Cet ouvrage est consacré à une réflexion sur la pratique de l’écriture en RDA impulsée par les dirigeants dans le milieu des ouvriers, »les ouvriers écrivains de RDA«, essentiellement entre la fin des années 1960 et les années 1980. Selon Joseph Beuys, un tel concept d’art politisé est lié à la tradition culturelle socialiste et aux idéaux culturels du XIXe siècle. L’idée d’un anoblissement de l’homme grâce à ses activités culturelles est à la base de ce programme novateur destiné à soutenir la démarche d’hommes nouveaux (p. 73).

L’ouvrage se divise en trois chapitres. Dans le premier, il s’agit d’une description de ce qui s’intitule le »salon des ouvriers« et de son évolution au cours d’une vingtaine d’années. Le second chapitre présente les diverses conceptions esthétiques qui y ont cours. Il est, enfin, question de manière plus concrète des diverses pratiques culturelles.

Tout ceci commence avec Ulbricht et s’achève avec l’arrivée au pouvoir de Honecker après les tentatives de quelques écrivains de s’informer sur le quotidien des ouvriers dans les usines. Une première conférence de Bitterfeld a lieu en 1959 sur le mot d’ordre »Prends la plume, camarade« (»Greif zur Feder, Kumpel«). Elle inaugure la voie de Bitterfeld (Bitterfelder Weg), appelant les ouvriers à se lancer dans l’écriture avec le soutien d’intellectuels qui s’impliquent dans les usines et y travaillent. L’objectif poursuivi est d’effectuer un rapprochement entre les usines et les intellectuels qui doivent s’engager directement sur les lieux de production. Ainsi, selon les dirigeants de la RDA, il serait possible de gommer les différences entre amateurs et professionnels.

La seconde conférence de Bitterfeld, qui a lieu en 1964, ne soulève guère d’enthousiasme pour évoluer vers une culture nationale spécifique à la RDA et contribuer à l’émergence d’une »personnalité socialiste« bien distincte des valeurs du capitalisme occidental. On peut considérer que l’expérience se solde par un échec quand des personnalités socialistes souhaitent ne pas la poursuivre et doutent de ses chances de succès. Sans remettre en cause les aptitudes des travailleurs à développer une activité culturelle, il n’est pas facile pour eux de trouver le temps de s’illustrer dans un domaine qui leur est étranger. Cette expérience ne rencontre pas vraiment d’écho favorable dans l’opinion est-allemande malgré la naissance de nouveaux talents.

On peut aussi se demander dans quelle mesure des romanciers reconnus ont pu s’inspirer de leurs expériences en usines. Christa Wolf y répond positivement en 1991: »Aujourd’hui, on se contente de tourner en ridicule la conférence de Bitterfeld. En grande partie, c’est ce qu’elle était. On pourrait en écrire une comédie. Mais certains artistes en ont tiré quelque chose. Comme on le leur demandait, ils sont allés dans les entreprises et ont regardé ce qui s’y passait. »Spur der Steine« (d’après le roman d’Erik Neutsch, »La trace des pierres« de Frank Beyer, l’un des films interdits par le régime en 1965) est issu de telles rencontres. »Der geteilte Himmel« (»Le ciel partagé«) je ne l’aurais pas écrit sans être allée dans une usine« (p. 430).

Anne M. N. Sokoll pratique un travail efficace dans les archives avec des exemples concrets comme celui du VEB Schiffselektronik (combinat d’électronique navale) de Rostock (p. 413). Il n’est pas seulement question d’échanger et de produire collectivement des textes, mais, avec tout le sérieux possible, d’exercer une influence sur la société, ses structures et ses institutions en accord avec les instructions formulées par les instances dirigeantes. Le travail en groupe autorisait, dans certaines limites, des discussions critiques presque impossibles à l’extérieur: sur la pollution, sur la politique dans l’immédiat après-guerre par exemple, des sujets vraiment tabous.

Un exemple illustre bien l’évolution du contenu idéologique et politique des normes édictées par le régime de RDA. Il s’agit de la publication d’un »Handbuch für Kulturarbeit« ne laissant rien au hasard, diffusé vers le bas de la hiérarchie et contenant des »réflexions programmatiques« sur la marche à suivre, éventuellement sous la forme d’une revue, avec des commentaires et des appréciations sur les textes retenus (p. 329). Si le contenu était contrôlé dès qu’il s’agissait de s’adresser à un public plus large, toute latitude était laissée sur le choix des genres, poésie, sketch, théâtre, roman, nouvelle. Les portraits d’ouvriers en poste dans l’usine étaient très appréciés (p. 402). Toute publication était soumise à des impératifs économiques, comme de ne pas dépasser le contingent de papier autorisé (p. 388).

On constate une évolution sensible entre la version du »Kulturpolitisches Wörterbuch« de 1970 et celle de 1978 (p. 301–305). Dans la première de 1970, on trouve encore des citations d’Ulbricht, une allusion non voilée et très positive aux deux conférences de Bitterfeld et aux objectifs culturels poursuivis dans le cadre de l’évolution économique de la société, de la construction du socialisme et de la place qu’y trouverait le mouvement des »ouvriers-écrivains« si la distinction entre amateurs et professionnels venait à disparaître. Dans la version ultérieure de 1978, il n’est plus question de la voie de Bitterfeld qui a été supprimée à l’arrivée au pouvoir de Honecker en 1971. L’accent est mis davantage sur l’évolution positive des travailleurs, facilitée par la création de clubs où ils peuvent en commun développer un art populaire bien distinct de celui des pays de l’Ouest.

Anne M. N. Sokoll a fait une synthèse intéressante des documents auxquels elle a eu accès – y compris dans des archives privées – qui permettent d’éclairer dans le détail des aspects encore peu connus de la politique culturelle de la RDA. Dommage qu’elle ne soigne pas davantage une mise en page qui aurait gagné à être plus aérée.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Anne-Marie Corbin, Rezension von/compte rendu de: Anne M. N. Sokoll, Die schreibenden Arbeiter der DDR. Zur Geschichte, Ästhetik und Kulturpraxis einer »Literatur von unten«, Bielefeld (transcript) 2021, 493 S. (Düsseldorfer Schriften zur Literatur- und Kulturwissenschaft, 15), ISBN 978-3-8376-5483-7, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2022/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.2.89238