»Afrikas Kampf um seine Kunst« de Bénédicte Savoy est sans aucun doute le premier livre qui contextualise la demande de restitution des pays africains. Dès les premières lignes, l’on ressent une excitation à découvrir la genèse du débat sur l’une des actualités culturelles majeures de ce début du XXIe siècle.
Dessinant l’image d’une frise chronologique, l’ouvrage se déploie sur 16 chapitres qui présentent le débat sur la restitution du patrimoine africain. La dimension chronologique est déjà introduite dès le départ dans les titres des chapitres qui les portent et dont les désignations renvoient pour certains à des articles de presse ou à des productions cinématographiques. Les antagonistes du livre sont d’ailleurs progressivement introduits dans l’intrigue et présentés de façon détaillée (leur naissance et leur parcours). Bien que s’agissant d’un document scientifique, on note un genre romanesque qui flirte par moment avec l’écriture théâtrale: chaque chapitre apparaît en effet comme un acte sur lequel tombe le rideau après la dernière scène.
Ainsi, le premier acte du drame ou de la tragédie du combat pour la restitution commence avant les indépendances africaines, pour parler des pays qui les ont acquises en 1960. Il est porté par une intelligentsia africaine consciente du rôle majeur de l’art des peuples africains pour leur développement. Au nombre de ces intellectuels, l’on retient le Dahoméen Paulin Joachim qui joue un rôle d’avant-garde lorsqu’il réclame la restitution des objets d’arts africains aux musées occidentaux et lorsqu’il prophétise les arguments qui seraient servis aux Africains pour leur dénier le droit de récupérer ce qui leur appartient de droit. Le »FESMAN«1, initié par Léopold Sédar Senghor, censé exposer à la face du monde le génie-créateur des peuples noirs, rend compte de l’impuissance des pays africains nouvellement indépendants à réclamer leurs biens dont il révèle que plus de 90 % se trouvent paradoxalement hors du continent.
Si le premier chapitre s’intéresse particulièrement au monde francophone (notamment les colonies françaises), le deuxième quant à lui concerne certaines des anciennes colonies de la Grande-Bretagne, en l’occurrence le Ghana et le Nigéria dont des citoyens (Nii Kwate Owoo, Eddie Ugbomah) s’emparent de la problématique de la restitution en investissant un médium de grande portée comme le cinéma. Leur approche interroge dans ces années, 1971–1979, la provenance des objets qui remplissent les réserves des musées européens, et déjà commence à apparaître chez ces Africains l’idée de circulation et surtout de prêts parfois »permanents« de certains des objets d’art.
La première demande officielle de prêt formulée par Ekpo Eyo, alors directeur du service des antiquités du Nigéria, auprès de certaines chancelleries occidentales dont celle de l’Allemagne, bien que soutenue (pour des questions ayant trait à des intérêts postcoloniaux bien évidemment) par des personnalités allemandes (Heinz Dietrich Stoecker, Franz Amrehn) est malheureusement étouffée par peur d’ouvrir un débat qui pourrait se révéler incontrôlable: »Es sollte nicht nur eine vermeintliche Kettenreaktion unter den ehemals kolonisierten Ländern verhindert werden, sondern auch, dass sich die westdeutsche Zivilgesellschaft und eine neue Generation von Museumsleuten Anfang der 1970er Jahre womöglich mit den Wünschen der sogenannten Dritten Welt solidarisierten«2 (p. 43).
La satisfaction des fonctionnaires allemands qui pensaient avoir réussi à éviter tout débat sur un quelconque prêt ou d’éventuelles demandes de restitution devrait être balayée par les actions entreprises dès l’automne 1973 par le président zaïrois Mobutu Sese Seko, pour porter sur la scène internationale la demande de restitution des œuvres d’art, notamment à l’Assemblée générale des Nations Unies qui adopte le 18 décembre 1973, la résolution 3187 sur la »restitution des œuvres d'art aux pays victimes d'expropriation«3.
Le débat sur les restitutions devenu dès lors mondial, les musées occidentaux s’emploient savamment à définir des stratégies destinées à contrer toutes les demandes de restitution des pays du »tiers-monde« comme l’illustre le »German Debate« (p. 69–83) avec des antagonistes tels que Friedrich Kussmaul et Herbert Ganslmayr. Toutefois, même si la demande de restitution des regalia du peuple ashanti introduite par le conseil traditionnel de Kumasi, essuie un refus de la part du parlement et du gouvernement britannique en 1974, le combat des pays africains rencontre la sympathie d’une grande partie de l’opinion publique internationale.
Une forte sympathie qui trouve un écho favorable dans une certaine presse locale et internationale pour la restitution lors du »Festac 77«4 et aussi auprès de personnalités politiques d’envergure (Hildegard Hamm-Brücher) en 1982, à la Conférence mondiale de l’UNESCO sur la politique culturelle. Toutefois, devant les refus qu’opposaient les pays occidentaux à leurs demandes de restitution qui empruntaient pourtant le canal de la diplomatie et de la négociation, certains Africains se radicalisent progressivement, même si d’autres continuent le combat en investissant les instances internationales afin d’y mener leur lutte, tandis que des institutionnels occidentaux fourbissaient leurs armes dont certaines prenaient l’allure de »bemerkenswert kleinliche Vorschläge zu möglichen Formen der Kooperation mit ehemals kolonisierten Ländern«5 (p. 136).
L’ouvrage apparaît après sa lecture comme un texte indispensable pour comprendre l’essai publié précédemment par Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, »Restituer le patrimoine africain«, paru en 2018 aux éditions Philippe Rey, et surtout l’engagement des auteurs en faveur de la restitution. Il permet surtout de comprendre l’amnésie entretenue par un groupe d’individus autour du débat et la vague d’émotions et d’espoir qui a submergé le continent noir lorsque le rapport s’est montré favorable à la restitution de son patrimoine.
Si le document aborde de façon générale la chronologie des combats pour la restitution, une étude de cas, principalement celui allemand, semble se dégager et nourrir abondamment le discours.
L’ouvrage déconstruit les différents argumentaires en défaveur de la restitution et éclaire un combat vieux de plus de 60 ans. Il rend ainsi hommage aux pionniers d’une lutte démarrée bien avant les indépendances des années 1960, et dont l’épilogue a commencé à s’écrire avec la restitution au Sénégal du sabre d’El Hadj Omar Tall et au Bénin de 26 biens du trésor de Béhanzin.
Le livre enfin relève en filigrane que les rapports délétères qui naissent entre les pays colonisés et les anciennes puissances colonisatrices, le durcissement et/ou la radicalisation d’une partie de sa jeunesse africaine vis-à-vis de l’Europe, sont à mettre sur le compte de l’arrogance de l’Occident, de son mépris des pays colonisés qui ont poussé les peuples de ces derniers dans la frustration et le désespoir de ne pouvoir jamais être entendus.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Didier Marcel Houénoudé, Rezension von/compte rendu de: Bénédicte Savoy, Afrikas Kampf um seine Kunst. Geschichte einer postkolonialen Niederlage, München (C. H. Beck) 2021, 256 S., 16 Abb., ISBN 978-3-406-76696-1, EUR 24,00., in: Francia-Recensio 2022/1, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.1.87531