En 2017, la découverte et l’édition de copies de quatre chartes liées au monastère d’Asán (Espagne, Aragon), associées à deux autres actes déjà connus, permirent de reconstituer le plus important ensemble diplomatique wisigothique (522–586) existant à ce jour. Au-delà des apports sur l’établissement-même, ce matériau renouvèle l’état des connaissances relatives à la période wisigothique, comme le démontrent les contributions du colloque pluridisciplinaire qui y fut consacré en 2019. Le présent ouvrage en publie les actes, et fournit en annexe les textes des documents.

Deux des huit articles exploitent le corpus pour reconstituer, en pointillés, l’histoire du lieu.

La lecture des sources diplomatiques et hagiographiques démontre qu’Asán se trouvait à la croisée d’influences et de réseaux transpyrénéens (A. Isla). À la frontière des mondes franc et wisigoth, le recrutement des moines se faisait au sein de l’aristocratie locale mais aussi en Gaule ou en Italie. Du fait de ces contacts, les pratiques monastiques étaient marquées par les traditions importées de Lérins, Marseille et Arles. Le lieu cristallisait une relation triangulaire d’intérêts partagés avec la monarchie de Tolède et l’épiscopat: en tant que lieu de formation de moines devenant évêques, soutenus par les rois et soutiens de celle-ci, Asán profitait de leurs largesses et exerçait une influence sur la région alentour.

Le monastère occupait une place prééminente au sein de l’organisation territoriale et sociale locale (G. Tomás-Farci). Sa fondation, à côté d’une forteresse, soutenue par les souverains, garantissait le contrôle du pouvoir central sur le piémont. La localisation du site et des biens donnés au VIe siècle confirme le maintien du maillage des territoria, grandes circonscriptions administratives et fiscales, héritées de l’Empire romain. Après la conquête arabe, ils demeurent les cadres de redéploiement des pouvoirs locaux, aristocratiques et communautaires, avant que les débuts du féodalisme (Xe–XIe siècle) les fragmentent en châtellenies réduites. La centralité d’Asán était double, militaire et religieuse, avant que les moines ne prennent le pas sur les aristocrates locaux au XIIe siècle.

Deux autres contributions complètent les apports des chartes en inscrivant Asán dans le contexte plus large du piémont pyrénéen.

Le site d’un autre monastère wisigothique, Santa Cecília dels Altimiris, fournit des éléments de comparaison pour comprendre la réalité matérielle d’Asán dont l’emplacement (contesté) n’a pas encore été fouillé (M. Sancho). Fondé au début du VIe siècle, Altimiris était constitué d’une église entourée de bâtiments annexes (cabanes, citernes …). Les découvertes récentes soulignent le paradoxe entre l’érémitisme, hors des espaces anthropisés et contrôlés notamment par les évêques, et le mode de vie opulent (mobilier de luxe, denrées importées de toute la Méditerranée), qui témoigne de l’origine aristocratique et romaine des moines et de leur implantation dans des circuits commerciaux, auxquels ils contribuaient par l’exploitation des ressources sylvestres (exportation de résines coûteuses).

L’histoire d’Asán et son domaine ne se comprennent pas non plus sans intégration dans l’évolution de l’exploitation agro-pastorale de haute montagne, reconstituée à partir d’études locales, archéologiques et paléo-environnementales (Ch. Rendu). Se dessinent deux phases: une première de culture d’herbage et de pastoralisme en forêt (IIIe–Ve siècle), une seconde de céréaliculture d’altitude et d’éparpillement des établissements d’élevage (fin VIe–IXe siècle). La description des biens d’estive offerts au monastère témoigne du mode d’organisation existant à la veille de cette seconde période, hérité de la période tardo-romaine, fait de grands ensembles pastoraux construits autour d’enclos, situés à proximité des voies de circulation et encadrés par des propriétaires terriens, dont les évêques bienfaiteurs du monastère.

Quatre autres articles analysent l’ensemble diplomatique en tant que tel.

Les documents sont replacés dans leur contexte de production et de transmission (R. Collins). Asán est un exemple représentatif du monachisme wisigothique. Né en tant qu’ermitage autour d’une figure charismatique, il est rapidement devenu un lieu de vie communautaire ascétique et un vivier de formation des élites épiscopales, qui conservèrent un lien permanent avec l’établissement. La continuité institutionnelle explique la survie des chartes du VIe siècle, dont les originaux, produits sur papyrus, sont perdus, mais la teneur est connue par des copies. Leur transmission, passive et involontaire, sans fin pratique (aucune ne fut utilisée dans des causes judiciaires), pourrait expliquer qu’elles aient été préservées des interpolations et falsifications.

Quatre de ces chartes sont des donations pro remedio animae, dons faits par des particuliers prestigieux aux moines d’Asán pour le rachat de leurs péchés (F. Gallon). Jusqu’alors, des documents originaux, produits à Ravenne au tournant des VIe–VIIe siècles, étaient considérés comme les premières attestations de cette pratique apparue au Ve siècle en Gaule. Néanmoins, le corpus wisigothique pourrait désormais renfermer les plus anciens exemples de cette typologie documentaire (certes sous forme de copies). Toutes les caractéristiques du don matériel et du contre-don spirituel s’y retrouvent, sous l’influence évidente de la pastorale développée principalement à Lérins et diffusée à Asán du fait des échanges incontestables entre les deux monastères.

Un autre de ces documents, l’exemption du roi Léovigild à l’évêque Aquilinus de Narbonne (572), apporte des éléments nouveaux sur le système fiscal wisigoth, héritier de l’administration tardo-romaine (D. Fernández): persistance d’un impôt annuel sur la terre payable en monnaie d’or ou en nature et d’impôts personnels sous forme de prestations (entretien de la voirie publique et de troupes), mais collecte effectuée par des receveurs dépendant désormais de l’administration royale auprès d’administrateurs représentant les propriétaires. Bien reconsidérée, la politique d’exemptions, dont elle témoigne, ne serait pas la preuve de l’affaiblissement du pouvoir royal mais constituerait un moyen d’obtenir et de conserver le soutien des élites locales.

Enfin, les chartes récemment découvertes offrent de nouvelles clefs de lecture aux épigrammes et hagiographies consacrées à deux saints d’Asán, Victorien et son disciple Gaudiosus, évêque de Tarazona (J. C. Martín-Iglesias). Les auteurs de ces textes (VIe–XIIIe siècle), dont les éditions critiques sont données ici, ont connu de près ou de loin les chartes wisigothiques, et en ont exploité les matières factuelles pour ancrer leurs narrations. L’analyse confirme les intertextes entre sources diplomatiques et productions religieuses ou littéraires en milieu monastique, souvent en contexte de réforme et de défense des droits de l’institution face à des appétits extérieurs: c’est le cas d’Asán, qui, entre le mi-XIe siècle et le début du XIIe siècle, dut lutter, en s’appropriant et usant des figures illustres de son passé, contre le pouvoir épiscopal. Pour conclure, la présente publication démontre bien la nécessité d’une approche pluridisciplinaire, à fortiori pour les époques anciennes. Elle démontre aussi combien la découverte de quelques documents peut renouveler l’état des connaissances sur les périodes anciennes. Or, de semblables découvertes, dans les archives et les bibliothèques espagnoles, ne sont pas à exclure.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Matias Ferrera, Rezension von/compte rendu de: Céline Martin, Juan José Larrea (dir.), Nouvelles chartes visigothiques du monastère pyrénéen d’Asán, Pessac (Ausonius Éditions) 2021, 256 p., 8 ill. en n/b, 16 ill. en coul. (Scripta Mediaevalia, 42), ISBN 978-2-35613-371-7, EUR 19,00., in: Francia-Recensio 2022/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.2.89160