Cette publication, dirigée par Christian Grappe, résulte d’un colloque qui s’est tenu en 2015 à Strasbourg à l’occasion du millénaire de la pose de la cathédrale ottonienne érigée par l’empereur Henri II et l’évêque Werner. Mais c’est bien l’édifice gothique, celui toujours visible, dont la reconstruction a été initiée dès 1190 par l’évêque Conrad II de Hunebourg, qui est étudié à travers quatorze articles étoffés et variés. La formule choisie pour cet ouvrage collectif rejoint celle des volumes de la collection »La Grâce d’une cathédrale« des éditions Nuée Bleue, établies d’ailleurs à Strasbourg: un monument est présenté sous toutes ses facettes, à la fois historiques, artistiques, architecturales et mobilières, par un panel de spécialistes divers et sur une chronologie allant de ses origines à nos jours. Deux parties structurent le livre autour de l’articulation entre la vie temporelle et la vie spirituelle rattachée à la cathédrale. Les thématiques s’inscrivent autant dans l’activité liturgique que dans des questions iconographiques. Historiens, historiens de l’art, conservateurs et campanologues s’alternent pour offrir des études qui allient synthèses et nouvelles problématiques.

La première partie accueille des contributions consacrées à la place de l’église épiscopale dans la cité, à ses étapes de construction et à ses liens avec les habitants, du Moyen Âge jusqu’à aujourd’hui. La réalisation de l’édifice à travers les sources écrites est évoquée pour montrer la prise en main des travaux par les bourgeois dès le milieu du XIIIe siècle à la suite de conflits avec les évêques (Francis Rapp). Depuis lors, c’est la ville qui joua, jusqu’à nos jours, le premier rôle dans l’édification et l’entretien du monument. Entretien qui est imputé à la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame au moins dès le XIIIe siècle et dont l’histoire est retracée parallèlement à celle des endommagements et des dégâts survenus au fil des siècles, le XXe siècle ayant été particulièrement impitoyable (Nicolas Lefort). La place prépondérante qu’occupe la cathédrale dans la vie des habitants est concrétisée par le quotidien rythmé des sonneries des cloches dont l’intérêt spécifique est relevé dans une contribution qui trace leur histoire depuis le XIIIe siècle jusqu’à l’époque actuelle (Olivier Tarozzi). Des témoins tangibles originaux montrent l’attrait du monument dans la société bourgeoise aux XVIIIe et XIXe siècles. En effet, plusieurs maquettes en matériaux plus ou moins précieux – dont la magnifique reproduction en argent de Mathias Jacques Traiteur, mais aussi des miniatures plus simples en carton, papier et bois et un jeu de société – évoquent la réputation de l’édifice loin à la ronde (Monique Fuchs). Par ailleurs, un parcours historique sur le quartier cathédral est dressé. Celui-ci se développait sur les abords méridionaux et orientaux du monument avant d’être progressivement démantelé à partir de la Réforme (Bernard Xibaut). L’importance de la cathédrale ne fonctionne pas de façon isolée, mais elle est au contraire rehaussée par son intégration au sein d’un réseau dense d’églises paroissiales dont elle est le centre. La topologie du sacré de la ville, à travers les sources médiévales, met en évidence les routes des processions majeures de l’année liturgique qui se déploient par rapport à la cathédrale (Beat Föllmi). Ces différentes études font résonner à la fois la vie cultuelle et la vie séculaire qui s’étendent autour de l’édifice. Lieu de mémoire, celui-ci fut exploité dans une dimension symbolique qui dépasse le fait religieux par des gestes politiques marquants (Georges Bischoff). Comme tout lieu de culte, l’aménagement intérieur de ce lieu emblématique a fluctué au fil du temps. La Réforme, la Révolution et le XXe siècle sont des moments charnières durant lesquels d’importantes modifications furent apportées aux différents espaces liturgiques (Benoît Jordan).

La seconde partie évoque l’iconographie, concentrée sur les zones extérieures méridionales et occidentales. La Dormition et l’Assomption du double portail du bras sud du transept sont inscrites dans une tradition visuelle et littéraire qui émerge au début du Moyen Âge et qui bénéficie de l’apogée du culte marial au XIIIe siècle (Gabriella Aragione) tandis que la conception du Pilier des anges ferait écho à la philosophie dionysienne relayée par l’école victorine, par sa structure ascensionnelle et scandée, tout en anticipant l’angélologie franciscaine (Denise Borlée et Isabel Iribarren). Du vaste décor de la façade occidentale, l’attention est portée sur la verticalité de la lecture, qui complète le déchiffrement horizontal. C’est ainsi une nouvelle interprétation du portail central qui transparaît par la mise en exergue de la superposition des représentations du Christ, de la Vierge, de Salomon et des différents trônes (Christian Grappe). Au-delà de la lecture d’un portail pris isolément, c’est l’ensemble de la façade qui acquiert une nouvelle cohérence par la considération verticale du décor figuré. Ainsi, le portail de droite présentant les Vierges sages et les Vierges folles est analysé sous un prisme plus large. La tradition germanique de l’iconographie de la parabole de Matthieu (25, 1–13) est rappelée, avec l’étude de l’apparition du démon dans les interprétations théâtrales et iconographiques du récit quelques années avant l’érection du programme strasbourgeois (Rémy Valléjo). Un programme qui aurait été élaboré après consultation auprès d’Albert le Grand. Le rôle actif du grand théologien colonais est ici réhabilité à l’aide de l’examen de ses écrits et des sources postérieures faisant de lui un architecte, au sens de consultant et de mécène de grandes entreprises architecturales (Sébastien Milazzo). Finalement, l’horloge astronomique de Tobias Stimmer, son style et son iconographie sont envisagés à la lumière du contexte protestant de la cathédrale au moment de sa réalisation (Jérôme Cottin).

Au terme de ce parcours qui ancre l’église épiscopale strasbourgeoise dans la vie séculière et spirituelle de la ville à travers huit siècles, le lecteur acquiert un panorama historique original. Chacune des contributions offre une étude inédite complétée par une abondante documentation iconographique.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laurence Terrier Aliferis, Rezension von/compte rendu de: Christian Grappe (dir.), La cathédrale de Strasbourg en sa ville. Le spirituel et le temporel, Strasbourg (Presses universitaires de Strasbourg) 2020, 240 p. (Études alsaciennes & rhénanes), ISBN 978-2-86820-760-9, EUR 39,50., in: Francia-Recensio 2022/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.3.90454