peu plus de 250 pages de texte, dont plus de la moitié est consacrée au commentaire historique et critique de l’édition. On y trouve tout d’abord une présentation des différents manuscrits de la »Vita« et de la méthodologie scientifique à l’œuvre dans cet ouvrage. Une mise au point sur l’hagiographe ainsi que le contexte de rédaction, et une présentation détaillée de la vie de l’évêque de Cahors, établissent ensuite les nombreux intérêts que revêt ce récit hagiographique pour l’historien. Une courte explication des principes d’édition permet ensuite de comprendre certains choix des éditeurs face aux difficultés présentées par les corrections tardives du texte. On apprécie en particulier que la rigueur éditoriale soit accompagnée d’une dose de pragmatisme cherchant à »épargner à nos lecteurs la surabondance des variantes infrapaginales« (p. 124) avec ce qu’elles comportent de complications éditoriales et de questions insurmontables dans le cas présent. Enfin, une copieuse bibliographie complète cette première partie de l’ouvrage. L’édition et la traduction mêmes du texte suivent, proposées dans une présentation bilingue en vis-à-vis qui facilite grandement la navigation.

La date de rédaction de la »Vita« est une des premières révisions apportées par cette édition. Bruno Krusch la datait de la fin du VIIIe siècle, notamment parce qu’elle s’inspire visiblement du texte de la »Vita Eligii«. L’attribution récemment établie de cette dernière à saint Ouen, dans la seconde moitié du VIIe siècle, couplée à plusieurs éléments de contexte historique et une réévaluation de la langue même de la »Vita Desiderii«, confirment pour ce texte une datation de la fin du VIIe siècle, soit quelques décennies au plus après la mort du saint. Le texte connaît ensuite des réécritures carolingiennes, ainsi que la composition de »Miracula« par un autre auteur.

L’hagiographe s’avère certainement originaire de Cahors, endroit qu’il connaît bien; il a manifestement accès à de nombreuses sources historiques, cite les Écritures mais aussi plusieurs hagiographes (Sulpice Sévère, Venance Fortunat) et s’inspire en particulier de la »Vita Eligii«. Aspect notable, son texte suit un strict déroulement chronologique, et prend le temps de détailler l’enfance et la formation de Didier, vir illuster de la noblesse gallo-romaine en Aquitaine, formé au Palais du roi Clotaire II et s’illustrant à la cour de ce souverain ainsi que de son fils Dagobert Ier. C’est ce dernier qui le nomme évêque de Cahors à la suite de l’assassinat du précédent évêque, Rusticus, frère de Didier, dans des circonstances troubles que les éditeurs cherchent à retracer.

Commence alors la seconde partie du texte, qui abandonne sa structure chronologique au profit d’une certaine atemporalité visant à démontrer l’action continue de Didier dans son épiscopat; ce dernier s’avère en particulier un grand bâtisseur d’une cité chrétienne tant temporelle que spirituelle. Il est intéressant de noter que contrairement à un certain nombre de saints, Didier n’est pas averti de l’heure de sa mort, mais un prodige de la »Vita« sert au contraire à rappeler que la date de la mort de chacun est prévue à l’avance et ne peut être évitée. L’auteur se montre d’autre part avare en miracles ante mortem, et les vertus de Didier sont avant tout celles d’un évêque et pasteur qui comble d’amour sa cité, dans laquelle il introduit notamment le monachisme. Ce n’est qu’après le récit de la mort du saint que le texte enchaîne sur une collection de miracles qui permettent d’approcher avec force détails la naissance de son culte.

Le texte ne lasse pas de surprendre, et cette édition permet au lecteur ou la lectrice d’en approcher avec érudition les enjeux. On note ainsi l’apport déjà connu de cette »Vita« concernant la topographie chrétienne et l’histoire architecturale de la cité de Cahors, l’évêque ayant été, on l’a vu, un grand bâtisseur. La »Vita« est ainsi riche en informations précises sur les techniques d’édification, mais également sur les nombreux donateurs de l’église cahorsine. Il s’agit également d’un document exceptionnel pour l’approche des dignitaires du Palais à la cour de Clotaire II et de Dagobert Ier, et l’importance de ce groupe de nutriti royaux dont la formation au Palais est assimilée par les éditeurs à l’actuelle École nationale d’administration française. La figure de la mère de Didier, Herchenfreda, dont la »Vita« nous conserve trois lettres à son fils et dont l’éducation classique semble indéniable, offre quant à elle un aperçu du rôle des femmes dans l’éducation et le parcours de ces serviteurs du roi, mais aussi de touchants moments tenant de l’intime. Des discussions sur le vocabulaire de la civitas (ainsi p. 167, n. 80) et des termes de populus ou plebs (p. 82–83) rappellent la question de la persistance des civitates antiques et de leur fonctionnement municipal jusque tard dans la période mérovingienne.

Plutôt que de continuer encore cette énumération, concluons donc à l’intérêt manifeste de la »Vita Desiderii« pour l’historien, à l’arrivée bienvenue d’une traduction française et d’une nouvelle édition critique, et à la qualité globale de cet ouvrage qui ne lasse pas de susciter la réflexion de ses lecteurs.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Clara Germann, Rezension von/compte rendu de: Keith Bate, Élisabeth Carpentier, Georges Pon, La vie de saint Didier, évêque de Cahors (630‑655). Introduction, édition, traduction et notes, Turnhout (Brepols) 2021, 280 p., 4 ill. en coul. (Hagiologia, 16), ISBN 978-2-503-59145-2, EUR 85,00., in: Francia-Recensio 2022/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87444