Abritant l’édition critique de la plupart des lettres et collections épistolaires des époques mérovingienne et carolingienne, la collection »Epistolae« des Monumenta Germaniae Historica, inaugurée en 1891, constitue le plus vaste projet éditorial pour l’étude du genre épistolaire durant le haut Moyen Âge. Dans l’attente du fascicule 8/3 consacré aux lettres d’Hincmar de Reims des années 873–882, ce neuvième tome, édité par Isolde Schröder, s’avère l’ultime pièce de l’ambitieuse collection des MGH.
Le recueil poursuit un double objectif: il prend d’une part le relais des tomes précédents en éditant les lettres non royales et non papales pour la période de la mort de Charles le Chauve († 877) à la mise à l’écart du pouvoir de Charles le Simple (923) – considérée par l’éditrice comme date ultime de l’époque carolingienne. D’autre part, il s’efforce de combler les lacunes – manques ou découvertes nouvelles – relevées dans les tomes précédents (t. 4–6).
La notion de lettre est employée de manière très large. Elle englobe ce que l’on peut qualifier, à la suite de Giles Constable, de lettres »réelles«, conçues dans le cadre d’un véritable échange épistolaire, ainsi que les lettres-préfaces, les lettres-traités et les lettres-formules. Avec l’intégration de ces dernières, le présent volume entend aussi compléter le recueil des »Formulae Merowingici et Karolini Aevi« paru en 1886.
Chacune des 186 documents édités se présente selon le même schéma comprenant le numéro d’ordre du document, un regeste, sa datation, sa tradition manuscrite et éditoriale ainsi qu’une orientation bibliographique. Suivent quelques éléments de contexte et des justifications relatives à la présentation du texte puis, enfin, l’édition critique du texte.
Si on ne compte qu’un seul document inédit dans le corpus (no 102: Hérivé de Reims au clergé et au peuple d’un évêché à propos des exigences de leur nouvel évêque), Isolde Schröder fournit, pour les autres pièces, plus qu’une simple réédition et recourt à une analyse minutieuse de la transmission de chaque item. Elle a par ailleurs renoncé à proposer une nouvelle édition des lettres précédemment publiées dans une collection des MGH autre que les »Epistolae«, tout en actualisant, si nécessaire, l’analyse du document et l’orientation bibliographique.
Le volume se compose de deux grandes parties: dans la première sont éditées, suivant l’ordre chronologique, les lettres transmises à l’extérieur d’une collection épistolaire (nos 1–120). Dans l’impossibilité de les énoncer toutes, nous nous limitons à signaler quelques-uns des épistoliers retenus: en complément aux tomes précédents, Paulin d’Aquilée (no 2), Alcuin (no 6), peut-être Raban Maur (no 12), Paschase Radbert (nos 16, 40), Drogon (nos 17–18) et Advence de Metz (nos 44, 51, 54). Pour l’époque autour de 900, on peut retenir, parmi bien d’autres, Notker le Bègue (nos 49, 78, 146–149, 151–152), Hatto de Mayence (no 96), Foulques (nos 79–82, 162–166) et Hérivé de Reims (nos 101–102, 114, 118). Les lettres-préfaces de la »Collectio Anselmo dedicata« (no 74), des œuvres de Réginon de Prüm (nos 98, 108, 112) ou encore de celles d’Étienne de Liège (nos 104, 106) font également partie du corpus.
La seconde partie de l’édition présente plusieurs collections épistolaires. Au sein de celles-ci, l’ordonnancement originel des items a été respecté. Il s’agit des »Epistolae formatae« de Francon de Liège (nos 121–125), des lettres non anonymisées des »Formulae codicis Laudensis« (nos 126–128) et du livre de formules de Notker le Bègue (nos 129–153; sans nouvelle édition), de la collection épistolaire de Walter d’Orléans (nos 154–161), de cinq lettres de Foulques de Reims insérées dans l’»Historia Remensis Ecclesiae« de Flodoard (nos 162–166), de la collection épistolaire d’Herfrid d’Auxerre (nos 167–174), de trois lettres-poèmes du clerc sud-italien Eugenius Vulgarius (nos 175–177; sans nouvelle édition), de sept lettres de l’archevêque Jean IX de Ravenne (le futur pape Jean X) et d’une lettre du pape Serge III transmises sur le verso du »Rouleau de Ravenne« (nos 178–185) et, enfin, d’une collection fragmentaire de lettres-formules (no 186).
Une série d’index clôt le volume (personnes et lieux, sources et citations, incipit, destinateurs, destinataires, manuscrits).
En vue de la préparation à la publication de ce recueil, une base de données des lettres avait été mise en ligne. Elle demeurera accessible pour servir de complément au volume papier bien que sa dernière mise à jour remonte à janvier 20211.
C’est en effet un »terrain épineux« (R. Schieffer, p. XIV) qu’Isolde Schröder a dû traverser pour mener cette édition à son terme, tant les lettres et leurs thématiques étaient diverses et les manuscrits éparpillés.
Le terminus ad quem de l’édition étonne. Il convient de saluer le souci d’Isolde Schröder et des MGH pour avoir porté le regard au-delà de l’année 911, qui marque traditionnellement la fin de l’époque carolingienne dans la médiévistique allemande. Étant donné, d’une part, les difficultés de situer la fin de cette époque au-delà d’un cadre national et, d’autre part, la nécessité d’arrêter un terminus net pour définir le corpus d’une édition de sources, l’année de la mise à l’écart définitive de Charles le Simple (923) n’est pas mal choisie. Cependant, contrairement aux affirmations de l’éditrice, le fils posthume de Louis le Bègue ne fut pas le dernier roi carolingien de la Francie occidentale (p. XI); ce titre incombe toujours à Louis V († 987).
Vu le caractère particulièrement hétéroclite de la première partie du corpus, l’éditer dans un ordre purement chronologique au lieu de procéder à des regroupements quelconques était un choix raisonnable. De même est-il heureux que l’ordre initial des lettres au sein de leur collection respective ait été respecté dans la seconde partie du volume.
L’actualisation de l’édition de la plupart des lettres constitue une occasion heureuse, surtout pour les pièces faisant préalablement défaut d’une bonne édition critique, comme la collection canonique d’Hérivé de Reims (no 114), ainsi que pour celles dont l’édition était dépassée depuis longtemps, comme les lettres du Rouleau de Ravenne.
Le rassemblement de ces lettres fait découvrir un corpus inépuisable, dévoilant toute la diversité du genre épistolaire. On doit toutefois signaler l’absence de certaines pièces. Pour les lettres d’Alcuin par exemple, une seule des sept lettres absentes des »MGH« figure dans le présent volume2. D’autres pièces auraient également pu être intégrées, comme une lettre de Richulf de Mayence3 ou les traités épistolaires »De ›in‹ praepositione explanatio« (Gottschalk d’Orbais)4 et »Notatio de viris illustribus« (Notker le Bègue)5. Enfin, même si elle ne répond pas pleinement aux critères de sélection du recueil, la lettre fragmentaire de Charlemagne à Hadrien Ier, absente des MGH, aurait également pu y trouver sa place (J3 4624).
Le neuvième tome des »Epistolae« vient heureusement clôturer cette collection majeure. On ne peut que se réjouir du fait que l’entreprise soit arrivée à bon port et englobe désormais l’intégralité de l’époque carolingienne. Il fournira, sans nul doute, une base solide aux futures recherches sur l’épistolographie médiévale, permettant enfin de mieux découvrir la riche activité épistolaire au tournant du Xe siècle.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Matthias Rozein, Rezension von/compte rendu de: Isolde Schröder (Hg.), Epistolae variorum 798–923, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2022, XXVI–442 S. (Monumenta Germaniae Historica. Epistolae, 9 [Epistolae Karolini aevi, 7]), ISBN 978-3-447-11783-8, EUR 130,00., in: Francia-Recensio 2022/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.3.90478