»Französische Österreichbilder – Österreichische Frankreichbilder« (»Images françaises de l’Autriche – Images autrichiennes de la France«) est le douzième opus de la collection »Forum: Österreich« dirigée par Jacques Lajarrige et Helga Mitterbauer aux éditions Frank & Timme. Cet ouvrage collectif regroupe douze articles, huit en allemand et quatre en français, ainsi qu’un avant-propos rédigé dans les deux langues. Ce sont pour l’essentiel des contributions d’une journée d’étude organisée en mai 2019 à Innsbruck par les universités d’Innsbruck et de Lorraine. Ces communications s’inscrivent dans le cadre du projet de recherche »DECAF« (»Dictionnaire des échanges culturels entre l’Autriche et la France«) qui, selon les auteurs de l’avant-propos, »souhaite proposer un examen systématique de la spécificité des relations culturelles entre la France et l’Autriche«, et, plus précisément, un examen des agents de ces échanges. D’autres colloques organisés dans le même cadre ont déjà donné lieu à des publications sur »les relations culturelles« franco-autrichiennes entre 1867 et 1938, sur »les relations de Johann Nestroy et d’Arthur Schnitzler avec la France« ou sur »les traducteurs, passeurs culturels entre la France et l’Autriche«.
Cet ouvrage se distingue par sa diversité thématique et son amplitude chronologique, de l’arrivée au pouvoir de Marie-Thérèse à la »fin provisoire« de l’Autriche en 1938. La plupart des articles se succèdent dans un ordre chronologique, avec une attention particulière accordée à trois périodes: le XVIIIe siècle des Lumières, le tournant du XXe siècle et l’après-Première Guerre mondiale. Leurs auteurs, principalement des spécialistes français et autrichiens, analysent ces échanges culturels par le biais de l’imagologie ou des transferts culturels.
L’avant-propos revient sur le projet »DECAF« et rappelle la difficile définition de l’objet d’étude »Autriche«, sa spécificité dans l’espace germanophone et ses liens avec les espaces non germanophones de la monarchie habsbourgeoise. Les deux premiers articles montrent d’ailleurs l’importance de ces deux pôles dans le traitement de l’»austriacité«. Dans la première contribution, Veronika Studer-Kovács analyse la réception-adaptation d’une pièce française, »Le Plaisir«, écrite par l’Abbé Marchadier en 1747 et jouée en 1765 dans la partie hongroise de la monarchie habsbourgeoise à l’occasion du second mariage de Joseph II. Il ne s’agit pas d’une traduction mais d’une réécriture en français par un jésuite hongrois de famille germanophone, Mattias Geiger. Norbert Bachleitner et Juliane Werner proposent ensuite une étude de l’image de »la Grande Nation« dans les manuels scolaires autrichiens de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Celle-ci offre une mise au point sur le système éducatif, montrant l’importance des liens avec l’Allemagne et prenant en compte la question des espaces non-germanophones, avec notamment l’exemple d’un manuel tchèque.
Les deux articles suivants, consacrés au XVIIIe siècle, mettent en regard la représentation que chaque pays a de l’autre à l’époque des Lumières. Martina Mayer s’intéresse à la place de l’Autriche dans l’»Encyclopédie«. Elle propose notamment une analyse statistique d’un double-corpus: le premier, très large, correspondant aux 76 737 articles de la première édition et le second, plus resserré, limité aux articles de la lettre »A«. L’article de Norbert Bachleitner est consacré à »Gérard van Swieten, censeur de la littérature française sous l’impératrice Marie-Thérèse«, présenté comme un agent de la réception des Lumières françaises en Autriche.
Cinq articles, consacrés au XIXe siècle et à l’aube du XXe siècle, traitent essentiellement de l’image et de l’influence de la France en Autriche. Fanny Platelle analyse ces aspects dans deux articles: »L’image de la France dans les ›Memorien meines Lebens‹ (1861) d’Ignaz Franz Castelli« et »La diffusion des opérettes d’Offenbach par les théâtres viennois de 1856 au début du XXe siècle«. Sigurd Paul Scheichl montre aussi l’influence française dans une étude des suppléments littéraires parus entre 1901 et 1910 dans le journal »Neue Freie Presse«. La surreprésentation des auteurs français, présents dans tous les suppléments, à côté des auteurs ayant publié en allemand, confirme le rayonnement de la culture française, quand les auteurs des autres nationalités de l’Autriche-Hongrie ne sont pas traduits et qu’un seul auteur anglophone, George Bernard Shaw, est régulièrement mentionné. Deux articles étudient les représentations de la France par deux auteurs autrichiens qui y ont séjourné avant la Première Guerre mondiale. Marie-Claire Méry présente »les visions plurielles de Rudolf Kassner« à l’occasion de son séjour parisien en 1900. Wolfgang Pöckl s’intéresse à la France dans »Le Monde d’hier« de Stefan Zweig. Dans les deux cas, la France reste limitée à Paris, présenté comme un pôle culturel majeur, régulièrement comparé aux autres métropoles, notamment Berlin.
L’article d’Aneta Jachimowicz se distingue par une représentation négative de la France dans le contexte de l’après-Première Guerre mondiale, dans la presse et dans les romans historiques autrichiens du début des années 1920. La reproduction de caricatures parues dans les journaux donne à voir le ressentiment anti-français. Les trois romans historiques analysés montrent comment la mémoire de la période napoléonienne est réactivée dans les années 1920.
Les deux derniers articles se focalisent sur une région, le Tyrol, à partir d’œuvres qui mêlent récit de voyage, ouvrage de géographie et essai politique. L’article de Karl Zieger consacré à l’»Histoire et description de la Suisse et du Tyrol« (1838) de Philippe de Golbéry s’intéresse aux représentations de cette région en France au XIXe siècle. Le dernier article, de Sigurd Paul Scheichl, clôt ce parcours chronologique par l’analyse d’un livre publié en 1930, »Tyrol« d’André Chamson. Cet auteur se concentre sur la partie méridionale du Tyrol, alors sous domination italienne et fasciste. La question régionale du Tyrol du Sud permet une réflexion sur l’identité autrichienne, le sentiment national allemand et l’aspiration à l’Anschluss dans les années 1920.
On pourrait regretter l’absence d’organisation d’ensemble explicite des contributions mais c’est souvent le cas dans les publications d’actes de colloques. On pourrait aussi noter le déséquilibre entre les images de la France et celles de l’Autriche, puisqu’un quart seulement des contributions traitent des premières. Cependant cet ouvrage se révèle très stimulant, notamment pour tous ceux qui s’intéressent aux études autrichiennes, tant par la richesse des thèmes abordés que par l’originalité des sources. Il met en valeur le dynamisme de la recherche sur les transferts culturels, plus de trente ans après leur conceptualisation par Michel Espagne et Michael Werner. Il est aussi à mettre au crédit des organisateurs et des contributeurs de ne pas avoir réduit l’Autriche à Vienne ou à certains de ses auteurs canoniques, même si ceux-ci, comme Stefan Zweig, trouvent aussi leur place dans ce recueil.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Gildas Riant, Rezension von/compte rendu de: Marc Lacheny, Maria Piok, Sigurd Paul Scheichl, Karl Zieger (Hg.), Französische Österreichbilder – Österreichische Frankreichbilder, Berlin (Frank & Timme) 2021, 276 S. (Forum: Österreich, 12), ISBN 978-3-7329-0672-7, EUR 49,80., in: Francia-Recensio 2022/1, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87527