Le nouveau volume des actes de l’empereur et roi de Sicile Frédéric II de Hohenstaufen, couvrant les six années 1226–1231, paraît quatre ans après le précédent (délai très raisonnable, étant donné la masse énorme de travail impliquée), sous la direction du regretté Walter Koch, grâce à un solide travail d’équipe. Ce volume, composé d’une édition des sources de 643 pages et d’un registre de plus de 350 pages, ne présente pas d’introduction discutant les évolutions des pratiques de la chancellerie durant la période, celle-ci étant prévue pour la livraison suivante. Je me contenterai donc de présenter de manière générale les caractéristiques du matériel inclus, consistant en 264 diplômes ou lettres, avant de livrer quelques éléments de discussion sur certaines pièces dont le traitement peut être matière à débat.
Le volume couvre des années déterminantes du règne de Frédéric II. En 1226, l’empereur, qui porte le titre de roi de Jérusalem depuis le 9 novembre 1225, descend lentement d’Italie du Nord, où il se trouve jusqu’en juillet, pour séjourner ensuite dans les Pouilles, notamment à Foggia. Les préparatifs de la croisade longtemps retardée apparaissent dans une lettre à Honorius III (n° 1230), tandis que divers privilèges sont délivrés à des nobles, communes ou institutions allemands, d’Italie du Nord, du royaume de Sicile et de Provence. L’empereur commence l’année 1227 par un circuit sicilien insulaire, avant de séjourner à Melfi, à Brindisi, à Capoue. Le texte n° 1276, délivré le 5 décembre à Capoue, est une encyclique justifiant le départ manqué pour la croisade et accusant la papauté. L’année 1228 est celle du départ pour la Terre sainte, et des hostilités commençantes contre la papauté (n° 1291, révocation de la donation de Civitanova à l’Église, n° 1294, encyclique sur son départ en croisade). Une série d’actes émis en Terre sainte concerne notamment (mais pas seulement) l’ordre Teutonique. En août 1229, l’empereur est rentré dans le royaume de Sicile, envahi par les troupes papales qu’il reconquiert à main armée. L’acte n° 1333, du 15 avril 1231, atteste les négociations de paix avec la papauté, et la pacification générale à partir de juillet. L’été 1231 une fois passé en partie dans le Latium pour en régler les détails, l’empereur retourne dans les Pouilles et la Basilicate. Les pièces traitées dans le volume changent en partie de nature entre les deux périodes 1226–avril 1230 et mai 1230–décembre 1231. La documentation diplomatique, jusqu’alors quantitativement dominée par des privilèges, se réorganise en effet radicalement, avec l’inclusion de nombreuses pièces issues des »Excerpta Massiliensia«(Arch. dép. des Bouches-du-Rhône, B 175), collection de textes extraits à l’époque angevine de registres d’époque Hohenstaufen, qui forme la plus importante source sur l’activité administrative dans le royaume de Sicile sous le règne, avec l’unique registre conservé de 1239–1240. D’où une multiplication des pièces pour cette année et demi, mais (dans le cas des textes extraits des »Excerpta«), souvent de pièces mutilées, dont ne subsistent que des extraits, parfois semi-formularisés, sans indication sur le lieu d’émission, et avec des mentions chronologiques lacunaires ou manquantes. Telles quelles, ces pièces gardent une valeur inestimable, enregistrant notamment toutes sortes de dispositions administratives et économiques (par exemple en rapport avec la production de la soie dans le royaume). En ce qui concerne les relations avec l’espace français actuel, le volume contient quelques actes concernant la Provence, bien sûr alors impériale (n° 1234–1236, confirmation de ses possessions à Raimond Bérenger, comte de Provence; n° 1279, permission donnée au provençal Raimundus Pastinatus d’acheter et de vendre des armes dans le royaume de Sicile; n° 1287–1289, actes en rapport avec la famille de Baux, actes n° 1359–1361 pour l’archevêque d’Arles). Un acte concerne les habitants de Montpellier (n° 1309, mais en rapport avec la flotte de Marseille). Enfin, on relève un vestige d’une encyclique annonçant une alliance avec Louis IX (n° 1263), en date d’août 1227.
Trois textes dans cette livraison me paraissent pouvoir faire l’objet d’une discussion de type diplomatique. L’acte n° 1238, qualifié de douteux (zweifelhaft), en date de Trapani, octobre 1226, est une restitution et confirmation au couvent de Santa Marina de Stella près de Maiori (Salerne). J’ajouterais aux éléments permettant de mettre en doute son authenticité le fait que la formule humiliter flagitaverunt, dont le caractère inhabituel est souligné en commentaire, n’est pas bonne pour le rythme en fin de période (il faudrait humiliter flagitarunt), mais l’argument reste faible, puisque nous sommes en présence d’une transcription d’époque moderne: rien ne garantit qu’un original ne portait pas plutôt flagitarunt … (auquel cas nous aurions un élégant cursus velox).
Le texte n° 1276, fameux et authentique, en date du 5 ou 6 décembre 1227, est une explication envoyée visiblement à de nombreuses autorités politiques (nous en possédons des versions avec des salutationes adaptées) sur le départ manqué pour la croisade et la rupture avec la papauté. Il subsiste dans l’archive d’Imola en original, et dans des regestes conservés à Coblence et à Asti. La transcription de cette longue lettre, de grande qualité rhétorique, pose des problèmes spécifiques dus à l’état étonnant de l’original d’Imola, truffé de fautes et de corrections. Je ne suis tout de même pas sûr que la solution, consistant à intégrer sans mention particulière (en plein texte, les problèmes sont bien sûr indiqués dans l’apparat) les fautes grossières de cette pièce, ait été la meilleure (cf. par exemple ob confeferentis reverentiam, p. 208, cosaguineo,p. 209), car l’exemplaire d’Imola a visiblement été l’objet d’un accident. Il s’agit là toutefois d’une question mineure.
Plus problématique semble le parti pris d’estimer authentique, et de ne pas traiter comme zweifelhaft, un texte, le mandat n° 1329, considéré jadis par la recherche allemande, avec d’autres extraits de la même zone textuelle du même manuscrit (ms. Reims, 1275, fol. 34rv), comme un exercice de style, étant donné son contenu mettant en jeu l’utilisation de ses troupes musulmanes par l’empereur. Frédéric II y ordonne en effet à tous les Sarrasins résidant dans les Pouilles (la colonie de Lucera y était installée depuis peu) de lever une armée de 15 000 hommes, de participer à l’assaut de Gaète (qui s’était donnée au pape en 1229, et refusait de se soumettre à l’empereur), et, une fois la ville prise, de mutiler affreusement les nobles (ablation du nez, énucléation) avant de les chasser, de violer les femmes (mulieres vero turpiter penetrantes), de leur couper le nez et de les expulser, de châtrer les enfants (abstractis testiculis), qui auraient seuls le droit de rester. L’unique borne aux fureurs impériales projetées est la communauté ecclésiastique et les Églises, qui doivent être épargnées. Les éditeurs avancent que, le style étant bon, et correspondant aux modes d’écriture de la chancellerie (notamment pour la formule qui suit Sarracenis: per totam Apuliam constitutis, courante), l’acte doit être authentique. Ils n’ont peut-être pas pesé toutes les raisons qui ont fait écarter l’authenticité de ces documents à la recherche du début du XXe siècle. Un ordre impérial donné à une armée musulmane de 15 000 hommes (soit dit en passant un très gros chiffre, probablement très exagéré, étant donné la dimension des armées de l’époque) de sévir de cette manière contre la population de Gaète pour s’être donnée au pape, aurait été un instrument de propagande d’une force incalculable entre les mains des adversaires du camp impérial, dans le contexte de la première excommunication (comme d’ailleurs de l’arsenal réuni après 1239 dans le camp papal). Le style de la lettre ne prouve rien, sinon que ce texte a été composé par un dictator qui connaissait parfaitement le style de la chancellerie, peut-être parce qu’il appartenait lui-même à ce milieu. Je pense donc qu’il existe de sérieux arguments pour maintenir l’idée que cette pièce, tout comme l’acte n° 1346, lettre de reproches à Henri de Malte pour son incapacité à diriger 40 galères sur Naples, toujours dans le cadre du siège de Gaète, est une fiction rhétorique.
Ces points de discussion n’enlèvent bien sûr rien à la très grande qualité d’un projet éditorial au long cours, dont on attend la prochaine livraison avec impatience, puisqu’elle concernera des années 1231 à 1236 à la fois passionnantes pour le règne de Frédéric II (avec le séjour en Allemagne) et fondamentales pour la production stylistique de la chancellerie (avec le perfectionnement du style »campanien« impérialisant).
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Benoît Grévin, Rezension von/compte rendu de: Walter Koch (Bearb.), unter Mitwirkung von Klaus Höflinger, Joachim Spiegel, Christian Friedl, Katharina Gutermuth, Maximilian Lang, Die Urkunden Friedrichs II., Teil 6: 1226–1231. Texte und Register, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2021, XIV–1016 S. (Monumenta Germaniae Historica. Diplomata regum et imperatorum Germaniae, XIV,6), ISBN 978-3-447-11375-5, EUR 230,00., in: Francia-Recensio 2022/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87462