Dans cet ouvrage, Robert Couzin s’interroge sur les relations entre la gauche et la droite et leur capacité à sous-tendre la composition de l’image médiévale. Le corpus iconographique rassemblé par l’auteur est varié, réunissant différentes techniques et divers supports, autant en Orient qu’en Occident, le tout sur une période d’environ mille ans. L’étude part du simple constat que la majorité de la population privilégie le côté droit, en particulier la main droite dans la vie quotidienne, valorisant ainsi, consciemment ou non, la droite par rapport à la gauche. Au-delà de ces aspects physiologiques, cette nette préférence pour le côté droit serait également culturelle parce qu’héritée de pratiques sociales mises en place dès l’Antiquité. Durant les premiers siècles de notre ère, les communautés juives et chrétiennes s’inscrivent dans ce sillon et cette préférence perdure dans la société médiévale.
Dès lors, cette étude synthétique s’impose comme une réflexion originale sur la place, le rôle ordonnateur et la signification de la relation entre gauche et droite dans l’iconographie médiévale, ainsi que sur les enjeux sociaux de la prédominance du côté droit. C’est en suivant une approche diachronique et en adoptant un horizon transdisciplinaire – d’abord de par sa formation en philosophie et en droit – que l’auteur propose de réfléchir sur un sujet à la fois riche et complexe, peu abordé, voire ignoré dans l’historiographie depuis l’étude de Robert Hertz en 19091. R. Couzin poursuit dans cet ouvrage des réflexions amorcées dans sa thèse de philosophie soutenue en 2013 portant sur les sarcophages paléochrétiens2. En outre, ses observations sur les éléments placés à la gauche du Christ dans les scènes de Traditio Legis ont participé à nourrir sa monographie consacrée à ce thème iconographique en 2015, puis un chapitre du présent ouvrage3. L’ensemble a également été alimenté par des réflexions publiées en 2017 sur la préférence de la main droite dans le décor des colonnes historiées en spirale, un thème que l’on retrouve dans les dernières pages de la présente étude4.
Le texte est composé de trois parties (»The Right Hand«, »The Right Side«, »The Right Way«) réunissant dix chapitres qui scandent un argumentaire de 242 pages. Le découpage thématique du plan de l’ouvrage reprend celui de l’article d’Ursula Deitmaring5(1969) portant sur le »De Universo« (842–846) de Raban Maur (v. 780–856) qui met en lumière trois valeurs de position qui sous-tendent les rapports entre l’humain et le divin, entre charnel et spirituel. Les deux premières parties présentent des considérations générales avant de réfléchir à partir d’études de cas, alors que la dernière partie est davantage conçue comme une suite d’analyses. Concernant les illustrations, une distinction est opérée entre les 69 figures reproduites dans le texte et les 305 arkyves consultables dans la base de données payante des éditions Brill. Cette disproportion due aux droits de publication des images est tout de même assez dommageable pour le lecteur. Celui-ci peut toutefois retrouver toutes les informations des illustrations dans une table détaillée au début de l’ouvrage (p. IX–XXVI) avant la liste des abréviations (p. XXVII–XXVIII). Les index des œuvres et monuments (p. 282–290), ainsi que des noms et sujets (p. 291–299) facilitent la circulation dans le texte et offrent un aperçu de la diversité des images étudiées et de leurs contextes.
Dans la partie I, »The Right Hand«, l’axe de réflexion choisi par l’auteur est vertical et la dynamique descendante, du céleste vers le terrestre, du spirituel vers le matériel. Il est d’abord question des origines et de l’évolution de la figuration de la main droite de Dieu détachée du corps, dans des scènes vétérotestamentaires, néotestamentaires et hagiographiques. L’autre main divine est ensuite examinée à partir de la figuration assez singulière de la double main de Dieu émergeant du ciel. Celle-ci permet de distinguer deux figures, deux types d’offrandes, deux actions, deux valeurs comme nous le voyons sur l’image choisie en couverture de l’ouvrage6. Le chapitre suivant traite des mains porteuses d’armes dans les scènes de combats, puis de la pratique de l’écriture, soulignant le nombre restreint de gauchers chez les scribes par rapport aux combattants. Néanmoins, la question de la figuration des laboratores, notamment des mains porteuses d’outils dans les travaux des mois est écartée, alors que la documentation est abondante. Le dernier chapitre est consacré à la figuration des pieds statiques et en mouvement notamment dans l’espace ecclésial, préconisant par exemple aux célébrants de débuter les déambulations avec le pied droit.
Dans la partie II, »The Right Side«, il est question de déterminer la figure de référence sur l’image, définissant la gauche et la droite et ainsi, la composition de l’image. Un chapitre est consacré à la question des apôtres Pierre et Paul et leurs liens visuels avec le Christ dans l’art paléochrétien, en particulier dans les scènes de Traditio Legis. Il est question, par exemple, de la mise en place d’une convention de privilégier le geste de Dieu et son bras droit au-dessus de Paul, et non le volumen de la Loi. Placé par nécessité de composition dans la main ou sur la jambe gauche du Christ, l’objet définit ainsi la place de Pierre et donc de Paul. En plaçant Paul à la droite du Christ, le lien privilégié de Pierre avec le Christ est également contrebalancé, rétablissant un certain équilibre, telle une image de la concordia apostolorum. Le chapitre suivant traite de la codification de l’emplacement de chacun des époux dans l’art médiéval. L’auteur démontre que l’époux est toujours placé à la droite de l’épouse et donc à gauche sur l’image, alors que leurs places sont inversées dans l’art paléochrétien. L’auteur montre toutefois les limites de cette règle, plus difficile à appliquer dans le cas des scènes incluant le Christ, Marie, Jean-Baptiste et les donateurs qui ne peuvent être placés, tous les deux, à la droite du Christ.
Dans la partie III, »The Right Way«, une suite d’études de cas offre une vision des multiples facettes de l’objet d’étude. Le premier chapitre de cette partie est consacré à la signification de la gauche et de la droite chez les pythagoriciens et dans la patristique, en s’attachant à la métaphore du »Y«, symbolisant la bonne (»The Right Way«) et la mauvaise voie à suivre, les vertus et les vices. Les deux derniers chapitres traitent de la question de la réception de l’image médiévale aujourd’hui en s’appuyant sur les résultats des recherches en neurosciences pour tenter d’expliquer la préférence du mouvement des figures de la gauche vers la droite. La démonstration s’achève par une série de réflexions sur la lecture en spirale du décor de la colonne en bronze d’Hildesheim (v. 1022).
Ainsi, R. Couzin propose une étude originale qui éclaire différemment des aspects compositionnels et sémantiques de l’image paléochrétienne et médiévale en s’attachant aux relations entre la gauche et la droite. Au-delà d’une réflexion sur les enjeux de la prééminence du côté droit dans l’art médiéval, l’auteur met en lumière tout un jeu de relations, jusqu’ici peu examiné sous cet angle, entre les figures, les gestes, les objets et les inscriptions dans l’image.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Raphaël Demes, Rezension von/compte rendu de: Robert Couzin, Right and Left in Early Christian and Medieval Art, Leiden (Brill Academic Publishers) 2021, XXVIII–300 p., 69 b/w & col. ill. (Art and Material Culture in Medieval and Renaissance Europe, 16), ISBN 978-90-04-44825-4, EUR 143,00., in: Francia-Recensio 2022/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87450