L’histoire urbaine a, depuis quelques décennies, le vent en poupe. Pour l’historien professionnel elle offre une possibilité évidente d’exercer son métier de façon holistique sur un sujet relativement bien délimité, en permettant d’intégrer un maximum d’aspects concernant l’activité humaine: économie, politique, religion, culture … Quant au grand public d’amateurs d’histoire avisés, elle lui apporte une histoire »concrète« qui se développe autour d’un espace bien connu et presque familier. L’histoire de la ville de Vienne au Moyen Âge que nous présentent les deux auteurs, médiévistes et archivistes chevronnés en ce qui concerne l’histoire de la capitale autrichienne, relève toutefois d’un défi. Pour le grand public le Moyen Âge n’est pas la période à laquelle on associe spontanément la ville de Vienne, qui, il faut le reconnaître, fait plutôt penser à l’époque des fastes habsbourgeois aux temps dits modernes, voire à la fabuleuse explosion de créativité artistique et scientifique de la Belle Époque. De plus, l’histoire urbaine du Moyen Âge fait d’ordinaire plutôt penser à une insalubrité partout présente, une organisation spatiale véritablement chaotique ou à une atmosphère de violence menaçante, bref: un Moyen Âge qu’on caractérise habituellement d’obscur et d’arriéré.
S’il y a sans doute un fond de vérité dans cette vision elle demande toutefois à être fortement nuancée, ce que font les deux auteurs du livre. Ils s’acquittent en effet de la tâche en proposant une approche originale. Presque la moitié du livre (quelques 200 pages) est dédiée aux voix des contemporains. Les auteurs éditent une sélection de sources diplomatiques et narratives, toutes présentées en traduction allemande avec référence aux éditions scientifiques disponibles. Cette sélection prend son départ dans la première moitié du IXe siècle, pour devenir »abondante« à partir du XIVe siècle et prendre fin en 1529 lors du premier siège de la ville par le pouvoir ottoman. Une chronologie qui se démarque à première vue de ce qu’on entend traditionnellement par Moyen Âge mais qui trouve sa logique dans l’histoire même de la ville.
L’autre moitié du livre se présente comme une étude historique thématique et analytique. Sont traités successivement, après une présentation de la documentation qui permet de délimiter les possibilités et limites de notre connaissance historique, l’espace urbain, l’infrastructure et la logistique de la vie en ville, le gouvernement urbain et les institutions, les habitants: citoyens et autres (avec une attention particulière pour les groupes dits marginaux), l’économie urbaine et finalement ce qu’on a baptisé la vie urbaine, c’est-à-dire la quotidienneté ainsi que les festivités urbaines qui permettent à la ville de se montrer au monde extérieur. Une sélection, voire même une suite de sujets qui s’inspire délibérément du modèle de synthèse de l’histoire urbaine allemande conçu par Eberhard Isenmann1. Le lecteur pourrait se demander pourquoi l’Église n’a pas eu droit à une approche thématique spécifique, ce qui à première vue peut étonner. De multiples institutions ecclésiastiques, telles les ordres mendiants et les hôpitaux, sont en effet fondées dès le XIIIe siècle, presqu’exclusivement à l’initiative de la bourgeoisie locale. À partir de la fin de ce siècle la dynastie des Habsbourg allait reprendre l’initiative de ces fondations. Mais les nombreux bâtiments ecclésiastiques sont traités ici en tant que marqueurs (Leitfossilien) permettant de décrire le développement spatial de la ville.
Grâce à ce concept original – survol de témoignages directs suivi par une analyse thématique – le livre cible bien sûr un public large, mais se présente aussi comme un outil pédagogique qui, espérons-le, trouvera son chemin vers les séminaires académiques, voire vers l’enseignement secondaire. Son utilisation sera fortement stimulée par la présence d’un index de noms (de personnes et de lieux) et de matières très détaillé (il compte à lui seul plus de 100 pages), et d’une bibliographie également abondante. Ajoutons que le livre est très bien illustré par quelque 48 illustrations en couleur. La seule chose qui manque est une (plusieurs?) carte(s) de Vienne; le lecteur devra s’en remettre à l’atlas historique de la ville de Vienne, dont la première livraison date de 1982. Cet atlas est de la main experte de Ferdinand Opll qui n’a depuis lors cessé de publier des ouvrages sur les cartes, représentations et vues de cette ville magnifique.
L’ouvrage, à ce manquement près, est un modèle du genre, apte à démontrer, si besoin en était, à quel point l’histoire urbaine peut parler à un public avide de connaissances historiques.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Marc Boone, Rezension von/compte rendu de: Peter Csendes, Ferdinand Opll, Wien im Mittelalter. Zeitzeugnisse und Analysen, Köln, Weimar, Wien (Böhlau) 2021, 520 S., 48 farb. Abb., ISBN 978-3-205-21401-4, EUR 45,00., in: Francia-Recensio 2022/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87451