La »guerre de Sept Ans« a fait l’objet de profonds renouvellements dans les historiographies française, allemande et anglo-saxonne des dernières décennies. La nouvelle histoire militaire (et navale), l’histoire diplomatique et politique, mais aussi l’histoire de l’information ou l’histoire culturelle se sont intéressées de près à ce conflit que l’on peine parfois à saisir d’un seul bloc, du fait de la multiplicité de ses enjeux et de ses théâtres d’opération. Par-delà la diversité des travaux, la tendance est toutefois aux approches d’histoire globale permettant de lier ce qui restait le plus souvent séparé – et notamment la guerre coloniale et navale d’une part, la guerre continentale, territoriale et »allemande« de l’autre.

Cet ouvrage, issu d’un colloque organisé à Munich en 2018 et dirigé par Marian Füssel, entend accompagner ce renouvellement de deux façons: en considérant l’ensemble du conflit d’un seul tenant; et en reliant les échelles d’analyse micro et macro-historiques du conflit. Ces deux apports, complémentaires, doivent permettre une approche d’histoire globale du conflit – le directeur de l’ouvrage s’étant lui-même distingué en 2019 par une monographie portant cette même ambition1 – ou plus précisément encore d’une »microhistoire globale« et de »jeux d’échelles« désormais bien connus de l’historiographie, mais jusqu’à présent moins appliqués à l’histoire militaire et diplomatique, notamment de la guerre de Sept Ans.

Disons d’emblée que les différentes contributions de cet ouvrage collectif, si elles sont souvent passionnantes prises séparément les unes des autres, forment davantage une mosaïque d’objets et d’études disparates qu’un tout cohérent. Si l’introduction de Marian Füssel est précise et passionnante sur les enjeux historiographiques et méthodologiques d’une micro-histoire globale de ce conflit, la superposition et la prise en compte simultanée des échelles et des terrains d’analyse ne se font que très rarement au sein même des contributions, et ne se constatent le plus souvent qu’à l’échelle de l’ouvrage tout entier, qui ne propose donc rien de plus qu’une juxtaposition d’articles choisissant, tour à tour, une échelle micro ou macro, tel ou tel autre théâtre d’opération. On en viendrait presque à penser, parfois, que l’unité de l’ouvrage réside dans le fait que chaque auteur a choisi, pour son analyse, une échelle et un terrain – il paraît effectivement bien difficile de faire autrement …

Le manque d’unité de l’ensemble ne saurait toutefois faire oublier le vif intérêt que l’on prend, souvent, à la lecture des différentes contributions prises individuellement. Au-delà de l’introduction déjà mentionnée plus haut, on peut notamment citer – un choix en partie subjectif et personnel – l’article de Diego Téllez Alarcia (p. 209–231) qui insiste sur l’importance, souvent sous-estimée par l’historiographie, de l’intervention espagnole dans le conflit à partir de 1762, ou encore l’analyse serrée de Sven Externbrink (p. 129–145), qui s’appuie sur l’événement bien connu de la prise de Québec au matin du 13 septembre 1759 pour développer une analyse sur les temporalités en histoire (celles perçues par les acteurs, celle, très courte, de la bataille, et celle, bien plus longue, de la mémoire). Du point de vue de l’histoire militaire, citons également la contribution de Daniel Hohrath, qui souligne l’importance de la guerre de siège en Silésie pendant le conflit (p. 95–127), ou celle de Thomas Weller, qui fait son miel de l’histoire environnementale pour proposer une nouvelle lecture de la prise de la Havane et de ses conséquences (p. 147–163). On lira, enfin, avec grand intérêt, l’article écrit à quatre mains par Michaela Schmölz-Häberlein et Mark Häberlein sur le réseau épistolaire des piétistes de Halle pendant la guerre, et qui interroge à nouveaux frais les dimensions religieuses du conflit (p. 185–208).

Les articles de Tim Neu (p. 75–93) et de Horst Carl (p. 165–184) se distinguent par leur volonté de lier, dans une seule et même contribution, les différentes échelles: le premier auteur analyse le fonctionnement global du système financier et des instruments de crédit utilisés en Grande-Bretagne pendant la guerre, à partir d’un événement »local«: la banqueroute presque totale dans laquelle se trouvait, en juin 1759, la caisse militaire britannique pour l’armée d’Amérique du Nord. C’est le caractère profondément »glocal« du fonctionnement du crédit public britannique qui aurait ainsi permis, non seulement de ne pas voir la crise s’étendre sur l’ensemble du système de crédit britannique, mais aussi de surmonter cette dernière en quelques semaines. Horst Carl s’intéresse, de son côté, à des situations d’occupations militaires, qu’il met en comparaison: celles observées sur le continent (l’occupation de la Saxe par la Prusse, ou encore des provinces occidentales de la Prusse par les troupes françaises et autrichiennes) et dans les Empires (l’occupation du Canada, puis de la Havane et de Manille par les Britanniques à partir de 1762). Les logiques administratives de ces situations (alors considérées dans une perspective macro) sont observées en parallèle des expériences vécues par les populations occupées.

L’ouvrage vaut donc par la qualité de ses articles pris individuellement, tandis que le mélange peine à convaincre. Le lecteur trouvera dans ce livre, au grès de ses centres d’intérêts et de ses recherches, un ensemble de réflexions et d’approches stimulantes, davantage qu’une proposition cohérente et unitaire permettant de renouveler l’historiographie de la guerre de Sept Ans.

1 Marian Füssel, Der Preis des Ruhms. Eine Weltgeschichte des Siebenjährigen Krieges, Munich, Beck, 2019.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Sébastien Schick, Rezension von/compte rendu de: Marian Füssel (Hg.), Der Siebenjährige Krieg 1756–1763. Mikro- und Makroperspektiven, Berlin, Boston (De Gruyter Oldenbourg) 2021, 275 S., 3 s/w Abb. (Schriften des Historischen Kollegs. Kolloquien, 105), ISBN 978-3-11-070964-3, EUR 73,90., in: Francia-Recensio 2022/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.2.89106