Ce livre est la thèse soutenue par Sylvie Le Strat-Lelong à l’université de Franche-Comté en 2015, et préparée sous la direction de Michelle Bubenicek (qui signe la préface de l’ouvrage), avec comme sous-titre »Une principauté en devenir«. La durée étudiée est celle du »règne« des deux derniers comtes, purement »français«, plus précisément des Capétiens. C’est en 1295 qu’Othon IV avait confié au roi de France le gouvernement du comté, que d’autre part il donnait à sa fille Jeanne en tant que dot pour son mariage à l’un des deux enfants du roi, qui fut Philippe comte de Poitiers et plus tard roi Philippe V le Long (de 1316 à 1322). Jeanne de Bourgogne était restée attachée au comté, où elle passa son veuvage jusqu’à sa mort en 1330. Sa fille aînée Jeanne de France (1308–1347) fut mariée en 1318 au duc de Bourgogne Eudes IV (1295–1349), en lui apportant en dot le comté. À la mort de sa belle-mère, celui-ci devint le premier duc-comte capétien, et lui succéda son petit-fils Philippe de Rouvres, mort sans héritier en 1361.

Dans son introduction (p.13–18), S. Le Strat-Lelong s’intéresse à l’image d’Eudes IV et pose les quatre questions qui seront traitées dans le corps de l’ouvrage. Elle fait ensuite une bonne présentation des sources (p. 19–38), qui lui ont servi à rédiger son étude.

La première partie »Au cœur de la principauté. Le domaine comtal. Permanences et mutations« (p. 39–120) est consacrée à l’évolution du domaine, fruit d’héritages, et dont l’assise peut être connue à partir des comptes généraux des années 1330 et de 1359. Les ducs-comtes l’ont modifié par des acquisitions ou des confiscations ou des aliénations (Eudes pratiquant l’achat, Philippe aussi bien l’achat que la vente). Ce domaine est géré à partir de mairies, de prévôtés, de châtellenies, auxquelles ont été superposés, dès les années 1330, deux bailliages, celui d’Amont et celui d’Aval. À côté, est aussi créée une administration originale, celle des eaux et forêts, connue sous le nom de gruerie (objet d’une étude de Pierre Gresser1); les salines constituaient aussi une source importante de revenus.

L’une des originalités du comté de Bourgogne était ses puissants seigneurs, objets de la deuxième partie, »La féodalité au comté de Bourgogne. Vitalité et réorganisation des forces« (p. 121–179). Un état des fiefs avait été dressé par Othon IV vers 1295, donnant une base solide, encore utilisée en 1354. Une autre liste de vassaux, circonstancielle, a été établie en 1357. D’après la liste de 1295, la valeur moyenne des fiefs se situait entre 200 et 300 livres, mais atteignait jusqu’à 20 000 livres pour les Chalon-Arlay. S. Le Strat-Lelong s’intéresse ainsi à ces grandes familles: Faucogney à la frontière nord, Montfaucon-Montbéliard (l’héritière Agnès de Bourgogne comtesse de Montbéliard ayant épousé en 1320 Henri de Montfaucon), Neuchâtel (qui connut une formidable ascension) au nord-est, et à l’est et au sud Chalon (Chalon-Arlay, connue par un cartulaire de 1317–1319 et dominée par Jean II, de 1322 à 1362, et Chalon-Auxerre, représentée par un autre Jean II, mort en 1361 ou 1362).

Ces hommes avaient les moyens de rivaliser avec le comte, ce qui est le thème de la troisième partie, »Le prince et sa noblesse. Collaboration ou opposition?«, le sous-titre s’entendant mieux avec le titre inversé: la noblesse et le prince (p. 181–277). Cette noblesse commença par s’opposer au nouveau comte, mettant en doute la légitimité de l’héritage de Jeanne de France au détriment de ses sœurs cadettes Marguerite et Isabelle. À cela s’ajouta la querelle de l’héritage de Montbéliard, et ce qui fut considéré comme l’attaque par le nouveau comte des »coutumes et franchises« de la noblesse, ce qui occasionna plusieurs guerres entre 1330 et 1349, débordant les frontières du comté par le jeu des alliances, et dont S. Le Strat-Lelong aborde tous les aspects. La mort du duc, la peste et surtout l’action de la régente Jeanne, comtesse d’Auvergne et de Boulogne et mère de Philippe de Rouvres, allaient bouleverser l’ancien ordre: par son ordonnance de 1349, celle-ci permit à la noblesse de s’associer au gouvernement du comté. D’autre part, le comte avait un moyen de pression sur sa noblesse en l’employant à son service, dans les charges administratives comme celles de bailli ou de châtelain, ou dans l’armée.

La quatrième et dernière partie, »L’élaboration du pouvoir princier et ses limites« (p. 279–385), est consacrée aux questions relatives à la genèse de l’État moderne, dans les domaines de la justice, de la guerre et des finances. Il y eut d’abord la centralisation exercée par le duché sur le comté, avec un prince peu présent. Celui-ci réussit cependant à imposer sa marque dans le domaine du droit, en affirmant sa souveraineté, qui pouvait être tenue en brèche par l’intervention du roi de France au moyen d’arbitrages. Sous Eudes IV et Philippe de Rouvres, l’administration et la justice se sont développées, et le parlement, fondé en 1306, semble avoir mal fonctionné, ce qui fut pallié par l’emploi de réformateurs qui parcouraient le comté. Quant aux finances, le comté était de peu de rapport, ce qu’avait montré Sylvie Bépoix. Dans la défense du comté, le temps d’Eudes IV semble un temps d’expérimentations, avec l’apparition de »gardiens«.

Dans sa conclusion, S. Le Strat-Lelong revient sur l’originalité du comté de Bourgogne durant la période étudiée: une meilleure maîtrise de l’espace, une centralisation avec le duché, un infléchissement français des institutions, mais, qui contrairement à d’autres entités, n’ont pas pris le caractère de structures étatiques.

Dans les pièces annexes, relevons encore une fois l’extrême mauvaise qualité des cartes (ce qui n’est pas la faute de leur dessinateur, mari de S. Le Strat-Lelong, mais des éditions Brepols, qui les rendent illisibles). Suit une bibliographie bien fournie (p. 409–427) et un index des noms de personne (mais malheureusement pas de lieu).

L’étude de Sylvie Le Strat-Lelong sur le comté de Bourgogne de 1330 à 1361 est à louer: sa pleine maîtrise des sources archivistiques lui permet de peindre un tableau tout en finesse. Par là, elle s’inscrit dans la lignée des grands historiens comtois et son livre restera une référence.

1 Pierre Gresser, La gruerie du comté de Bourgogne aux XIVe et XVe siècles, Turnhout 2005 (Burgundica, 9).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Sylvie Le Strat-Lelong, Le comté de Bourgogne d’Eudes IV à Philippe de Rouvres (1330–1361), Turnhout (Brepols) 2021, 436 p., 9 ill. en n/b, 8 tabl., 11 cartes (Burgundica, 32), ISBN 978-2-503-59079-0, EUR 95,00., in: Francia-Recensio 2022/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.3.90460