Cet ouvrage constitue le catalogue de l’exposition internationale qui a été consacrée à Marguerite de Savoie, à l’initiative de Peter Rückert, Anja Thaller et Klaus Oschema. Inaugurée en septembre 2020, à l’occasion du 600^e anniversaire de la naissance de Marguerite, dans le Landesarchiv Baden-Württemberg, cette exposition a été transférée en mars 2021 au château de Morges (Suisse, Pays de Vaud), puis six mois plus tard à l’Archivio di stato di Torino, où elle a été prolongée jusqu’en mars 2022. Originellement rédigé en allemand, le catalogue a fait l’objet d’une traduction en français et en italien, dont la qualité n’est malheureusement pas suffisante pour remplacer l’édition originale¹.

Le catalogue de cette exposition permet de mettre en lumière la personnalité peu connue de Marguerite de Savoie (1420–1479), fille puinée du duc Amédée VIII de Savoie, élu en 1439 pape sous le nom de Félix V, et de Marie de Bourgogne, fille du duc Philippe l^e Hardi. Mariée trois fois, tout d’abord de manière éphémère au roi Louis III de Naples, qui devait mourir en 1434, un mois seulement après son mariage, puis au prince-électeur, Louis IV du Palatinat (1445–1449), et enfin au comte Ulrich V de Wurtemberg (1453–1479), Marguerite a vécu au cœur des réseaux de la haute aristocratie européenne. Durant sa riche vie, entre Genève, Turin, Naples, Heidelberg et Stuttgart, elle eut l’occasion de participer à la vie de nombreuses cours et sa personnalité peut être accessible aux historiens, en particulier grâce à la conservation d’une grande partie de sa correspondance.

Au-delà de sa collection de notices des objets et documents présentés dans l’exposition, ce catalogue comporte une longue et belle partie d’études de première main, qui permettent de mettre en contexte la vie de Marguerite. Le livre s’ouvre par une présentation générale de Marguerite de Savoie, rédigée par Peter Rückert et Anja Thaller. Il se poursuit par deux articles de Klaus Oschema et Elisa Mongiano, qui dressent un tableau des États de Savoie au temps des ducs Amédée VIII et Louis, avant que Luisa Gentile ne donne une riche présentation de l’Archivio di stato de Turin. À partir des riches sources comptables savoyardes et en faisant feu de tout bois, Fanny Abbott parvient à écrire une belle contribution sur l’enfance de Marguerite, qu’elle suit, depuis sa naissance dans le château de Morges, dans l’une de ces »chambres de gésine« que la cour de Savoie faisait apprêter pour l’accouchement des duchesses, avant de s’intéresser à son berceau et ses nourrices, puis à son éducation.

C’est aussi en utilisant les sources comptables qu’Eva Pibiri est parvenue à rédiger une riche étude des deux premiers mariages de Marguerite. Elle montre comment la valeur de Marguerite évolua entre sa première union, lorsque le roi Louis III s’attachait par son intermédiaire à acquérir l’alliance savoyarde sur le terrain italien, et son deuxième mariage, quand son père devenu pape l’utilisa pour tenter d’obtenir le ralliement de l’Allemagne du Sud à son obédience. Eva Pibiri insiste sur les difficultés que rencontra Marguerite, d’abord dans son premier mariage, qui se termina un mois seulement après sa célébration, dans un contexte de guerre civile où la sécurité de la princesse se trouva menacée. Plus décevant encore semble avoir été le second mariage de Marguerite, dans la mesure où la cour impécunieuse de Savoie ne fut pas en capacité de verser la dot attendue, ce qui entraina de vives tensions avec l’électeur palatin, qui semblent avoir mis Marguerite dans une situation personnelle des plus inconfortables.

L’étude se poursuit avec une présentation par Anja Thaller de la vie allemande de Marguerite, avant que Peter Rückert ne présente les relations de Marguerite et de la maison de Wurtemberg, durant sa longue union avec le comte Ulrich V auquel elle resta mariée durant 16 années d’un mariage à l’évidence réussi. Julia Bischoff et Olaf Siart donnent une présentation détaillée de Stuttgart au temps de Marguerite, étudiant en particulier la cour que la présence de »la fille du pape« mit toute particulièrement en relief et les différentes traces que la princesse savoyarde a pu laisser. Franz Körndle et Joachim Kremer étudient, sous un angle musicologique, la vie de Marguerite, en essayant de reconstituer son itinéraire musical à travers les différentes cours qu’elle a pu fréquenter. Enfin, Karin Zimmermann essaie d’identifier les manuscrits de Marguerite, qui furent reversés à sa mort dans la bibliothèque d’Heidelberg, puisqu’ils revinrent à Philippe, le fils qu’elle avait eu de son union avec l’électeur palatin.

Enfin, le catalogue comporte une précieuse troisième partie, sous la forme d’un CD qui associe des reconstitutions de pièces musicales jouées dans l’entourage de Marguerite (Guillaume Dufay, Martin Le Franc etc.) et des lectures de sources (chroniques, correspondance etc.). L’écoute de ce CD permet de constater l’intérêt de la correspondance de Marguerite, qui met en exergue son très riche réseau international, qu’elle entretenait par l’échange de cadeaux de haute valeur, mais aussi les relations affectives qu’elle entretenait avec sa sœur ainée Marie, épouse de Philippe Marie Visconti. Riche de 130 lettres, cet ensemble épistolaire, rédigé en latin, en français, en allemand et en italien, est actuellement étudié par Anja Thaller, dont les premières conclusions publiées dans ce catalogue s’avèrent d’un grand intérêt.

Ce catalogue, richement illustré et bien relié, constitue donc une indéniable réussite. Son lecteur y trouvera de nombreuses reproductions de sources, de tableaux ou d’objets, ainsi que de précieuses annexes généalogiques, cartographiques et bibliographiques. Sa lecture lui permettra de bénéficier d’une belle approche de la vie de cour à la fin du Moyen Âge, en se laissant guider par Marguerite, dont la personnalité finit par apparaître, à travers les études croisées de la vingtaine de spécialistes qui ont apporté leur contribution à cet ouvrage.