Henri Moranvillé avait proposé pour la Société de l’histoire de France une édition du »Journal de Jean Le Fèvre, évêque de Chartres, chancelier des rois de Sicile Louis Ier et Louis II d’Anjou«, mais seul le texte, non intégral, parut en 1887, l’introduction et les index n’étant jamais publiés. Michel Hébert et Jean-Michel Matz ont repris le projet, pour lequel il se sont entourés de spécialistes. Après une courte introduction générale (p. IX–XIV), Mathieu Lescuyer présente le manuscrit (auj. BnF, fr. 5015), dû à la main du chancelier et de ses clercs ou secrétaires (p. XV–XXIV), puis Jean-Michel Matz l’auteur: né à Paris entre 1330 et 1340, il fit profession à l’abbaye bénédictine de Saint-Vaast à Arras, dont il devint le prévôt et, en 1370, l’abbé après avoir été pendant deux ans celui de Tournus; cette même année le roi Charles V le commit son conseiller et celui-ci suivit alors des études in utroque à Paris et à Orléans; en 1380 il fut nommé évêque de Chartres par le pape d’Avignon et, un an après il devint chancelier du frère cadet du roi Charles, Louis d’Anjou; il remplit des fonctions diplomatiques, notamment pour le pape; il mourut à Avignon en 1390 (p. XXV–XXXII). Suivent des éclaircissements sur la chancellerie d’Anjou-Provence par J.-M. Matz (p. XXXIII–XLI), les affaires pontificales par Philippe Genequand (p. XLIII–LII), les affaires françaises par J.-M. Matz (p. LIII–LXI), les affaires de Provence par Noël Coulet (p. LXIII–LXX), les affaires napolitaines par Christophe Masson (p. LXXI–LXXIX) et la diplomatie angevine par Thierry Pécout (p. LXXXI–XCI).
Ensuite sont assemblées des notices biographiques, avec une courte bibliographie, des personnages importants selon les catégories papes, cardinaux et évêques, France (roi Charles VI et les grands ducs), Anjou et Duras (ducs et rois), entourages princiers, sans aucun ordre alphabétique (p. XCIII–CXVII), une chronologie succincte (p. CXIX–CXXI) et la bibliographie (p. CXXIII–CXXVII).
Le texte du journal, du 4 février 1381 au 13 juin 1388 (p. 3–526), est publié selon les règles de l’École des chartes. Le chancelier passant souvent du français au latin, les éditeurs ont préféré conserver la même présentation: pourtant, l’usage des italiques aurait permis au lecteur de voir au premier coup d’œil les passages d’une langue à l’autre. Sont identifiées aussi les mains, du chancelier et du secrétaire, quel qu’il fût. L’on y trouve un évêque et un chancelier au travail, prenant des notes presque au jour le jour. Ces notes montrent que l’évêque fut peu présent dans son diocèse: cinq mois au mieux durant toute la période (ce qui n’a pas empêché la commande d’un catalogue des évêques de Chartres depuis les origines jusqu’à lui-même, dont la notice remplit quatre dixièmes de l’œuvre). L’homme politique apparaît mieux: homme de conseil, il en recense une centaine, réunions informelles, de travail, »conseils étroits«, »grands conseils«, il pouvait y en avoir jusqu’à sept ou huit par mois selon les circonstances. Même s’il ne pouvait y assister, sa parole (de plus, c’était un bon orateur) était prédominante, notamment auprès de la reine Marie de Blois. Le chancelier est affirmé par la mention des actes qu’il a validés de son sceau, environ trois mille deux cents. Jean Le Fèvre était aussi un diplomate, mais il est très peu disert sur ses missions et voyages: le roi de France Charles V l’avait envoyé en Bretagne en 1380, où il passa quatre mois (p. 4), le pape Clément VII l’envoya en Flandre pour le fait du scisme avec l’évêque d’Amiens Jean Roland, du 26 juillet 1382 au 8 mars 1383 (p. 60); il le renvoya à Paris et en Flandre en octobre 1386 sur le fait de la court et l’estat du fait de l’Esglise en Flandre, mais il n’alla pas plus loin qu’Arras (p. 338 et suivantes, il ne rentra pas directement à Avignon). Entre mars et octobre 1384, le pape l’avait aussi chargé d’une mission au Portugal, dont nous ne savons rien, mais celle-ci a eu lieu au plein milieu de la »Crise de 1383–1385«, qui a vu un changement dynastique et une guerre avec la Castille (qui fut vaincue). Relevons qu’il n’est jamais allé à Naples et en Italie du Sud.
Les mentions personnelles sont assez rares: problèmes de santé (coliques p. 159, maux d’yeux avec les paupières enflées p. 255, goutte au bras p. 325) qui le retinrent chez lui. Il ne parle pas de son entourage immédiat, sauf deux fois de son cuisinier Georges qui l’accompagnait en voyage (p. 292 et 507). Du point de vue du caractère, il reconnaît s’emporter (p. 25: et tant me eschauffa …), ce qui pourrait montrer un caractère un peu difficile, mais qui savait résister aux puissants et aux grands (cf. introduction p. XXXI–XXXII).
Le texte est suivi d’un index indispensable, bizarrement paginé DCLVII–DCCXXXII (que devait-il se trouver entre la page 527 et 657?). Cet index mélange les noms de lieu et ceux de personne, mais pouvait-il en être autrement comme les noms étrangers sont mal compris et transcrits dans le manuscrit original? Les contributeurs ont ainsi identifié des milliers de noms du royaume de France, de Provence, de Savoie, d’Italie, de péninsule Ibérique, tâche ô combien ardue. Chaque nom rencontré dans le texte fait l’objet d’une note en bas de page à sa première occurrence et l’index permet de le retrouver dans le reste du texte.
Michel Hébert et Jean-Michel Matz, avec l’édition du »Journal« de Jean Le Fèvre nous permettent d’entrer dans la vie d’un chancelier de la fin du Moyen Âge, au contact de la cour pontificale, de la cour de France et des cours des ducs de la famille des fleurs de lys.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Michel Hébert, Jean-Michel Matz (dir.), Journal de Jean Le Fèvre. Chancelier des ducs d’Anjou et comtes de Provence (1381–1388), Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2020, CXXVII–526–DCLVII–DCCXXXV p. (Mémoire commune), ISBN 978-2-7535-7892-0, EUR 35,00., in: Francia-Recensio 2022/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.2.89151