Le rôle crucial que le messager joue dans l’établissement des échanges à distance entre deux personnes ou institutions compte depuis longtemps parmi les acquis des recherches sur la communication au Moyen Âge. Mais malgré quelques études consacrées surtout aux envoyés des rois et papes, une analyse à grande échelle des messagers et de leur rôle faisait largement défaut, en particulier pour les premiers siècles de l’époque médiévale considérés trop souvent comme statiques, pris en tenaille entre deux moments forts de la mobilité. Volker Scior s’est proposé de combler cette lacune dans le présent volume, issu de sa thèse d’habilitation soutenue en 2010.

L’auteur situe son interrogation à l’intersection de plusieurs champs de recherche: les domaines traditionnels de la diplomatie et de l’histoire institutionnelle ainsi que ceux, plus récents, de l’épistolographie et de la communication. L’étude adopte un regard décentralisé; elle écarte en grande partie les ambassades royales et pontificales, dont les modalités sont relativement bien étudiées, pour embrasser les messagers au service de personnages de rangs inférieurs, clercs ou laïcs. Le cadre spatio-temporel posé porte sur l’espace franc du VIe au IXe siècle.

La démonstration est divisée en trois parties. La première est consacrée à l’étude des termes qui désignent le messager. Scior relève que la distinction de la langue allemande entre le messager (Bote) – personne de bas rang chargée d’un simple transfert d’une information – et l’envoyé (Gesandter) – de haut rang relayant d’importants messages et souvent amenée à négocier au nom de son supérieur – ne se repère pas dans le vocabulaire médiéval. Correspondant néanmoins à une réalité de l’époque, elle ne devrait pas être écartée selon l’auteur. Celui-ci analyse ensuite seize termes latins en usage pour désigner messagers et envoyés durant le haut Moyen Âge. Chacun d’entre eux comporte des connotations propres. Par exemple, missus et legatus, souvent employés comme synonymes, induisent une référence à celui qui a envoyé l’ambassade, nuntius souligne l’annonce du message. D’autres termes, comme baiulus, gerulus, portator/portitor ou lator, insistent sur le fait de porter le message et d’en prendre soin.

La deuxième partie porte sur la place du messager dans des réseaux de communication. En premier lieu sont analysées séparément les correspondances de Boniface, Lul, Alcuin et Éginhard. Après la présentation de leur réseau épistolaire respectif, l’auteur cherche à identifier les porteurs de lettres, ceux qui sont mentionnés nominalement comme ceux qui demeurent anonymes, et leur relation avec l’expéditeur du message. Enfin, l’enquête se penche sur la manière dont les porteurs sont présentés. Cette grille d’analyse se répète dans les parties suivantes consacrées, dans l’ordre de l’étude, aux épistoliers du royaume franc des VIe et VIIe siècles, aux épistoliers francs du IXe siècle ainsi qu’aux lettres écrites dans l’Espagne wisigothique, l’Italie lombarde et les royaumes anglo-saxons. Pour élargir ces considérations, l’auteur recourt dans un second temps aux sources narratives, historiographiques et hagiographiques, pour exploiter non la véracité de ces récits, mais les exigences et attentes exprimées vis-à-vis du comportement des messagers. Scior parvient à démontrer que les termes avec lesquels ces derniers sont désignés varient selon le type de discours et ne sont pas arbitraires: les sources narratives emploient en abondance legatus, missus ou nuntius tandis que les lettres recourent, pour des raisons rhétoriques et pratiques, à des termes soulignant le transport du message. Les désignations peuvent également changer d’un auteur à l’autre: ainsi, Boniface emploie régulièrement gerulus, quasi absent chez Alcuin qui préfère portitor voire missus. L’auteur remarque en outre une différence entre l’historiographie mérovingienne et carolingienne. Si la première est sensible aux messagers des élites non royales, la seconde se focalise presque exclusivement sur les envoyés des rois. Quant aux récits hagiographiques, ils mettent en scène des messagers bien différents; on y mentionne beaucoup plus régulièrement des hommes de rang inférieur. Une tendance se dégage également quant à la présentation du messager: plus son rang social est bas, plus rare est la mention de son nom.

La troisième partie de l’étude explore des aspects pratiques de la communication. L’auteur élucide différentes stratégies pour sécuriser et authentifier le messager et la lettre, indispensables à toute sorte d’échange à distance. Le choix du messager est thématisé par la suite: le concept de la fides, dont les multiples couches sémantiques sont rappelées, s’avère fondamental dans ce contexte. Le rapport entre l’écrit et l’oral est également abordé. Enfin, l’auteur situe les échanges dans l’espace et le temps. Il insiste sur la nécessité de disposer continuellement d’un réseau de messagers pour demeurer connecté. Il met en exergue que toute communication à distance est tirée entre l’attente d’un message et la précipitation d’y répondre et souligne le besoin de protection du messager et le devoir d’hospitalité que lui doit son hôte. Des considérations sur la rapidité du voyage, dépendant avant tout de l’urgence du message, et sur les cadeaux accompagnant les échanges ne manquent pas non plus.

Une conclusion efficace reprend les principaux résultats de l’enquête. En annexe, l’auteur présente sous forme de tableau les envoyés mentionnés dans les correspondances de Boniface, Lul, Alcuin et Éginhard.

Il est à regretter que les grandes collections épistolaires de l’époque considérée aient été traitées de manière inégale. Alors que les grands épistoliers carolingiens jusqu’à Éginhard sont chacun traités individuellement, Loup de Ferrières et Hincmar de Reims n’apparaissent qu’à la marge.

Si l’auteur soutient à juste titre que l’attention des études précédentes portait principalement sur les envoyés des rois et papes, une étude des messagers de ces derniers a été offerte, à ce stade, seulement pour les lettres du »Codex Carolinus«1: si des références à ces dernières ainsi qu’aux lettres de Grégoire le Grand apparaissent à certains moments de l’étude, la riche correspondance pontificale du IXe siècle, surtout le registre des lettres de Jean VIII, n’a malheureusement pas été prise en considération.

L’étude se distingue par son caractère soigné et détaillé. L’argumentation est menée de manière très empirique, toujours à l’appui des témoignages des sources. Le corpus considérable qui a été dépouillé mérite d’être souligné. Si l’auteur reconnaît les difficultés que pose une histoire sociale des envoyés du haut Moyen Âge, il parvient à mettre en lumière nombre d’éléments qui caractérisent et les messagers et les échanges que ceux-ci mettent en place. L’étude démontre habilement que le messager, certes porte-parole au service d’un autre, conserve toujours une certaine capacité d’agir de manière autonome. Il représente une figure médiatrice indispensable à la société alto-médiévale qui, l’enquête le confirme abondamment, fut loin d’être immobile. L’ouvrage constitue une synthèse riche et efficace pour l’étude de la communication à distance durant les premiers siècles du Moyen Âge.

1 Achim Thomas Hack, Codex Carolinus. Päpstliche Epistolographie im 8. Jahrhundert, 2 vol., Stuttgart 2006–2007 (Päpste und Papsttum, 35).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Matthias Rozein, Rezension von/compte rendu de: Volker Scior, Boten im frühen Mittelalter. Medien – Kommunikation – Mobilität, Frankfurt am Main (Peter Lang Edition) 2021, 692 S. (Studien zur Vormoderne, 3), ISBN 978-3-631-84954-5, EUR 101,90., in: Francia-Recensio 2022/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.2.89169