Les croisades tardives, c’est-à-dire celles ayant eu lieu après la chute d’Acre (et non pas Saint-Jean-d’Acre, appellation qui date du XVIIe siècle) en 1291, après la perte des derniers établissements des États latins d’Orient, sont l’objet de peu de livres grand public. Loïc Chollet s’est attelé à la tâche pour en faire le récit et faire connaître les travaux universitaires français ou anglophones. Lui-même a rédigé sa thèse de doctorat de lettres sur la croisade de Prusse, soutenue à l’université de Neuchâtel en 2017 et publiée sous le titre »Les Sarrasins du Nord. Une histoire de la croisade balte par la littérature (XIIe–XVe siècles)« en 2019.
Dans une courte introduction, »Quand l’esprit de croisade souffle encore« (p. 9–13), l’auteur présente l’état de la question. Ces croisades ont eu lieu »Aux marges de la chrétienté« (p. 15–41), ce qui est pour L. Chollet l’occasion de rappeler la finalité des croisades classiques dont le but était Jérusalem et qui ont vu la création des ordres militaires, mais dont les terrains se sont étendus à la péninsule Ibérique et aux pays de l’est de la mer Baltique, et aussi contre les hérétiques. Dans les deux derniers siècles du Moyen Âge, cette activité de croisade est devenue »Une activité éminemment chevaleresque« (p. 43–69), dont les modèles étaient littéraires; les chevaliers pour échapper aux guerres européennes, se lançaient à la recherche de l’amour ou de la gloire.
L’auteur présente ensuite les différents champs où les croisades tardives se sont exercées. D’abord »Par-delà les mers« (p. 71–125), c’est-à-dire en Méditerranée orientale, avec la croisade de Smyrne contre l’émir turc d’Aydin Umur Bey (1344–1345) lancée par le pape avec une ligue réunissant Venise, le roi de Chypre, l’ordre de l’Hôpital. La croisade d’Alexandrie a été menée par le roi Pierre Ier de Chypre en 1365 à la suite d’un voyage à travers l’Europe occidentale, et dont Guillaume de Machaut a laissé une relation en vers, celle du comte Amédée VI, le comte Vert, de Savoie en 1366–1367 en secours à son cousin Jean V Paléologue dans les détroits et en mer Noire. Ensuite la croisade de Barbarie, à la demande des Génois auprès du roi de France Charles VI, menée par le duc Louis de Bourbon1, les expéditions du maréchal Boucicaut, au secours de Constantinople en 1399 contre les Turcs et, comme gouverneur de Gênes en Méditerranée orientale en 1403 contre les Mamelouks (mais avec une mauvaise rencontre avec les Vénitiens), celles du chevalier bourguignon Geoffroy de Thoisy en 1444 au secours de l’ordre de Rhodes en 1444 contre les Mamelouks puis de Constantinople contre les Turcs2.
Avec »De la Lituanie païenne à la Bohême hérétique« (p. 127–161), nous passons à d’autres terrains de la croisade, en Europe du Nord-Est et en Europe centrale. Le voyage de Prusse a été étudié par Werner Paravicini3, avec tous ses rituels, mais pour lequel la bataille de Tannenberg (Grunwald) a mis un terme en 1410. L’hérésie hussite de Bohême permit d’ouvrir un nouveau champ de croisade, mais sans grand succès, entre 1420 et 1431.
Depuis le XIe siècle, la péninsule Ibérique offrait les mêmes indulgences que la Terre sainte, et au XIVe siècle de nouveaux horizons furent ouverts avec les îles Canaries, conquises par les chevaliers français Gadifer de La Sale et Jean de Béthencourt en 1402–1404, et Ceuta, prise par les Portugais en 1415 (p. 163–201).
Cependant, les »Terribles guerres balkaniques« (p. 203–256) furent celles contre les Turcs ottomans, qui progressaient inexorablement en Europe du Sud-Est, dont les grands épisodes malheureux furent la croisade de Nicopolis en 13964 et celle de Varna en 1444, suivie de la croisière bourguignonne en mer Noire et sur le Danube en 1445.
L’absence de victoires contre les »infidèles«, musulmans ou païens, et contre les hérétiques firent que l’idéal chevaleresque de la croisade fut »Un idéal critiqué« (p. 257–284), notamment en France à la suite de Nicopolis. Pourtant, dans son couvent des Célestins à Paris Philippe de Mézières rêvait d’une régénération de l’Occident dans le but de la reprise de Jérusalem.
Dans un dernier chapitre, »Les croisés face aux autres« (p. 285–315), L. Chollet s’intéresse aux interactions des chevaliers et écuyers occidentaux avec les peuples, alliés ou ennemis, rencontrés, parmi lesquels des amitiés pouvaient être nouées, et au regard que l’on pouvait porter sur eux. Mais entre eux, ils formaient une internationale de la chevalerie.
En conclusion (p. 317–323), il revient sur la chronologie de ces croisades tardives, dont l’apogée fut les années 1390–1396.
Les notes ont été reportées en fin de volume (p. 325–372) et sont suivies de quelques cartes (il n’y avait pas de »sultanats turcs« mais des beyliks en Anatolie, celle de l’Europe et de l’Afrique du Nord ne contient aucun nom de ville et il manque Nicopolis et Varna sur celle de l’Europe orientale). La partie »Sources et bibliographie« (p. 381–414) est bien fournie5. Regrettons l’absence d’un index. Avec ce panorama sur la chevalerie et les croisades tardives, Loïc Chollet comble un vide et le lecteur curieux pourra y trouver matière à approfondir ses connaissances.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Loïc Chollet, Dernières croisades. Le voyage chevaleresque en Occident à la fin du Moyen Âge, Paris (Vendémiaire) 2021, 421 p., 3 cartes, ISBN 978-2-36358-369-7, EUR 24,00., in: Francia-Recensio 2022/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.3.90447