Né et mort à Dresde, l’architecte Friedrich August Krubsacius (1718–1789) a fait, en 2020, l’objet d’une exposition au château de Wolkenburg, en Saxe. Les éditions Lukas Verlag ont publié à cette occasion un recueil de textes sur ce personnage important et assez méconnu.

Par ailleurs éditeur de l’ensemble des textes, Gerd-Helge Vogel s’est, dans ce volume, penché sur le rôle de conseiller de Krubsacius auprès du comte d’Einsiedel, au début des années 1770, concernant le château et surtout le parc de Wolkenburg. Tobias Knobelsdorf a quant à lui montré comment Krubsacius s’était vu chargé, à Dresde, des plus hautes fonctions officielles (architecte de la cour en 1755, professeur d’architecture à l’académie des beaux-arts en 1764, architecte du duché de Saxe en 1766) tout en étant privé de commandes »publiques«, d’une part à cause de la disparition des protecteurs du début de sa carrière, d’autre part à cause de la guerre de Sept Ans (1756–1763) et de ses conséquences économiques sur les finances du duché. Mais la difficulté de Krubsacius à capter la »commande publique« malgré ses fonctions officielles était aussi liée à un manque de reconnaissance, par ses pairs, de ses capacités d’architecte. C’est ce que montre très bien la contribution d’Andreas Meinecke sur le projet de Krubsacius pour la caserne de la garde du quartier de Neumarkt à Dresde (vers 1760), projet resté sans suite comme la plupart de ceux entrepris par l’architecte dans le cadre de ses fonctions officielles. L’un des seuls bâtiments officiels notables construits par Krubsacius à Dresde est celui de la diète de Saxe (actuel musée d’histoire de la ville de Dresde reconstruit après la Deuxième Guerre mondiale). Dans son état original, la façade de ce bâtiment illustrait bien, selon Lutz Reike, le goût de l’architecte pour la symétrie et la simplicité décorative. L’ornementation devait en effet, selon Krubsacius, se limiter en architecture à une imitation bien ordonnée de la nature, et s’en tenir concernant les façades à une sobriété digne des Romains (son premier écrit qui va dans le même sens est un ensemble de »Remarques sur le goût des Anciens« en 1745). L’ordonnancement de la nature était aussi, selon lui, au cœur de l’art des jardins. Thomas Kuhn rappelle que Krubsacius a pratiqué et a été un des premiers à théoriser l’art des jardins à une époque où le jardin pittoresque »à l’anglaise« se développait sur le continent en opposition au jardin géométrique »à la française«. Grand admirateur de Pline le Jeune dont il essaya, à partir de 1760, de restituer en images les écrits sur les jardins, Krubsacius penchait plutôt pour le jardin »à la française«, la France de Louis XIV lui semblant, dans tous les arts, l’héritière de l’antiquité romaine: tout en ouvrant de larges perspectives vers une nature intacte qu’ils ne devaient pas chercher à reconstituer, les jardins ne pouvaient donc être fondés que sur le principe de symétrie. C’est ce que constate Michael Simonsen dans son étude du jardin du château de Moritzburg (dont l’attribution à Krubsacius n’est cependant pas certaine): les éléments pittoresques n’y sont pas totalement absents, mais la symétrie domine l’ensemble de la conception. Le rôle exact joué par Krubsacius dans la construction des trois tombeaux étudiés par Michael Lissok reste lui aussi à préciser, mais les trois ensembles sculptés, s’ils ont bien été dessinés par l’architecte, prouvent par leur diversité stylistique, allant d’un baroque assumé au classicisme le plus tempéré, qu’il savait s’adapter au goût de ses commanditaires. Résolument hostile, dans tous ses écrits, au baroque et surtout au style rocaille qui constituait selon lui un dévoiement du sens de la mesure propre à l’architecture française classique, Krubsacius se montra évidemment sensible au déclin du rococo et au retour du classicisme à partir du milieu du XVIIIe siècle. Mais, bien qu’on lui doive très probablement la première traduction en allemand, en 1768, de »L’Essai sur l’architecture« (1755) de l’abbé Laugier, il n’est pas certain qu’il ait perçu une rupture de continuité entre la colonnade du Louvre de Claude Perrault admirée lors d’un long séjour à Paris en 1755–1756 et les textes de Jacques-François Blondel ou de Winckelmann. Comme pouvait par ailleurs le laisser deviner son aversion pour le jardin »à l’anglaise«, Krubsacius s’est avéré totalement imperméable aux prémices du romantisme: une controverse qui l’a opposé au jeune Goethe, évoquée par Dieter Dolgner, marque une complète opposition de sensibilités entre les deux protagonistes. Due en partie mais pas seulement à une différence de génération, cette incompréhension témoigne aussi d’un certain manque d’habileté de la part de Krubsacius à s’imposer comme théoricien. Cette difficulté était peut-être liée à un décalage entre ses théories et sa pratique: le texte de Marcus Becker qui conclut le volume prouve que Krubsacius critiquait le rococo mais en maîtrisait bien les codes, et n’hésitait d’ailleurs pas à y recourir pour la décoration intérieure des édifices qu’il concevait.

L’ensemble de ces contributions est forcément hétérogène mais offre un aperçu stimulant de la vie et de l’œuvre d’un architecte des Lumières allemandes (bien au-delà de ses relations dans la région de Zwickau sur lesquelles insiste curieusement le sous-titre du recueil). On y découvre ses centres d’intérêts très divers, les contradictions entre sa théorie et sa pratique, et sa difficulté à défendre, en plein Sturm und Drang, un point de vue résolument classique et francophile. Concluons en espérant que ce volume parfaitement édité et enrichi d’une abondante iconographie d’excellente qualité sera un jour complété par une étude du travail de Krubsacius comme professeur, trop rapidement évoqué par les différents auteurs.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Nicolas Padiou, Rezension von/compte rendu de: Gerd-Helge Vogel (Hg.), Friedrich August Krubsacius. 1718–1789. Der sächsische Hof- und Oberlandbaumeister und seine Beziehungen ins Zwickauer Muldenland, Berlin (Lukas Verlag) 2021, 348 S., 180 Abb., ISBN 978-3-86732-386-4, EUR 30,00., in: Francia-Recensio 2022/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.2.89119