Une telle étude en français était attendue, les spécialistes suivant l’historiographie belge connaissent la vitalité et le dynamisme des chercheurs outre-Quiévrain en ce qui concerne l’histoire urbaine. Dans une introduction dense, »Urbanisation et historiographie de la ville« (S. 7–30), B. Blondé, M. Boone et A.-L. Van Bruaene présentent l’historiographie belge et néerlandaise de la ville depuis Pirenne, rappellent le cadre géographique (le Bénélux plus la Flandre gallicante, Cambrai et l’Artois) et chronologique (bien justifié) et annoncent les sept thèmes abordés dans le livre.

Le premier est celui des »Composantes de la dynamique économique« (p. 31–71), dû à Wim Blockmans, Bert De Munck et Peter Stabel. Celles-ci sont les interactions entre villes et campagnes, toutes deux densément peuplées (on compte 150 villes de 10 000 habitants ou plus pour le bas Moyen Âge) – les villes ayant démographiquement besoin de l’immigration venant des campagnes –, la fonction de passerelle (gateway) pour les villes, lieux d’exportation des produits locaux et d’importation des produits manquants, le développement industriel accompagné par celui des métiers. Dans »Vivre en ville. Les relations sociales entre idéal et réalité« (p. 73–112)1, B. Blondé, Frederik Buylaert, Jan Dumolyn, Jord Hanus et P. Stabel suivent l’évolution d’un idéal de communauté urbaine au XIe et XIIe siècles à une société au XVIe siècle marquée par des fractures. Le pouvoir fut d’abord détenu par les marchands et les propriétaires fonciers, puis les classes moyennes apparurent, structurées en guildes, qui connurent leur apogée au bas Moyen Âge, malgré les maux de la peste, de la faim et de la guerre. Sont abordés aussi la famille, les ouvriers salariés et les pauvres.

M. Boone et Jelle Haemers s’intéressent au »Bien commun«, sous-titré »Gouvernance, discipline, culture politique« (p. 113–149). Pour éviter les conflits il fallait discipliner les comportements. L’écrit a conservé la mémoire urbaine en matière de législation. La ville était le lieu de luttes pour le pouvoir, dans la ville et vis-à-vis du seigneur. Ces luttes n’étaient pas toujours violentes, elles suivaient un rituel: concertation, processions des métiers avec leurs bannières, puis, si le compromis était impossible, recours à la violence avec l’exécution de quelques représentants de l’autorité. Les rhétoriqueurs ont mis par écrit les bonnes règles du comportement des citadins et de leurs dirigeants. L’expression »Religion civique« s’est largement répandue depuis 1974. Elle est reprise par A.-L. Van Bruaene et Guido Marnef, avec le sous-titre »Communauté, identité et renouvellement de la foi« (p. 113–186) pour étudier les formes religieuses propres au contexte urbain des anciens Pays-Bas. Les ordres mendiants, dominicains et franciscains, les béguines et les béguins sont indissociables des villes, ce qui n’empêchait pas les laïcs d’être teintés d’un fort anticléricalisme, la médiation avec le divin se faisant par les confréries des guildes. D’autre part les chambres de rhétorique développèrent le théâtre religieux. Les formes de piété variaient beaucoup selon les villes et les catégories sociales.

C. Billen et Chloé Deligne, quant à elles, s’intéressent à »La ville et son espace. Infrastructure, technologie et pouvoirs« (p. 187–222), c’est-à-dire cherchent à savoir si les villes des anciens Pays-Bas méridionaux ont créé des configurations spatiales et matérielles propres et communes. Dans les infrastructures, il y a l’aménagement des sites (impliquant prince, seigneurs, Église, grands marchands), la maîtrise de l’eau comme source d’énergie (les moulins) et pour approvisionner les citadins. Dans les équipements, on compte le château, la voirie, les églises, les marchés, les halles, la grand-place, les beffrois avec leur cloche, et l’espace de la ville est limité par des fortifications, à l’intérieur desquelles devait être pratiqué la caritas au moyen des hospices. Inneke Baatsen, B. Blondé, Julie De Groot et Isis Sturtewagen, avec »Habiter en ville. Les dynamiques de la culture matérielle« (p. 223–248), nous font pénétrer dans l’habitat urbain, avec ses lieux de stockage, ses pièces, leur mobilier et leur décoration qui servent à se différencier socialement et où l’on pratiquait la convivialité.

Enfin, B. De Munck et Hilde De Ridder-Symoens, dans »Enseignement et savoir« (p. 249–286), montrent combien les villes ont eu à cœur l’instruction de leurs enfants, par la petite école d’abord, où garçons et filles apprenaient à lire, écrire et compter, et recevaient une éducation religieuse. L’apprentissage d’un métier se faisait au sein des ateliers, où les guildes avaient leur rôle à jouer. La diffusion de la lecture et de l’écriture a permis la rédaction de manuels, dont l’imprimerie s’empara. Les écoles latines offraient un »enseignement moyen« autorisant l’entrée dans l’enseignement supérieur, à Cologne ou Paris, avant la création de l’université de Louvain en 1425. En dehors de ces établissements, la cour, qu’elle fût ecclésiastique ou laïque, était un autre lieu de formation.

Dans un »Épilogue. Le legs de la ville médiévale dans les Pays-Bas«, B. Blondé et M. Boone insistent sur le fait que l’on ne peut comprendre le »miracle néerlandais« du XVIIe siècle sans l’héritage de ce qui s’est passé antérieurement dans la Flandre, le Brabant et la Hollande-Zélande. Suivent une bibliographie très utile (p. 299–329) et des index des noms de personne, de lieu et de matières.

Les limites d’un tel compte rendu ne permettent pas de relever toute la richesse de ce livre qui se présente comme un ouvrage indispensable à tout médiéviste et au-delà à tout lecteur intéressé par l’histoire de l’Europe.

En complément, signalons la publication en un volume des études de Marc Boone, dans »City and State in the Medieval Low Countries« (2021), à l’occasion de son départ à la retraite.

1 Relevons que la légende indiquée pour la figure p. 73 ne correspond pas avec ce qui est inscrit au bas de la gravure, qui est : Grandibus exigui sunt pisces piscibus esca [»Les petits poissons sont la nourriture des gros poissons«], Siet sone dit hebbe ick zeer langhe gheweten dat die groote vissen de cleijne eten [»Vois, fils, ce que j’ai toujours su, que les gros poissons mangent les petits«]. La légende donnée p. 73 est celle de l’inscription, en latin, français [»L’oppression des pauvres. Les riches vous maistrisent per leur puissance«] et néerlandais, en haut à droite, d’une autre impression de la même gravure.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Claire Billen, Bruno Blondé, Marc Boone, Anne-Laure Van Bruaene (dir.), Faire société au Moyen Âge. Histoire urbaine des anciens Pays-Bas (1100–1600), Paris (Classiques Garnier) 2021, 356 p. (Bibliothèque d’histoire médiévale, 25), ISBN 978-2-406-10791-0, EUR 29,00., in: Francia-Recensio 2022/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.3.90440