L’abbaye de Lisle-en-Barrois, près de Verdun, a été fondée vers 1143 comme institution canoniale par un certain abbé Eustache, sans doute formé à l’abbaye d’Arrouaise. Mais dès 1149, pour des raisons inconnues, les chanoines laissèrent la place à des moines cisterciens venus de Saint-Benoît-en-Woëvre. L’abbaye se situait aux confins du diocèse de Verdun et du diocèse de Toul, selon un système voulu par les évêques verdunois, soucieux de créer une sorte de barrière spirituelle autour de leur diocèse, comme ils l’avaient fait autour de leur cathédrale.
Seuls deux originaux et demi ont survécu. Tous les autres actes nous sont connus par des copies, essentiellement dans le cartulaire en deux volumes écrit en 1767. Ils sont au nombre de 112 jusqu’en 1226.
L’introduction permet à l’éditeur de faire le point sur les sources disponibles, avant de retracer l’histoire de l’abbaye (fondation, constitution du domaine, transfert du site, abbés, conflits avec les abbayes voisines, relations avec les lignages locaux). Les caractéristiques essentielles des actes sont également mises en avant: près de la moitié émanent d’évêques; comptés par décennies, les actes sont en nombre croissant jusqu’à la fin du XIIe siècle, puis se font de moins en moins fréquents; la catégorie de biens la plus souvent mentionnée est celle des pâtures, ce qui est étonnant.
Comme toujours quand on parcourt un cartulaire, on trouve de petites perles. À Lisle, la plus belle, très bien analysée par Laurent Morelle dans sa préface, est sans conteste un avis juridique rendu, dans une querelle entre Lisle et l’abbaye de Saint-Mihiel, par un novice de l’abbaye de Jouy, ancien doyen du chapitre cathédral de Châlons. Bien que l’avis penche en faveur de Lisle, le litige se termine par un accord équilibré, validé par une kyrielle d’autorités et d’actes.
La construction du livre étonne un peu. Après l’édition des actes reçus par l’abbaye, J.-P. Evrard a groupé quelques »actes non inclus dans le cartulaire«, ce qui commence par une notice de la fondation difficile à dater, mais qui est incluse dans le cartulaire. Suivent quelques actes dont l’abbé de Lisle est auteur ou dans lesquels il est témoin, des décisions du chapitre général de Cîteaux relatives à l’abbaye. L’index, inutilement long (sans compter que les notes infrapaginales sont redondantes avec lui), est divisé en deux parties, l’une pour les personnes, l’autre pour les lieux, mais le renvoi aux personnes se fait à partir de leur lieu de rattachement. En fin de volume, une liste des actes dans l’ordre chronologique, c’est-à-dire dans l’ordre de l’édition, ne rend guère de services puisqu’elle aussi fait redondance, alors qu’une liste des actes dans l’ordre du cartulaire aurait été davantage utile. J.-P. Evrard a aussi rédigé un précieux index rerum.
Le cartulaire de 1767 est souvent fautif, avec des lectures comme par exemple ministra deputatus (n° 33), commodo pour commendo et vero pour unde (n° 32) … Le scribe, dont nous ignorons le nom (tout juste savons-nous que la validation, par paraphe apposé sur les pages de titre, a été effectuée par le prieur), était visiblement aussi peu compétent en latin qu’en paléographie! Soyons indulgents: sans lui nous ne connaîtrions rien de l’histoire de cette abbaye.
On doit bien sûr remercier J.-P. Evrard d’avoir pris en charge cette édition, et de l’avoir fait précéder d’une substantielle introduction; il mérite d’autant plus de remerciements qu’éditer un manuscrit fautif n’est pas simple. Le recenseur est cependant contraint de relever que les erreurs commises par le copiste du XVIIIe sont parfois corrigées (et en ce cas les corrections sont toujours dûment signalées), mais pas toujours; il arrive aussi que les erreurs du scribe soient mal corrigées. Dans l’acte n° 1 de l’annexe A on relève ainsi quae au lieu de quod, non corrigé; sirca est corrigé en sicut alors que ce devrait être circa; manutenore est corrigé, à juste titre, en manutenere, mais l’erreur du scribe n’est pas signalée. Il faut y ajouter des erreurs d’inattention, comme, dans le même acte, capellam au lieu de ecclesiam, Gaufridi au lieu de Gauffridi, jornalia au lieu de journalia …
En conclusion, on peut donc remercier J.-P. Evrard pour le gros travail accompli, mais il faut constater que le recours au manuscrit reste, malheureusement, nécessaire.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Jean-Pol Evrard, L’abbaye de Lisle-en-Barrois. Origines, histoire et chartes (1134–1226), Turnhout (Brepols) 2021, 392 p., 28 ill. en n/b, 4 tabl. (Atelier de recherche sur les textes médiévaux, 30), ISBN 978-2-503-59380-7, EUR 95,00., in: Francia-Recensio 2022/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.2.89144