Cet ouvrage est le catalogue de l’exposition qui s’est tenue au Jeu de Paume à Paris (11 mai–29 août 2021), après celle de Berlin et avant celles de Madrid et Vienne, une rétrospective qui présente chronologiquement l’ensemble de l’œuvre du photographe Michael Schmidt (1945–2014), »artiste à l’énergie protéiforme« (Lewis Baltz).
Né dans la partie occidentale de Berlin, Michael Schmidt se forme en autodidacte, tout en travaillant dans la police. Il est proche de l’association des photographes amateurs de Berlin-Kreuzberg avec lesquels il partage sa fascination pour l’objet et la technique et se passionne pour les échanges sur les arts visuels dans le cadre des universités populaires.
Il est très marqué par son expérience de la pauvreté, de la grisaille, de la désolation dans une famille peu favorisée de petits entrepreneurs. Berlin-Ouest est alors la »vitrine du monde occidental« où les gens de l’Est viennent se procurer des devises et où arrivent les immigrés (p. 39). Sauf un bref épisode à l’Est, sa vie se déroule essentiellement à Berlin-Ouest qui voit, à partir de la construction du Mur, l’éclosion de maisons d’édition, de boutiques, de galeries. Il porte un regard critique sur les transformations sociales et sa déambulation dans la ville se teinte de nostalgie pour brosser des portraits pleins d’empathie et dessiner des images de paysages urbains d’une grande sobriété. Ses images en noir et blanc négligent tout embellissement artificiel. Dans sa réflexion sur sa pratique photographique (p. 42), Michael Schmidt précise que le gris est aussi une couleur: »Le noir et le blanc sont deux repères à droite et à gauche. Et je me suis dit que le monde n’était pas défini de façon aussi nette, qu’il offrait beaucoup de nuances. C’est ce que j’ai essayé d’introduire dans ma photographie. En supprimant totalement le noir et le blanc, j’y suis allé pour ainsi dire à fond et, en fait, j’ai pris le contre-pied de la représentation photographique telle qu’elle avait cours partout. Avec ces images grises, j’ai réinventé la photographie pour moi-même. Il y a des images de moi qui ressemblent à de la soupe, mais c’était bien de la soupe qu’on avait ici en novembre«1.
Pourtant, le succès se fait attendre. En 1973, il quitte la police en raison de problèmes psychologiques et commence à travailler à son compte sans trouver d’emploi satisfaisant stable. Il souhaite préparer des expositions sur des thèmes sociaux et contacte à cet effet les autorités socialdémocrates de Berlin. »Berlin-Kreuzberg« est, en 1973, son premier livre, un ouvrage de commande où il montre des immigrés turcs sur fond de ruines et de façades lépreuses. Le choix des sujets est novateur pour l’époque, mais la vie quotidienne y est encore présentée de manière routinière. Il consacre son deuxième ouvrage à un autre quartier de Berlin, »Berlin-Wedding«. La première partie est consacrée au paysage urbain, cadré comme s’il était appréhendé de l’extérieur. Dans la seconde partie, les habitants du quartier posent sur leur lieu de travail ou dans l’intimité (p. 346).
En 1975, son travail sur »Senioren in Berlin« n’est pas accueilli positivement par le public, pas plus que »Die berufstätige Frau« avec ses brefs reportages classiques. Ces œuvres marquent la transition entre les images individuelles et les travaux sériels. Ce sont des années très productives où Michael Schmidt déploie une activité intense. Il sélectionne des sujets »pour donner une image conforme à la réalité et honnête sur sa méthode de travail« (p. 32).
À la fin des années 1970, il entretient d’étroits contacts avec Christine Frisinghelli et Manfred Willmann pour un festival d’autonome en Styrie sur la photo et un magazine spécialisé, »Camera Austria«. À l’occasion des journées festives de Kreuzberg, il propose en 1982 au maire Waldemar Schulze, un ensemble de photos sur la partie sud de Friedrichstadt et les anciens chemins de fer construits à l’époque du Troisième Reich autour de la gare de l’Anhalt, le symbole des lourdes destructions pendant la guerre et de la reconstruction dans le style de l’architecture utilitariste des années 1950. Il effectue aussi de nombreuses prises de vue sans commandes, car il envisage un nouvel ouvrage.
Au milieu des années 1980, il multiplie les visites d’une journée à Berlin-Est pour ses prises de vue, ses rencontres avec des photographes de l’Est et l’achat de matériel moins onéreux qu’à l’Ouest. Il y fait la connaissance du metteur en scène Einar Schleef. Jusqu’en 1992, il enseigne à l’académie d’été de Salzbourg. En 1999, il est appelé à l’académie des arts de Berlin. En contrepartie de la cession d’un tirage par exemplaire produit, une rente à vie lui est attribuée.
Les projets se succèdent, accompagnés enfin de la reconnaissance qui lui revient. La série »Waffenruhe« est publiée en 1987. Dans un projet de 1980, publié seulement en 2005, de grandes friches urbaines dominent. La série »Ein-heit« de 1996 est un simulacre de paysage en asphalte et en béton dont l’uniformisation évoque un abandon généralisé, celui des bâtiments et des maisons, des rues, de l’angoisse.
En 2005, un quart de siècle après la création des photos qui composent »Berlin nach 1945«, son ouvrage paraît enfin. En 2012, »Lebensmittel« est montré pour la première fois au public.
Michael Schmidt participe aux célébrations du 750ème anniversaire de Berlin. Son ouvrage »89/90«, publié en 2010 à Munich à l’occasion de l’exposition »Grau als Farbe« met l’accent sur la dureté et la froideur des matériaux dont est construite la ville. Son regard se radicalise, ses photos devenant »des visions subjectives exprimées à l’aide de procédés documentaires« (p. 345).
Et pourtant, il met aussi en valeur la présence des végétaux qui survivront après la disparition des bâtiments et des hommes, les superbes vieux chênes de sa maison de Schnackenberg, dans les prairies de l’Elbe. C’est le thème de son ultime ouvrage de 2014, »Natur« (p. 46): feuilles argentées des arbres sur fond de grisaille de la forêt et de berges boueuses.
Il est encore à la biennale de Venise en 2013 quand on lui annonce qu’il est atteint d’un cancer du poumon. Décédé en 2014, il est inhumé au cimetière de Dorotheenstadt.
On trouvera des développements intéressants sur les différentes influences subies: Gerhard Richter, Andy Wahrhol, Hans-Peter Feldmann, Walker Evans (p. 52–55 et p. 333–336).
Comme il se doit, de nombreuses reproductions des tirages gélatino-argentiques en grand format illustrent ce très bel ouvrage remarquablement traduit.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Anne-Marie Corbin, Rezension von/compte rendu de: Ute Eskildsen, Janos Frecot, Peter Galassi, Heinz Liesbrock, Thomas Weski, Michael Schmidt. Photographies 1965–2014, Köln (König Books) 2020, 400 p., nombr. ill. en n/b, ISBN 978-3-96098-815-1, EUR 49,90., in: Francia-Recensio 2022/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.2.89229