L’édition des actes de la rencontre organisée à Louvain-la-Neuve du 26 au 28 avril 2007 comprend douze articles, précédés d’un avant-propos, d’une présentation historiographique (J.-M. Yante) et d’une ample bibliographie de plus de 25 pages et ils sont suivis d’une conclusion (J.-M. Cauchies) et d’un index des noms de lieux fort utile de 30 pages. Les contributions sont organisées en trois volets: »Enquêtes historiques«, »Apport des mots et des textes« et »De l’archéologie à l’iconographie«. Cette nouvelle publication vient confirmer, si cela était encore nécessaire, que la route constitue un objet de recherche passionnant et foisonnant. Routes et chemins se prêtent tout particulièrement aux approches pluridisciplinaires et à une étude comparée car la route est une réalité, certes mouvante, mais qui reste fondamentalement la même à travers les siècles, les sociétés et dans les espaces les plus divers: un espace de circulation.

On retrouve ainsi dans cet ouvrage les interventions d’historiens et d’historiennes, d’archéologues, d’historiens et d’historiennes de l’art, de littéraires et de linguistes qui traitent bien d’un même sujet. Qui dit homme et peuplement, dit routes et déplacements. Toutes les approches sont alors permises et ce colloque met en évidence la grande diversité des sources. On pense en premier lieu aux récits de voyages et de pèlerinages (J. Paviot) ainsi qu’à la littérature épique et aux chansons de gestes (J.-C. Vallecalle). Les enluminures (P. Mane) et l’archéologie (M.-H. Corbiau, G. Raepsaet), qui permet de connaître les tracés, les structures et les charrois, apportent une contribution essentielle ainsi que les comptes de péages (J.-M. Yante), la législation particulièrement riche dans les villes communales italiennes (T. Szabò), les chartes et les lettres de doléances (F. Brechon). Moins communément exploitées, la numismatique et l’hagiographie (O. Bruand) sont aussi très utiles, permettant de remonter à une période où l’écrit est encore rare. Les Écritures, l’exégèse et les sermons peuvent en outre être mis à contribution et permettent d’évoluer entre la réalité et l’imaginaire de la route (F. Morenzoni).

Les pensées inspirantes de Lucien Febvre et de Paul Zumthor planent sur ces études pour rappeler que »tout peut être document«et que la route est à la fois matérielle et immatérielle (L. Febvre, »La Terre et l’évolution humaine«, 1920), nous invitant à explorer le cheminement qu’est l’existence humaine dans sa dimension vécue, spirituelle et imaginaire (P. Zumthor, »La mesure du monde«, 1993). L’homme médiéval comme le chercheur est un homo viator.

Les contributions reviennent sur des thématiques déjà explorées tout en déjouant les clichés: l’héritage romain est important mais ne saurait être essentiel dans toutes régions car les axes de circulation peuvent être plus anciens, notamment quand ils sont secondaires. Le réseau médiéval remonte à l’époque mérovingienne au VIIe siècle bien avant que l’Occident ne »se couvre d’un blanc manteau d’églises« (Raoul Glaber) et de châteaux au XIe siècle. Si le XIIe siècle est un tournant important en raison de la généralisation de l’usage du cheval et du collier d’épaule, il convient de se méfier de la conception d’un »long Moyen Âge« courant jusqu’au XVIIIe siècle, car le XVIIe siècle apporte des nouveautés importantes. Les nouvelles techniques de transport rendent en effet inadéquat l’équilibre routier médiéval. Si la route et la ville, quelle que soient ses dimensions, ont un destin commun comme le rappelle le colloque clermontois de 2014 (»Routes et petites villes de l’Antiquité à l’époque moderne«, Clermont-Ferrand 2020), les implantations et les échanges ruraux ont une part essentielle dans l’histoire de la route et méritent d’attirer l’attention des chercheurs qui ne peuvent que souhaiter l’essor d’une archéologie médiévale routière, trop timide en France. Il est aussi important de rappeler que les hommes et les animaux empruntent des voies communes et que la montagne est une zone de circulation intense qui offre l’avantage de mieux conserver les traces des routes, inscrites dans le roc.

Si la route est fondamentalement réelle et vécue, répondant aux nécessités de déplacements et d’échanges à toutes les échelles et dans toutes les communautés, elle trouve sa place dans l’imaginaire médiéval et se prête aux métaphores de la vita; au Moyen Âge comme aujourd’hui, elle est ainsi inhérente à l’existence humaine. Ce colloque accorde une place importante à cette dimension mentale qu’ont su exploiter notamment les prédicateurs à des fins moralisatrices.

Comprendre les spécificités et les subtilités de la route médiévale nécessite enfin de revenir aux mots et aux variations sémantiques et odonymiques: via, strata publica, camin, iter, ruga, Weg, straße, strâza, draya, semita, serra (W. Haubrichs, P.-H. Billy). Le vocabulaire qui désigne les routes est particulièrement riche et évolue au cours des siècles; les noms attribués aux différentes voies livrent des indications sur leur emplacement, leur fonction, leur histoire; certaines attestent du passage d’une force surnaturelle, il existe ainsi menant à Néris-les-Bains en Auvergne, »la chaussée de la fée« (p. 181).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Céline Perol, Rezension von/compte rendu de: Marie-Hélène Corbiau, Baudouin Van Den Abeele, Jean-Marie Yante, Anne-Marie Bultot-Verleysen (dir.), La route au Moyen Âge. Réalités et représentations, Turnhout (Brepols) 2020, 346 p., 23 ill. (Publications de l’Institut d’études médiévales. Textes, études, congrès, 32), ISBN 978-2-39037-004-8, EUR 48,00., in: Francia-Recensio 2022/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87449