L’ouvrage collectif est en grande partie issu d’un colloque de la fondation Herbert et Elsbeth Weichmann et de l’institut d’Histoire contemporaine de Hambourg (FZH) qui s’est tenu dans cette même ville les 25 et 26 octobre 2018. Ce colloque faisait suite à plusieurs autres manifestations scientifiques organisées depuis le milieu des années 1990 portant sur la question de la rémigration et ses effets.
L’étude de la rémigration est donc maintenant inscrite de longue date dans le champ de l’Exilforschung. La problématique et les approches portées par les contributions du présent ouvrage de 2018 sont en revanche novatrices. La directrice et le directeur de la publication se proposent ainsi d’étudier les effets de l’exil et du retour de l’exil sur l’évolution de différentes disciplines scientifiques en Allemagne après 1945 et de faire dialoguer l’Exilforschung avec l’Histoire des sciences (p. 10) dans une perspective transnationale.
L’ouvrage est organisé en trois grandes parties, quantitativement très inégales. La première partie est dédiée aux approches épistémologiques et méthodologiques portant sur les liens entre rémigration et sciences après 1945. La contribution d’ouverture de Mitchell G. Ash propose de dépasser le simple constat du transfert de savoir rendu possible par la seule rémigration, à considérer par ailleurs comme un phénomène migratoire complexe parmi d’autres. La place de celle-ci dans les processus inter- et transnationaux de circulation et de réception des idées et savoirs reste néanmoins à questionner. Dans son article, qui propose un panorama bienvenu des évolutions récentes des études »rémigratoires«, Marita Krauss met également en avant la nécessité de transcender le cadre purement national et la dichotomie de la perte et du gain de l’exil scientifique. Karin Orth aborde l’histoire de la Fondation allemande pour la recherche (DFG) et sa politique en regard du passé national-socialiste en s’appuyant sur l’étude de cas d’un dermatologue rémigré de Turquie. Enfin, Annette Voigt revient sur les conditions de la rémigration à l’exemple de chercheuses et chercheurs de retour à l’université Humboldt de Berlin. Elle met notamment en lumière les apports de la rémigration dans l’internationalisation des relations scientifiques de l’université et leur utilisation politique dans une RDA encore isolée diplomatiquement.
L’évolution de l’Exilforschung allemande fait l’objet, dans une démarche réflexive, de deux contributions qui constituent le deuxième ensemble du collectif. Doerte Bischoff et Sebastian Schirrmeister reviennent sur le rôle de la rémigration, entre autres formes d’échange de savoirs, dans la constitution de l’Exilforschung comme champ de recherche qui reste à élargir. L’article fait ainsi état de perspectives de recherche prometteuses, par exemple dans l’étude comparée des milieux académiques nord- ou sud-américains et ceux de l’espace germanophone. Matthias Pasdzierny s’intéresse quant à lui à la place prise tardivement dans le champ par la musicologie.
Le troisième et dernier bloc thématique, le plus conséquent avec sept contributions, propose des analyses particulières des effets de la rémigration sur différentes disciplines dans l’Allemagne d’après-guerre. Irmela von der Lühe se penche sur le cas de la germanistique allemande (les études littéraires) et leur relative imperméabilité aux phénomènes d’internationalisation par l’exil. Ces apports de la rémigration seront perçus et reçus par les générations postérieures aux années 1940. Le constat est similaire pour l’Histoire, comme le montre Barbara Picht. La contribution des historiens et historiennes de l’exil ne sera elle aussi reconnue qu’à plus long terme. Olivier Römer se concentre sur un cas différent: celui de la sociologie dans la République fédérale. Le pourvoi des chaires académiques à parts presque égales entre sociologues ayant connu l’exil et ceux restés en Allemagne a mené à la polarisation du champ que l’auteur qualifie de »terrain volcanique« (p. 225). Le cas des sciences économiques est au cœur de l’article de Heinz Rieter qui effectue une analyse comparée entre RDA et RFA. Si les économistes rémigrés ne semblent pas avoir joué un rôle majeur en Allemagne de l’Ouest, ils ont au contraire joui d’une influence notable à l’Est. Margrit Seckelmann expose par la suite le parcours chaotique de juristes rémigrés dans la République fédérale. Frank Schale traite ensuite du cas particulier des sciences politiques qui ne se sont établies en Allemagne comme une discipline universitaire qu’après 1945. Il s’agit en conséquence de la discipline sur laquelle l’influence des rémigrés a été la plus forte. L’auteur souligne néanmoins, à l’exemple de trois cas, que les positions dans les débats du champ ne sont pas réductibles au statut des chercheurs (exilés ou non). Ces questions de positionnement portaient principalement sur les théories de la démocratie et de l’État qui étaient en outre au centre des débats de politique intérieure après la fin de la guerre et du régime national-socialiste ainsi que durant les années de fondation de la République fédérale. Le dernier article de l’ouvrage s’intéresse aux contributions importantes des médecins de retour d’exil dans l’immédiat après-guerre aussi bien en zones d’occupation alliées que dans la zone d’occupation soviétique.
L’ouvrage collectif propose des analyses variées et en grande partie inédites. Outre les approches réflexives qui dressent un état de l’art précis et bienvenu, il convient de souligner l’intérêt majeur de contributions portant sur des disciplines académiques longtemps restées dans l’ombre. En effet, si la plupart des contributrices et contributeurs viennent des disciplines historiques et de la germanistique allemande, plusieurs textes de la troisième partie du livre sont le fait de spécialistes d’autres disciplines (droit, économie et sciences politiques) et témoignent de l’ouverture inter- et transdisciplinaire particulièrement enrichissante pour le volume.
Même si quelques articles abordent, de manière passionnante d’ailleurs, les liens entre rémigration et sciences en RFA et en RDA, on peut toutefois regretter que les analyses systémiques restent très centrées sur l’Allemagne de l’Ouest.
Ce collectif représente néanmoins une contribution importante aux études sur la rémigration et au-delà, à l’Exilforschung dans son ensemble, d’autant qu’il ouvre sur de nombreuses perspectives de recherche prometteuses, notamment dans des approches comparatistes inter- et transnationales.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Katell Brestic, Rezension von/compte rendu de: Kirsten Heinsohn, Rainer Nicolaysen (Hg.), Belastete Beziehungen. Studien zur Wirkung von Exil und Remigration auf die Wissenschaften in Deutschland nach 1945, Göttingen (Wallstein) 2021, 371 S., 1 Abb. (Hamburger Beiträge zur Wissenschaftsgeschichte, 27), ISBN 978-3-8353-3776-3, EUR 36,00., in: Francia-Recensio 2022/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.2.89234