L’ouvrage que propose Gérard Bonnet vient remédier au manque d’intérêt qu’ont toujours manifesté les historiens de la presse pour les agences. Les agences du fil Havas, France-Presse1, ont suscité peu d’ouvrages. Les agences de moindre importance comme les agences de photographie ont été ignorées jusque dans les années 2000 et aucun ouvrage de synthèse n’a vu le jour. Il n’est donc pas étonnant qu’une agence comme Inter-France, couvrant la presse régionale, n’ait pas retenu l’attention des spécialistes. Et pourtant, l’ampleur de son influence avait bien été signalée par »Le Monde« qui dénonçait son but et son propos: »Créée pour répandre l’esprit de la collaboration franco-allemande, elle fut ensuite une véritable ›directrice de conscience‹ des journaux au service de l’ennemi2.« C’est donc avec intérêt que l’on découvre une agence qui en moins d’une décennie va se hisser au rang d’agence de presse la plus importante pendant la période de l’Occupation.
Gérard Bonnet commence par brosser le portrait de l’entreprise et de ses hommes, son fonctionnement et son développement puis le positionnement de l’agence par rapport au pouvoir de Pierre Laval et de Marcel Déat. L’agence de dépêches télégraphiques et sa maison d’édition sombrent rapidement dans la collaboration et glissent progressivement vers celle de l’»État milicien« et la dérive pronazie. Après un panorama des initiateurs du projet – Dominique Sordet et ses hiérarques Michel Alerme, Henri Caldairou et Marc Pradelle – l’auteur explore le parcours de journalistes et employés, cheville ouvrière volontaire ou accidentelle de la prospérité et du développement de l’agence pendant huit années. En première partie, après cette très longue et minutieuse présentation et analyse, il montre comment, dès le Front populaire, la création d’Inter-France, en juillet 1937, répond aux attentes et aux inquiétudes de la presse nationaliste et reçoit ainsi le soutien du patronat. Dans une seconde partie, il explique comment l’agence s’inscrit dans une politique de collaboration avec l’occupant au fil des événements (Montoire, nouveau découpage territorial, disparition d’Havas-Information et création de l’OFI). Dans une troisième partie, région par région, l’auteur passe en revue l’implication de la presse de province et ses centaines de titres et met en évidence la mainmise d’Inter-France sur cette dernière. Avec beaucoup d’efficacité, il détaille le ralliement généralisé des patrons de presse aux thèses de l’occupant. Dans la dernière partie centrée sur la période 1943–1944, l’auteur retrace la dérive de Sordet applaudissant à la nomination de Déat, figurant dans »le dernier carré d’hallucinés« (p. 660) avant »le sauve qui peut« (p. 665) général et l’épuration.
Gérard Bonnet souligne les effets du partenariat avec l’agence allemande Transocean, prélude à la création d’Inter-France-Information (IFI), une agence de dépêches qui s’imposera rapidement comme la première agence télégraphique privée en France (chap. XII). En organisant les journées Inter-France en octobre 1942, Sordet se livre à une opération de propagande soutenue par Pierre Laval, revenu au pouvoir. Quatre-cents collaborateurs de la presse de province représentant trois-cent-cinquante journaux petits et grands, toutes périodicités confondues, viennent entendre la parole de la collaboration – Paul Marion, Jean Luchaire, Fernand de Brinon – et rencontrer les dignitaires nazis dont Rudolf Rahn, patron de la Propaganda-Abteilung (chap. XIV). L’agence fonctionne alors comme un serviteur zélé de la »Croisade antibolchévique«, de La Légion des volontaires français et de la propagande antisémite (chap. XV).
Un quart de la presse de province est alors actionnaire d’Inter-France dont une majorité de périodiques pour une poignée de quotidiens (chap. XVI). L’agence devient alors incontournable et fonctionne comme un passeur zélé entre le gouvernement et les journaux, grâce à son portefeuille d’abonnés (chap. XVIII).
La Libération et l’épuration qui s’en suit mettent fin à cette presse régionale dont la Résistance a compris et subi la nocivité. La mort de Sordet, le 13 mars 1946, et celle d’Alerme, le 1er mars 1949, mettent en sourdine une épuration qui s’essouffle avec le temps et (voir p. 715) ne retient qu’un petit nombre d’inculpés dans un dossier qui s’avère complexe. Le glissement à droite de la vie politique française annonce l’amnistie.
Pour étayer ses démonstrations et analyses, Gérard Bonnet se fonde sur des recherches synthétisées dans dix tableaux et dix-sept cartes qui dressent un panorama de la presse en métropole et en Afrique du Nord, un bilan fort utile pour des recherches à venir3. Cet ensemble est complété par des annexes faisant état des principaux collaborateurs d’Inter-France, et par une précieuse liste des hebdomadaires et périodiques abonnés à l’agence à l’été 1941, par régions en zone occupée, ainsi que par régions et par départements en Afrique du Nord.
C’est donc un éclairage inédit et pertinent sur la collaboration, ses serviteurs et leur mode d’action, leur fonctionnement étayé par une très ample documentation journalistique et économique que Gérard Bonnet propose dans sa somme sur l’agence Inter-France.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Françoise Denoyelle, Rezension von/compte rendu de: Gérard Bonet, L’agence Inter-France, de Pétain à Hitler. Une entreprise de manipulation de la presse de province (1936–1950), Paris (Éditions du Félin) 2021, 912 p., 12 ill. (Histoire & Sociétés), ISBN 978-2-86645-922-2, EUR 90,00., in: Francia-Recensio 2022/1, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87522