Le codex dit »de Bardewick«, nommé d’après le marchand et bourgmestre lübeckois Albrecht von Bardewick (c. 1250–1310) qui le fit réaliser autour de 1294, est considéré comme l’un des exemplaires médiévaux les plus complets et les plus remarquables du droit urbain de Lübeck. Ce manuscrit, auquel le juriste lübeckois Johann Friedrich Hach avait déjà consacré au XIXe siècle une édition d’un emploi malaisé, était pourtant réputé perdu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sa redécouverte fortuite en 2014, dans un musée de la petite ville d’Iourievets en Russie, a été le point de départ d’une collaboration germano-russe en vue de la réalisation d’une nouvelle édition critique de ce texte important. Cet ouvrage en trois volumes en est le résultat.

Le moins que l’on puisse dire est que nous sommes en présence d’un travail très complet et ambitieux, qui ne se contente pas de rendre le texte accessible aussi bien aux chercheurs qu’au grand public, mais s’efforce aussi de l’analyser sous toutes ses coutures. L’ensemble est par ailleurs très richement illustré, et si les photographies documentant les rencontres de travail des auteurs peuvent sembler superflues, les cartes et les reproductions de manuscrits éclairent souvent utilement le propos.

Le premier tome s’articule autour d’un fac-similé en couleur du manuscrit (p. 54–256), introduit par quelques brefs exposés introductifs: sur l’histoire du droit de Lübeck et celle des fonds municipaux lübeckois, de leur transfert en URSS en 1945 à leur restitution (partielle) après 1990; sur le manuscrit de Bardewick lui-même et sa redécouverte, etc. Ce volume contient également une édition critique du texte avec traduction en regard (p. 262–352). La majeure partie du manuscrit se compose d’articles de droit rédigés en moyen bas-allemand, numérotés et pourvus de titres écrits à l’encre rouge que l’édition restitue en gras. Au-dessus de chacun de ces titres, les éditeurs ont indiqué la concordance avec l’édition philologique de Gustav Korlén (qui reste l’édition de référence pour ce qui touche aux variations textuelles entre les différents manuscrits bas-allemands du XIIIe siècle)1. Le codex contient aussi les copies de plusieurs documents de dates diverses, souvent ajoutés a posteriori par d’autres mains: des statuts et des arbitrages rendus par le conseil de Lübeck aux XIIIe et XIVe siècle; un ordo sur l’élection du conseil, qui se présente fallacieusement comme un jugement du duc de Saxe Henri le Lion (1142–1180) mais qui date en réalité des années 1290; le serment prononcé par les consuls de la ville à leur entrée en fonction; ou encore un récit anonyme des événements qui suivirent la grande cherté de 1316–1320. Le tout est accompagné d’un apparat critique détaillé, corrigeant certaines erreurs du scribe et signalant les corrections et les ajouts postérieurs. Le volume se clôt sur un glossaire réalisé par Dorothea Heinig, lequel facilite grandement la navigation dans le texte en permettant des recherches par mots-clés.

Assez curieusement, le deuxième tome s’ouvre sur la même édition et traduction du texte qui figurait déjà dans le premier (p. 18–107). Abstraction faite de ce doublon, ce volume approfondit l’analyse du codex de Bardewick à travers une série d’études détaillées (en allemand ou en anglais) portant sur son aspect, sa langue ou encore les pratiques et mentalités juridiques qu’il reflète. Judith H. Oliver et Inna Mokretsova y rendent justice à la grande richesse des enluminures ornant ce manuscrit, que les quelques photographies incluses dans l’ancienne édition de J. F. Hach ne laissaient pas soupçonner. Les analyses de pigments effectuées par Irina F. Kadikova ne permettent pas seulement d’identifier les matériaux utilisés pour les enluminures (carbonate de plomb, azurite, or …), mais aussi de déterminer que celles-ci ont été effectuées par plusieurs personnes au sein d’un même atelier. Une attention particulière est également accordée au contexte d’élaboration du codex. Comme le montre l’article de Jürgen Wolf, la chancellerie lübeckoise connaît en effet à la fin du XIIIe siècle une phase d’expansion et de professionnalisation dont Albrecht von Bardewick semble avoir été l’un des principaux initiateurs.

Le troisième tome, moins épais, est consacré à un commentaire juridique du texte par Albrecht Cordes, dont les principaux objectifs sont rappelés par une courte introduction d’une dizaine de pages: il s’agit d’une part de rendre les articles du droit de Lübeck compréhensibles à un lectorat sans connaissances préalables en histoire du droit, et d’autre part d’en analyser la logique interne. Par souci de pédagogie, l’auteur y fait également figurer des cartes de la diffusion du droit de Lübeck dans l’espace baltique ainsi que des considérations sur la valeur des monnaies mentionnées dans le manuscrit. Renonçant à toute comparaison avec les lois et coutumes en usage à d’autres époques ou dans d’autres espaces géographiques, le commentaire suit de manière linéaire l’ordre des articles, tout en faisant apparaître le plan thématique qui structure implicitement le manuscrit: après une série d’articles consacrés au mariage (art. 1–14), on passe ainsi au droit de l’héritage (art. 15–41), puis aux réglementations relatives au conseil municipal (art. 42–57), et ainsi de suite. Chacune de ces sections est introduite par une présentation générale du contenu et de »l’esprit« des lois en question, avant que les articles ne soient analysés individuellement.

Cette manière de coller au texte contraste avec la méthode très englobante qu’avait adoptée en son temps Wilhelm Ebel, auteur de la somme érudite sur le droit de Lübeck qui, bien qu’inachevée et à certains égards datée, faisait jusqu’à présent autorité2. W. Ebel envisageait son sujet du XIIe siècle jusqu’à l’époque moderne; mais pour le début de cette période au moins, c’est désormais le présent livre qu’il faudra consulter en priorité.

1 Gustav Korlén, Norddeutsche Stadtrechte II. Das mittelniederdeutsche Stadtrecht von Lübeck nach seinen ältesten Formen, Lund 1951 (Lunder Germanistische Forschungen, 23).
2 Wilhelm Ebel, Lübisches Recht, Lübeck 1971.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Tobias Boestad, Rezension von/compte rendu de: Albrecht Cordes, Natalija Ganina, Jan Lokers (Hg.), Der Bardewiksche Codex des Lübischen Rechts von 1294. Band 1: Faksimile und Erläuterungen, Mainz (Nünnerich-Asmus Verlag & Media) 2021, 464 S., ISBN 978-3-96176-166-1, EUR 40,00; Albrecht Cordes, Natalija Ganina, Jan Lokers (Hg.), Der Bardewiksche Codex des Lübischen Rechts von 1294. Band 2: Edition, Textanalyse, Entstehung und Hintergründe, Mainz (Nünnerich-Asmus Verlag & Media) 2021, 511 S., ISBN 978-3-96176-170-8, EUR 40,00; Albrecht Cordes, Natalija Ganina, Jan Lokers (Hg.), Der Bardewiksche Codex des Lübischen Rechts von 1294. Band 3: Rechtshistorischer Kommentar, Mainz (Nünnerich-Asmus Verlag & Media) 2022, 350 S., ISBN 978-3-96176-178-4, EUR 30,00., in: Francia-Recensio 2022/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.3.90448