La piraterie est dans l’historiographie maritime un sujet récurent, mais chaque publication consacrée à ce sujet apporte une nouvelle couche à nos connaissances, comme le flux de la marée apporte une couche de sable sur le rivage. Le travail de Pierre Prétou, professeur d’histoire du Moyen Âge à l’université de La Rochelle, ne déroge pas à ce constat. Son ouvrage a toutes les qualités d’une étude scientifique. Si le titre de l’ouvrage parle d’invention, l’introduction invite plutôt à parler de réinvention dans la mesure où l’Antiquité fournit le vocabulaire et considère la piraterie comme l’une des pires infamies. Partant de ce constat, l’auteur fournit un plan en trois chapitres: la disparition du qualificatif et les difficultés de lutter contre la piraterie, la »fabrique du maléfice maritime« et l’action des rois de France pour imposer leur souveraineté sur les mers voisines du royaume.

De fait, la disparition de la partie occidentale de l’Empire romain provoque la disparition de la notion de la piraterie qui se maintient dans l’Empire romain d’Orient. Ce dernier, devenu Empire byzantin, tente bien d’en maintenir la signification et d’une manière plus concrète de lutter contre. Mais les invasions, la conquête musulmane et les guerres font que la notion de la piraterie s’efface, même si le terme »pirate« apparaît au titre de la rhétorique. Ce morcellement est l’occasion pour la »piraterie« dont il décrit certains modes opératoires. Ceci dit, si ce n’est quelques célébrités présentées comme Eustache le moine, il ne faut pas oublier qu’un simple navire marchand peut se muer en navire pirate si l’occasion se présente.

Dans la suite logique de ce constat, l’auteur s’attache ensuite aux différentes solutions adoptées par les états, spécialement par le royaume de France. Outre le guet de la mer pour lutter contre les descentes, il s’agit de trouver un système de compensation aux pertes subies par l’agresseur. Sur ces deux domaines, les premières régulations sont l’œuvre du monde méditerranéen. Dès le XIIe siècle, les républiques maritimes italiennes mettent en œuvre des chambres de compensation en attendant les lettres de représailles qui évoluent vers les lettres de marque. Pour le royaume de France, Philippe le Bel, en 1313, s’en préserve pour partie la compétence au travers de sa justice retenue ou, par défaut, au parlement auquel va s’ajouter la montée en puissance de l’amiral de France avec l’ordonnance de 1373. Ces derniers, comme d’autres souverains, doivent s’accommoder, dans l’espace atlantique, des usages préétablis par les praticiens de la mer: les »Rôles d’Oléron« ou »Jugements de la mer« dont la constitution fait l’objet d’un long développement de la part de l’auteur.

Cette longueur se retrouve dans la perception médiévale de la mer que dresse Pierre Prétou au début de la seconde partie. La mer est avant tout un lieu maléfique mais elle est aussi un désert spirituel qui permet d’accueillir la foi transfiguratrice favorisée par de nombreux miracles. Des souverains comme Saint Louis ne craignent pas d’embarquer et de s’emparer du gouvernail pour mener le navire à bon port, comme ils ont l’habitude de gouverner aussi leur royaume. Dans ces divers récits, les »pirates« et les sarrasins, suppôts de Satan, y ont bien sûr leur place. Le lexique criminel de cette pratique est similaire à celui du voleur à terre à l’image des sanctions qui s’imposent. Beaucoup de ces termes sont déjà cités dans la première partie de cet ouvrage y compris le terme de »larron des mers« (lis a-bakr) qui figure sous la plume des juges (qâdis) musulmans au IXe siècle. Pour l’auteur, il s’agit ici de les expliciter afin d’arriver au retour de la notion de la piraterie dans son acceptation antique.

De plus, pour que les souverains s’engagent à lutter d’une manière systématique contre la piraterie, il faut que non seulement la notion antique de la piraterie réapparaisse, mais encore que le roi considère la mer comme un prolongement du royaume. La littérature y joue un rôle prépondérant. Comme le démontre Pierre Prétou, un des éléments essentiels est la redécouverte de la littérature latine au XIIIe siècle. La guerre contre les pirates de Pompée, la mésaventure de César capturé par les pirates, tout est réuni pour que le roi de France qui s’identifie à l’empereur romain se lance dans la sujétion de la mer.

Le retour du pirate antique – »ennemi de tous«, selon Cicéron – dans le royaume de France ne s’est pas fait en un jour. L’évolution transparaît dans les récits judiciaires du parlement de Paris. Le terme de pirate y apparaît pour la première fois en 1308 en concurrence avec d’autres termes comme celui d’écumeurs de mer, pour s’imposer au début du siècle suivant, évoluant vers un statut criminel au début du XVIe siècle. Même les »Rôles d’Oléron« font l’objet d’une appropriation de l’état. Charles V a visiblement conscience de l’importance maritime de son royaume et la prise de contrôle progressive des côtes du royaume par ses successeurs rejoint le besoin de pacifier les mers tant pour lui que pour les souverains voisins. Un long processus décrit par l’auteur au travers du vocabulaire conduit à des traités avec les royaumes proches dont celui conclu avec l’Angleterre en 1497.

Il n’est plus question d’assujettir la mer mais bel et bien les marins. Une ordonnance royale faisant suite au dernier traité cité impose l’obligation aux capitaines des navires d’établir des rapports de mer et un embryon de rôles d’équipage. Pour la sauvegarde et la sûreté du royaume, la mer ne retrouve pas l’unité romaine mais un consensus progressif entre les différents états, le pirate n’y a pas sa place et le vocabulaire rend compte qu’il est bien l’ennemi de tous consacrés définitivement par la législation au siècle suivant.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Eric Barré, Rezension von/compte rendu de: Pierre Prétou, L’invention de la piraterie en France au Moyen Âge, Paris (Presses universitaires de France) 2021, 228 p., ill. en noir et en coul. (Le Nœud gordien), ISBN 978-2-13-082900-3, EUR 23,00., in: Francia-Recensio 2022/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87470